samedi, octobre 23, 2010

Manifeste des plébéiens


Il est plus que temps. Il est temps que le peuple, foulé, assassiné, manifeste d’une manière plus grande, plus solennelle, plus générale qu’il n’a jamais été fait, sa volonté, pour que non seulement les signes, les accessoires de la misère, mais la réalité, la misère elle-même soient anéanties. Que le peuple proclame son Manifeste. Qu’il y définisse la démocratie comme il entend l’avoir, et telle que, d’après les principes purs, elle doit exister. […]

Nous expliquerons clairement ce que c'est que le bonheur commun, but de la société,

Nous démontrerons que le sort de tout homme n'a pas dû empirer au passage de l'état naturel à l'état social.

Nous définirons la propriété.

Nous prouverons que le terroir n'est à personne, mais qu'il est à tous.

Nous prouverons que tout ce qu'un individu en accapare au-delà de ce qui peut le nourrir, est un vol social. […]

Nous prouverons que tout ce qu’un membre du corps social a au-dessus de la suffisance de ses besoins de toute espèce et de tous les jours est le résultat d’une spoliation de sa propriété naturelle individuelle, faites par les accapareurs des biens communs.

Que, par la même conséquence, tout ce qu’un membre du corps social a au-dessus de la suffisance de ses besoins de toute espèce et de tous les jours est le résultat d’un vol fait aux autres co-associés, qui en prive nécessairement un nombre plus ou moins grand de sa quote-part dans les biens communs.

Que tous les raisonnements les plus subtils ne peuvent prévaloir contre ces inaltérables vérités.

Que la supériorité de talents et d’industrie n’est qu’une chimère et un leurre spécieux, qui a toujours indûment servi aux complots des conspirateurs contre l’égalité. […]

Que toutes nos institutions civiles, nos transactions réciproques ne sont que les actes d’un perpétuel brigandage, autorisé par d’absurdes et barbares lois, à l’ombre desquelles nous ne sommes occupés qu’à nous entre-dépouiller.

Que notre société de fripons entraîne à la suite de ses atroces conventions primordiales toutes les espèces de vices, de crimes et de malheur contre lesquels quelques hommes de bien se liguent en vain pour leur faire la guerre qu’ils ne peuvent rendre triomphante, parce qu’ils n’attaquent point le mal dans sa racine, et qu’ils n’appliquent que des palliatifs puisés dans le réservoir des idées fausses de notre dépravation organique.

Qu’il est clair, par tout ce qui précède, que tout ce que possèdent ceux qui ont au-delà de leur quote-part individuelle dans les biens de la société est vol et usurpation.

Qu’il est donc juste de leur reprendre. […]

Qu’il ne doit point exister de privations de choses que la nature donne à tous, produit pour tous, si ce n’est celles qui sont la suite des accidents inévitables de la nature, et que, dans ce cas, les privations doivent être supportées et partagées par tous.

Que les productions de l’industrie et du génie deviennent aussi la propriété de tous, le domaine de l’association entière, du moment même que les inventeurs et les travailleurs les ont fait éclore ; parce qu’elles ne sont qu’une compensation des précédentes inventions du génie et de l’industrie, dont ces inventeurs et ces travailleurs nouveaux ont profité dans la vie sociale, et qui les ont aidés dans leurs découvertes.

Que puisque les connaissances acquises sont le domaine de tous, elles doivent donc être également réparties entre tous. […]

Qu’il n’est pas de vérité plus importante que celle que nous avons déjà citée, et qu’un philosophe a proclamée en ces termes : « Discourez tant qu’il vous plaira sur la meilleure forme de gouvernement, vous n’aurez rien fait tant que vous n’aurez point détruit les germes de la cupidité et de l’ambition. »

Qu’il faut donc que les institutions sociales changent à ce point qu’elles ôtent à tout individu l’espoir de devenir jamais plus riche, ni plus puissant, ni plus distingué par ses lumières, qu’aucun de ses égaux.

Qu’il faut, pour préciser d’avantage, parvenir à enchaîner le sort, à rendre celui de chaque co-associé indépendant des chances et des circonstances heureuses ou malheureuses ; à assurer à chacun et à sa postérité, telle nombreuse qu’elle soit, la suffisance, mais rien que la suffisance ; et à fermer à tous toutes les voies possibles, pour obtenir jamais au-delà de la quote-part individuelle dans les produits de la nature et du travail.

Que le seul moyen d’arriver là est d’établir l’administration commune : de supprimer la propriété particulière ; d’attacher chaque homme au talent, à l’industrie qu’il connaît ; de l’obliger à en déposer le fruit en nature au magasin commun, et d’établir une simple administration de distribution, une administration des subsistances qui, tenant registre de tous les individus et de toutes les choses, fera répartir ces dernières dans la plus scrupuleuse égalité, et les fera déposer dans le domicile de chaque citoyen.

Que ce gouvernement, démontré praticable par l’expérience, puisqu’il est celui appliqué aux douze cent mille hommes de nos douze armées (ce qui est possible en petit l’est en grand) : que ce gouvernement est le seul dont il peut résulter un bonheur universel inaltérable, sans mélange ; le bonheur commun but de la société.

Que ce gouvernement fera disparaître les bornes, les haies, les murs, les serrures aux portes, les disputes, les procès, les vols, les assassinats, tous les crimes ; les tribunaux, les prisons, les gibets, les peines, le désespoir qui cause toutes ces calamités, l’envie, la jalousie, l’insatiabilité, l’orgueil, la tromperie, la duplicité, enfin tous les vices ; plus (et ce point est sans doute l’essentiel) le ver rongeur de l’inquiétude générale, particulière, perpétuelle de chacun de nous, sur notre sort du lendemain, du mois, de l’année suivante, de notre vieillesse, de nos enfants et de leurs enfants.

Tel est le précis sommaire de ce terrible manifeste que nous offrirons à la masse opprimée du peuple français et dont nous lui donnons la première esquisse pour lui en faire saisir l’avant-goût.
Gacchus Babeuf

Gracchus Babeuf avec les Egaux

François-Noël Babeuf (1760 - 1797) choisit le prénom de Gracchus sous lequel il entrera dans la postérité comme le premier théoricien du communisme, le journaliste du " Tribun du peuple " et l'organisateur de la Conjuration de l'Egalité (1796). Jean-Marc Schiappa retrace l'ensemble de l'itinéraire personnel et idéologique de Babeuf, de sa jeunesse en Picardie à son exécution le 8 prairial an V (27 mai 1797) à Vendôme, en passant par ses activités et ses emprisonnements tout au long de la Révolution. Dans sa tentative ultime, Babeuf ne fut pas isolé. Car, la Conjuration ne fut pas le fait d'un esprit exalté, mais l'aboutissement du combat d'un groupe important de révolutionnaires contre les notables du Directoire, pour le rétablissement de la Constitution de 1793 et pour la mise en oeuvre d'une société pleinement égalitaire. De nombreuses données nouvelles sur les compagnons de Babeuf, les Egaux et leur implantation dans la France révolutionnaire, permettent d'avoir, enfin, une approche complète sur cette Conjuration à la fois pionnière et collective.


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