mercredi, janvier 05, 2011

La liberté et le destin selon la gnose







Propos de René Nelli


Claudine Brelet-Rueff : Les cathares croyaient-ils que le monde « allait finir ? »


René Nelli : Ils ne croyaient pas que le monde allait finir tout de suite, mais qu’il était destiné à finir. Pour les gnostiques, le monde est toujours sur le point de finir, même s’il doit durer encore mille ans ou beaucoup plus. Personnellement, je crois qu’il va finir. 


Claudine Brelet-Rueff : Mais les cathares croyaient en un salut ?


René Nelli : Pour les gnostiques, il suffit de connaître le destin, le secret des choses, pour être déjà sauvé. La gnose est d’abord une connaissance. Cela suppose donc que l’être est connaissable et peut-être même qu’il y a une adéquation entre l’être et la pensée…


L’originalité de la gnose réside en ce qu’elle ne dit pas seulement que l’être est connaissable, mais aussi que l’on se sauve par la connaissance. Ce point est peut-être celui qui heurte le plus les tenants des religions d’amour et certains philosophes rationalistes pour qui la connaissance n’entraîne pas nécessairement le salut.


Pour les gnoses comme le catharisme ou l’ancien manichéisme (qui est peut-être plus gnostique que le premier), il n’y avait pas de liberté. Par conséquent, l’homme ne pourrait être sauvé s’il n’était pas déterminé à être libre, c’est-à-dire s’il ne recevait pas, dès son entrée en ce monde, une espèce d’illumination. J’insiste beaucoup là-dessus parce que cela se trouve dans l’évangile de Jean. Cette lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, nous n’y sommes pour rien et nous ne sommes pas libres de la refuser.


En général, et même chez les catholiques, on comprend mal cela. Pourtant, si l’homme n’était pas de quelque façon déterminé à être sauvé, il ne pourrait pas l’être. Les existentialistes ont dit comme les gnostiques que nous étions déterminés à être libres. Sartre éclaire le point de vue de certains gnostiques lorsqu’il dit que nous sommes condamnés à la liberté, à une certaine liberté. Précisément, l’être et le néant, c’est le fondement même de toutes les gnoses.


La gnose est une connaissance de l’être et du non-être.


 Claudine Brelet-Rueff : Les gnostiques sont-ils pessimistes ?


 René Nelli : Non, car ils savent qu’il est nécessaire que la création divine passe par un stade d’inachèvement parce qu’il faut que l’être fasse l’expérience du néant et s’en libère. Tant que l’être n’a pas évacué son néant, tant qu’il n’a pas transcendé ce néant, il lui reste soumis.


Selon les cathares et les manichéens, nous sommes des êtres divisés, écartelés, faussement libres et dans le mal. Le but à atteindre est donc de retrouver cette unité, cette libération qui est l’impossibilité de faire le mal et non plus le libre arbitre qui est une erreur. Comment les hommes ne comprennent-ils pas que le libre arbitre est sottise et que la seule chose qui importe, c’est d’être libéré, c’est-à-dire de ne pas pouvoir faire le mal ? D’après les cathares, nous n’atteignons cette impossibilité qu’après de nombreuses incarnations.


Claudine Brelet-Rueff : Comment définiriez-vous le gnostique moderne ?


René Nelli : Je verrais précisément un homme qui croirait que l’être est connaissable, parce que cet être est la pensée. Ce serait l’homme qui essaierait d’interpréter la pensée universelle inconsciente par sa conscience. Ce serait l’homme qui croit aux degrés de l’être (Guénon par exemple !), car ces degrés me semblent le fondement essentiel de la pensée gnostique. S’il n’y a pas degrés de l’être, il n’y a pas de dieu. S’il n’y a pas de tels degrés, on ne comprend pas ce que vient faire le néant. Créer les degrés dans l’être, c’est un mélange de noir et de blanc. Le gnostique moderne, c’est d’abord ça. Ce n’est donc pas un optimiste comme le sont à peu près tous les religieux. Ce serait un homme qui prônerait sa vie par la connaissance et, là, ce gnostique moderne serait peut-être un scientifique… Il ne peut être qu’un homme de science, mais en même temps un philosophe. Pour qu’il ne sombre pas dans le rationalisme discriminatoire. Sans décréter a priori qu’il existe des choses connaissables, parce qu’elles sont rationnelles, et des choses inconnaissables, parce que irrationnelles, ce qui est une attitude antignostique et antiscientifique. Le gnostique moderne est un homme (ce qui peut aussi vouloir dire une femme, bien entendu !) qui se penche sur le monde extérieur, sous toutes ses formes, y compris les phénomènes supra-normaux… qui, peut-être aussi, s’intéresse à lui-même. Je trouve qu’on oublie vraiment trop le principe de Socrate : «  Connais-toi toi-même. »




La Philosophie du catharisme

  

Photo : le château de Montségur, haut lieu de la résistance cathare.

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