samedi, mai 16, 2009

Bardo et existence posthume

Dans la tradition tibétaine, le "chönyid bardo " est l'état intermédiaire entre l'instant de la mort et celui de la renaissance.

Les bouddhistes parlent de réincarnation parce qu’ils considèrent qu’après la mort les éléments qui constituaient un être humain renaîtront. Dans le milieu du spiritualisme moderne, la doctrine de la réincarnation, récupérée et transformée par le Nouvel Age, véhicule l’idée d’évolution de la personnalité durant de longues périodes cosmiques (kalpa) jusqu’à l’accomplissement d’une sorte de surhomme mis au rang des dieux. Il s’agit d’une altération doctrinale qui préconise l’inverse de la réalisation spirituelle authentique qui est, selon le témoignage de grands mystiques, une sorte de dépouillement et de retour à la Simplicité originelle. Le spiritualisme du surhomme, la voie du développement personnel, la science secrète de prétendus initiés dotés de pouvoirs surnaturels bénéficient de l'intérêt d’un large public.

Quitte à chagriner les adeptes de ce spiritualisme syncrétiste en vogue, les bouddhistes ne croient pas à l’existence d’un ego permanent. Selon eux, les différents éléments physiques et psychiques qui constituent un être humain se désagrègent durant le processus de la mort. La doctrine bouddhiste considère que la personne est constituée de cinq agrégats (skandhas) : corps, perception, conscience, conceptions mentales, connaissance. A sa mort, les agrégats sont en quelque sorte recyclés et renaissent dans de nouveaux corps. «Toutes les créatures sont ce qu’elles sont, par l’effet des samskâras (formations mentales, activités) et lorsqu’elles meurent, leur vie forme de nouveaux êtres. Ce que nous appelons une personne n’est que l’incarnation vivante d’activités passées d’ordre physique et psychique. C’est la forme actuelle de l’activité passée qui s’imprime dans les êtres et se manifeste par eux. Telle est la loi du karman, comme elle est entendue par le bouddhisme. Aucune autre interprétation de cette doctrine ne peut s’accorder avec l’enseignement du Bouddha touchant la momentanéité et la non-réalité de toutes choses (non-réalité parce qu’elles n’existent qu’en dépendance d’autres choses). Prof Narasu, «L’essence du Bouddhisme».

Le développement personnel de «l’initié» selon le Nouvel Age (cette mouvance est la partie émergée de l’iceberg contre-initiatique) et la désagrégation de la personnalité enseigné par le bouddhisme sont des croyances antagonistes. Entre ces deux doctrines, le public est submergé d’élucubrations d’une ribambelle de gourous de pacotille, souvent des agents inconscients de la contre-initiation. Le Nouvel Age et une partie des doctrines bouddhistes sont très éloignés de la tradition vedântine.

La pensée métaphysique du Vedânta, notamment du Brahma-sûtra, propose une conception de l’évolution posthume, conception qui n’est ni religieuse ni philosophique. Devant l’envahissement des impostures spiritualistes, les considérations de ce système sont des repères souvent appréciés des contemplatifs.

Selon le Vedânta, l’être humain est constitué d’une individualité, le «moi», et d’une personnalité transcendante, le «Soi».

Lorsqu’un homme est près de mourir, les facultés individuelles sont résorbées dans les énergies vitales qui à leur tour se retirent dans le centre de l’individualité humaine, le jîvâtma, reflet du «Soi». Quand le décès survient, le jîvâtma passe dans une essence individuelle lumineuse et abandonne la forme corporelle. Cette essence lumineuse n’est pas une sorte de double du corps, c’est un état subtil. Contrairement aux affirmations des tenants de la réincarnation, l’être peut demeurer dans cet état subtil, qui ne se situe pas quelque part dans l’espace, durant une période indéfinie.

Il est peut-être utile d’ouvrir une parenthèse et de faire remarquer que le texte tibétain de la «Libération par l’audition», le fameux «Bardo thödol», indique que la réincarnation se produit inévitablement dans un laps de temps assez court (généralement 49 jours). Les doctrines lamaïstes au sujet de la réincarnation doivent être examinées avec beaucoup de prudence. En effet, «le Bardo thödol, écrit Alexandra David-Néel, et tous les ouvrages de cette classe, sont tenus, par les Tibétains instruits, pour être l’expression exotérique de théories ésotériques concernant la mort, les phénomènes qui l’accompagnent et ceux qui lui succèdent, entre le moment où l’homme expire et celui où il renaît.» La vulgarisation du «Bardo thödol» et des pratiques du «Karling Shitro», le «Cycle des déités paisibles et courroucées», pourraient avoir des conséquences particulièrement néfastes pour le psychisme des disciples de ce lamaïsme mercantile qui prend part au spiritualisme mondial ambigu.

Revenons au Vedânta et à ses considérations sur la réalisation spirituelle :

«Mais celui qui a obtenu (avant la mort, toujours entendue comme la séparation d’avec le corps) la vraie Connaissance de Brahma (impliquant, par la réalisation métaphysique sans laquelle il n’y aurait qu’une connaissance imparfaite et toute symbolique, la possession effective de tous les états de son être) ne passe pas (en mode successif) par tous les mêmes degrés de retraite (ou de résorption de son individualité, de l’état de manifestation grossière à l’état de manifestation subtile, avec les diverses modalités qu’il comporte, puis à l’état non-manifesté, où les conditions individuelles sont enfin entièrement supprimées). Il procède directement (dans ce dernier état, et même au-delà de celui-ci si on le considère seulement comme principe de la manifestation) à l’Union (déjà réalisée au moins virtuellement pendant sa vie corporelle) (1) avec le Suprême Brahma, auquel il est identifié (d’une façon immédiate), comme un fleuve (représentant ici le courant de l’existence à travers tous les états et toutes les manifestations), à son embouchure (qui est l’aboutissement ou le terme final de ce courant), s’identifie (par pénétration intime) avec les flots de la mer («samudra», le rassemblement des eaux, symbolisant la totalisation des possibilités dans le Principe Suprême). Ses facultés vitales et les éléments dont était constitué son corps (tous considérés en principe et dans leur essence suprasensible) (2), les seize parties, «shodasha-kalâh», composantes de la forme humaine (c’est-à-dire les cinq «tanmâtras», le «manas» et les dix facultés de sensation et d’action), passent complètement à l’état non-manifesté («avyakta», où, par transposition, ils se retrouvent tous en mode permanent, en tant que possibilités immuables), ce passage n’impliquant d’ailleurs pour l’être même aucun changement (tel qu’en impliquent les stades intermédiaires, qui, appartenant encore au «devenir», comportent nécessairement une multiplicité de modifications). Le nom et la forme («nâma-rûpa», c’est-à-dire la détermination de la manifestation individuelle quant à son essence et quant à sa substance, comme nous l’avons expliqué précédemment) cessent également (en tant que conditions limitatives de l’être) ; et, étant «non-divisé», donc sans les parties ou membres qui composaient sa forme terrestre (à l’état manifesté, et en tant que cette forme était soumise à la quantité sous ses divers modes), (3) il est affranchi des conditions de l’existence individuelle (ainsi que de toutes autres conditions afférentes à un état spécial et déterminé d’existence quel qu’il soit, même supra-individuel, puisque l’être est désormais dans l’état principiel, absolument inconditionné.» (4)

Notes de Guénon :

(1) Si l’«Union» ou l’«Identité Suprême» n’a été réalisée que virtuellement, la «Délivrance» a lieu immédiatement au moment même de la mort ; mais cette «Délivrance» peut avoir lieu pendant la vie même, si l’«Union» est dès lors réalisée pleinement et effectivement.


(2) Il peut même se faire, dans certains cas exceptionnels, que la transposition de ces éléments s’effectue de telle façon que la forme corporelle elle-même disparaisse sans laisser aucune trace sensible, et que, au lieu d’être abandonnée par l’être comme il arrive d’ordinaire, elle passe ainsi toute entière, soit à l’état subtil, soit à l’état non-manifesté, de sorte qu’il n’y a pas mort à proprement parler ; nous avons rappelé ailleurs, à ce propos, les exemples bibliques d’Hénoch, de Moïse et d’Elie.

(3) Les modes principaux de la quantité sont désignés expressément dans cette formule biblique ; «Tu as disposé toutes choses en poids, nombre et mesure» (Sagesse, XI, 21), à laquelle répond terme pour terme (sauf l’interversion des deux premiers) le «Mane», «Thekel», «Phares» (compté, pesé, divisé) de la vision de Balthasar (Daniel, V, 25 à 28).

(4) «Prashna Upanishad», 6e Prashna, shruti 5 ; «Mundaka Upanishad», 3e Mundaka, 2e Khanda, shruti 8. – «Brahma-Sûtra, 4e Adhyâya, 2e Pâda, sûtras 8 à 16.

Ce passage du livre de René Guénon, «L’homme et son devenir selon le Vedânta», représente l’essence de la réalisation spirituelle. Réalisation qui n’est pas tributaire d’une pratique répétitive et machinale.

La métaphysique indienne est ardue et peu soucieuse de pragmatisme. En revanche, le Ch’an chinois, «qui, écrit le Dr H. Benoit, naquit en Chine, au 6ème siècle de l’ère chrétienne, de l’interprétation du Vedânta» (et aussi de l’influence taoïste), envisage la réalisation spirituelle sous son aspect pratique. Manifestement, les sectes ch’an actuelles n’ont plus rien de commun avec les premières écoles chinoises. Le prolongement japonais du ch'an, le zen, est même assez caricatural avec son idée fixe de la transmission, ses rigidités ritualistes et posturales…

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