dimanche, février 27, 2011

Le droit à la révolte








Du haut de son piton rocheux, le Vieux Vautour scrute l’horizon. La clarté, qui commence à dissiper les sombres nuages amassés par le crime, l’inquiète. Dans la pâleur du paysage se dessine la silhouette d’un géant : l’insurrection.


Le Vieux Vautour a beau se perdre dans l’abîme de sa conscience, en remuer la fange, il n’y trouve rien qui puisse l’éclairer sur les origines de cette révolte. Il fouille alors ses souvenirs. Hommes et choses, dates et événements forment dans sa tête un cortège dantesque. Les martyrs de Veracruz défilent, blêmes. Ils exhibent les blessures que leur ont infligées une soldatesque avinée, à la lueur de la lanterne d’une cour de caserne. Viennent ensuite les livides ouvriers d’El Republicano, hardes et chairs déchirées par les baïonnettes des sbires.


Suivent les familles de Papantla, femmes, vieillards et enfants, le corps criblé de balles. Voici les ouvriers de Cananea, tout ruisselants de sang, sublimes dans leur sacrifice. Et, imposants, ceux de Rio Blanco, dont les plaies sanglantes accusent le crime officiel. Et les martyrs de Juchitan, de Velardeña, de Monterrey, d’Acayucan, de Tomochic. Des légions de spectres, de veuves, d’orphelins et de bagnards se succèdent. Le peuple entier surgit, nu et défait, accablé par l’ignorance et la faim.


Le Vieux Vautour lisse rageusement ses plumes ébouriffées par le tourbillon des souvenirs. Il se refuse à lire dans le passé les causes de la révolution. Sa conscience de charognard justifie la mort. Il y a des cadavres? Sa pitance est assurée.


Ainsi vivent les classes dirigeantes, de la souffrance et de la mort des classes dirigées. Pauvres et riches, opprimés et despotes, égarés par l’habitude et les usages ancestraux, considèrent cette situation absurde comme naturel.


Un jour pourtant, un des esclaves tombe sur un journal libertaire. Il y lit comment le riche abuse du pauvre par la force ou par la ruse. L’esclave se met à réfléchir et en conclut qu’aujourd’hui comme hier seul compte le rapport de force. Il devient un rebelle. On ne saurait combattre la force par beaux raisonnements, mais bien par la violence.


Le droit à la révolte pénètre les consciences. Le mécontentement grandit, le malaise devient insupportable. La contestation éclate et tout s’embrase. On respire alors un air vivifié par les effluves de la révolte.


Les esprits sont saturés, et l’horizon commence à s’éclaircir. Du haut de son rocher, le Vieux Vautour est à l’affût. Plus une plainte, plus un soupir ni même un sanglot ne montent des plaines. C’est une clameur, un rugissement. Le rapace s’épouvante en baissant l’œil : on n’aperçoit plus le moindre dos courbé, le peuple s’est levé.


Glorieux instant qui voit un peuple entier se redresser! Ce n’est plus un troupeau d’agneaux brûlés par le soleil, ni une foule sordide d’esclaves résignés. C’est une horde de rebelles qui se lance à la conquête de la terre. Une terre qui renoue avec la noblesse puisque ce sont des hommes, enfin, qui la foulent.


Le droit à la révolte est intangible. À chaque obstacle qui entrave la vie, il faut y recourir. Révolte ! Crie le papillon rompant le cocon qui l’emprisonne. Révolte ! Crie le bourgeon en déchirant l’enveloppe qui l’enferme. Révolte ! Crie le germe au passage de la charrue, réclamant les rayons du soleil. Révolte ! crie le nouveau-né en déchirant les entrailles maternelles. Révolte ! Clame enfin le peuple soulevé pour écraser tyrans et exploiteurs.


La révolte, c’est la vie ; et la soumission, c’est la mort. Y a-t-il des rebelles au sein du peuple ? Alors la vie est possible, ainsi que l’art, les sciences et l’industrie.


De Prométhée à Kropotkine, les révoltés ont été les moteurs de l’humanité. Le dépassement qui caractérise les instants privilégiés de l’Histoire, c’est la révolte. Sans elle, le genre humain se traînerait encore dans cette lointaine pénombre que les historiens appellent l’âge de pierre. Sans elle, les peuples seraient encore à genoux devant les principes spécieux du droit divin. Sans elle, ils seraient depuis longtemps égarés dans les brumes de l’idéologie. Sans elle, notre merveilleuse Amérique continuerait de dormir sous la protection des océans mystérieux. Sans elle, on verrait encore se profiler l’austère silhouette de cette insulte au genre humain qu’était la Bastille.


Il ne reste au Vieux Vautour qu’à prendre son envol, la pupille sanguinolente rivée sur le géant qui s’avance. Il n’a toujours rien compris aux causes de l’insurrection. Les tyrans ne comprennent pas le droit à la révolte.


"Le droit à la révolte" de Ricardo Flores Magón, extrait de "Propos d'un Agitateur", petit recueil de textes (1910 à 1915).




Propos d'un Agitateur


"L'honnêteté ne vit pas à genoux, prête à ronger l'os qu'on daigne lui jeter. Elle est fière par excellence. Je ne sais si je suis honnête ou non, mais je dois t'avouer qu'il m'est insupportable de supplier les riches de m'accorder, au nom de Dieu, les miettes de tout ce qu'ils nous ont volé. Je viole la loi ? C'est vrai, mais elle n'a rien à voir avec la justice."




Ricardo Flores Magón (1873-1922) fut l'un des principaux théoriciens de la révolution mexicaine. Animateur du journal Regeneración, il incarne la tendance radicale, anarchiste et poétique des mouvements qui combattaient pour la terre et la liberté. Le mouvement zapatiste contemporain de Marcos et les insurgés de la toute récente Commune d'Oaxaca doivent beaucoup à sa pensée allégorique.



Hommage vidéo a Ricardo Flores Magón avec la chanson "corrido a Flores Magón" d’Ignacio Cárdenas.


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