vendredi, juin 03, 2011

Les rêves




Après que R. Bastide eut, en 1932, formulé les principes auxquels, selon lui, toute recherche sur le rêve devait se conformer, puis qu'il eut présenté ses travaux dans l'article « Sociologie du rêve », daté de 1967, relativement peu nombreuses demeurent à ce jour les enquêtes de terrain menées en domaine européen, si l'on place à part l’œuvre de De Martino. En dépit de leur petit nombre, elles n'en permettent pas moins de situer la place qu'occupe le rêve dans les sociétés anciennes et traditionnelles de l'Europe, ainsi que son interprétation.

M. Xanthacou examine des songes ainsi recueillis dans le sud du Péloponnèse, où des femmes voient revenir de proches parents défunts. Elle montre en quoi ces rêves témoignent de transgressions (surtout celle de l'interdit de l'inceste) dans une région, le Magne, où la proximité du frère et de la sœur est réputée surpasser l'intimité du lien conjugal, comme le lien d'une mère à ses fils. Ces anamnèses, ou retours dans le songe d'une femme de l'image de ses morts, renvoient tous à un Au-delà, au monde des Ombres, au monde d'après la mort. Ce sont également des rêves qui prévoient ou préviennent le malheur et la mort. Les ethnotextes recueillis en 1959 par C. Joisten en France, dans un village proche du Queyras et du Briançonnais, auprès de Marie Vasserot, âgée de 76 ans en 1959, permettent de cerner le contours d'un onirisme populaire. Même si Marie Vasserot était animée d'une profonde foi, son témoignage déborde largement les cadres d'une tradition inféodée au catholicisme rural de la fin du XIXe s., catholicisme pragmatique et formaliste tout à la fois. Les récits qualifiés de «rêves » relatent les rencontres de la narratrice avec diverses catégories d'êtres surnaturels lors d'expériences de type onirique à propos desquelles les termes d'«autosuggestion » et d'« hallucination » sont malencontreusement convoqués par l'ethnologue. L'enquête, heureusement reprise en 1976, dégage alors plus nettement les contours de la pratique onirique en cause : le rêve accompagne et commente des moments remarquables de la biographie de la rêveuse. Le rêve souligne ainsi tout particulièrement les transformations qu'accomplissent sur la personne en cause les rites de passage qui, dans la société traditionnelle, scandent tout déroulement biographique. Possédée au sein d'une même famille et transmise de mère en fils, la capacité à voir en rêve témoigne d'un compagnonnage avec Dieu, d'autres personnages du panthéon chrétien comme la Vierge et quelques saints, l'ange gardien et ce personnage maléfique qu'est le Diable. Les rêves avec les défunts attestent également un contact constant avec les revenants. De tels rêves ont valeur prémonitoire. Par ailleurs, la capacité à voir en rêve se donne pour une expérience vécue, le témoignage en direct d'apparitions, même si l'angle de l'enquête et les précautions des informateurs accroissent la prise de distance par rapport au contenu onirique, au point que l'on passe du récit d'une « apparition » réelle à celui d'une «vision vécue ». Les résultats de l'enquête briançonnaise se retrouvent dans les travaux menés ailleurs en France (Aquitaine), en Italie et en Espagne : à chaque fois ressort l'importance du lien avec les défunts que porte l'activité onirique, la valeur prémonitoire qui lui est reconnue, comme l'existence d'agents spécialisés dans la construction d'une interprétation du rêve, quand bien même cette pratique est populaire.

Les recherches ainsi issues de cette ethnographie récente du domaine européen croisent au moins partiellement les ouvrages publiés par les historiens (Fabre, Schmitt). C'est J. Le Goff qui, le premier, présenta les conceptions médiévales du rêve. Dans ses articles « Les rêves dans la culture et la psychologie collective de l'Occident médiéval » (1977), « L’Occident médiéval et l'océan Indien : un horizon onirique » (1977), «Le christianisme et les rêves (IIe-VIIe s.) » (1985), Le Goff montre le passage d'une Antiquité passionnée par l'oniromancie à une mise à l'écart et une répression du rêve par l’Église, avant que se produise, à partir du XIIe s., un retour en force du rêve qu'amorce alors la promotion de ces rêveurs distingués que furent les saints. L'historien étudie comment le christianisme, devenu religion et idéologie dominantes en Occident à partir du IXe s., dut traiter du rêve et de son interprétation tels que l'héritage gréco-romain les avait laissés. Après une période de méfiance face au rêve toujours vu comme une création diabolique, le catholicisme en vint progressivement à le réhabiliter. Selon Le Goff, le lent développement du rêve et son retour dans la culture ont accompagné, avec la vogue du voyage dans l'au-delà, l'invention du Purgatoire et l'importance grandissante du jugement individuel juste après la mort.

Quand, en 1899, Freud publie L’Interprétation des rêves, il fait oublier l'échec de ses investigations précédentes touchant aux effets de la cocaïne et se fait l'inventeur de la psychanalyse. Comme le souligne avec justesse J.-B. Pontalis, L’Interprétation des rêves « n'est pas pour nous le livre de l'analyse des rêves , encore moins le livre du rêve, mais le livre qui, par la médiation des lois du logos du rêve, découvre celles de tout discours et fonde la psychanalyse ». Freud affirma avoir fait œuvre scientifique. C'est, comme il le revendique fièrement, un «morceau de terre inconnue gagné sur les croyances populaires et le mysticisme ». Avec cet ouvrage, Freud modifie la nature de l'interprétation du rêve, qu'il considère comme l'accomplissement d'un désir inconscient.

Tout d'abord, Freud établit que c'est le rêveur lui-même qui, si énigmatique et fuyant que lui apparaisse son rêve, peut seul en dégager la signification. C'est le rêveur qui opère à partir des associations mentales qu'il enchaîne les unes aux autres comme incidemment et qu'il juxtapose à la suite du récit de son rêve. Dans le cadre de la séance de psychanalyse, la technique freudienne d'interprétation des rêves permet au rêveur de déchiffrer le scénario onirique. Le récit de rêve n'est pas, dans ce contexte, envisagé comme un tout insécable. Bien au contraire, il se trouve scindé en éléments à partir desquels se développent les associations. De la sorte, le rêve se retrouve au centre d'un réseau d'idées toutes reliées au rêve et également toutes reliées entre elles. L'activité de mise en association des images du rêve et des idées qui, à leur propos, surgissent manifeste l'accomplissement d'un véritable travail que gouvernent deux opérations centrales : le déplacement et la condensation, chaque élément étant surdéterminé. Processus psychique inconscient, le déplacement est tout entier lié à la censure. Il transforme un élément primordial en détail secondaire. Ou bien encore il substitue un élément à un autre, un personnage à un autre. Il inverse le début et la fin ou exprime par une expression littérale un sens figuré. Quant à la condensation, elle opère la fusion de plusieurs idées inconscientes pour aboutir à une seule image dans le contenu manifeste du rêve. Interprétant plusieurs rêves personnels dont celui de la monographie botanique, Freud indique que la condensation « ramasse et concentre des pensées éparses du rêve ».

C'est que l'essentiel du rêve tient à la réalisation inconsciente et méconnue d'un désir ancien, inassouvi, refoulé dans l'inconscient. Sur ce point, Freud est catégorique: « Le désir représenté dans le rêve est nécessairement infantile. » Les idées inconscientes à la source du rêve, Freud les nomme des « pensées latentes ». Il leur oppose son contenu manifeste. Les pensées latentes sont actualisées à l'occasion du rêve, alors qu'elles ne peuvent ni se réaliser ni même s'exprimer franchement, directement, à cause du mécanisme de la censure. Au fond, leur visée est d'arriver, sinon à se réaliser, du moins à s'exprimer en proposant à la conscience une mise en forme qui les rende méconnaissables et leur substitue une apparence inoffensive sous leur déguisement.

Le rêve, maniant ainsi le déplacement et la condensation, se soucie peu de relations logiques. Il ignore la négation, il réunit les contraires ou transpose les relations temporelles en rapports spatiaux. Son langage apparaît simplifié, et sa grammaire grossière. Comme l'inconscient, le rêve ignore « tous les modes du langage propres à traduire les formes les plus subtiles de la pensée : conjonctions, prépositions, changements de déclinaisons et de conjugaisons, tout cela est abandonné faute de moyens d'expression ; seuls les matériaux bruts de la pensée peuvent encore s'exprimer comme dans une langue primitive, sans grammaire. L'abstrait est ramené à sa base concrète ».

Le rêve en général pourrait alors être considéré, ce que fait M. Perrin pour le rêve guajiro, comme un langage. Considérons, pour commencer, la langue que parle le rêve. Le traitement intellectuel du rêve fait, dans l'exemple guajiro, ressortir que les images sont essentiellement des images corporelles et des images des relations sexuelles (licites et illicites). Mais ce qui importe d'avantage, s'il se peut, c'est que ces contenus imagés sont combinés entre eux selon quatre règles de relation (qui réagissent les clés des songes dont près de deux cents ont été collationnées par Perrin) : ce sont l'analogie, le renversement en son contraire, la conversion terme à terme de deux séries mises en position de permutabilité, enfin la combinaison de plusieurs rapports d'homologies.

Ainsi le rêve peut-il être considéré comme une machinerie qui fait jouer les éléments d'une sorte de de lexique constitué d'images en prêt-à-porter et recourt à ces règles de relation. À partir de là, on peut s'interroger sur la valence différentielle rêve/mythe, puisque le mythe combine également des éléments selon les lois d'un langage, comme l'a montré C. Lévi-Strauss. Effectivement, le mythe et l'oniromancie semblent obéir aux mêmes règles élémentaires de combinaison. Le rêve ne serait-il alors qu'un mythe à usage privé ? Or, l'assimilation du rêve au mythe ne semble pas si simple à poser, ne serait-ce que parce que le mythe met en œuvre des structures complexes, quand songes et clés des songes en restent à des formules isolées. Mais, loin de faire du rêve une activité humaine moins déterminante que le mythe, avec M. Perrin, on pourra insister sur la souplesse et les possibilités théoriquement infinies du rêve. Moins ligoté dans un carcan rigide que le mythe, le rêve est une activité créative, puisant dans les images qui abondent dans la mythologie pour les manier, les arranger, les recomposer. En bref, le rêve serait une sorte de vivier alimentant en versions mouvantes la pensée plus figée et close sur elle-même du mythe.

Marie-Claire Latry, IUFM de Bordeaux.


Le rêve de la nourrice d'après L'Interprétation des rêves de Freud

Source :


Dictionnaire historique de la magie et des sciences occultes

La magie ? les magies ?, l'alchimie, les arts divinatoires, les astrologies, la démonologie, l'envoûtement, les fétichismes, les kabbales, les sorcelleries, les superstitions et tant d'autres sciences dites occultes étudiées dans l'épaisseur de leur histoire, de leurs pratiques, de leurs principaux instigateurs, de leurs victimes, aussi : tel est le défi qu'une trentaine d'universitaires et de chercheurs ont accepté de relever : ils font, pour la première fois, un point historique et ethnologique, à la lumière des études les plus récentes. Les limites qu'ils se sont fixées sont celles de l'Europe occidentale, mais ils ne se sont pas interdit les éclairages venus d'ailleurs, les influences et les résonances qui diffusent subtilement à toutes les civilisations, à toutes les époques, leurs sujets d'étude. Tour à tour apparaissent, au fil des pages, les grands acteurs des sujets évoqués : Apollonius de Tyane, Cagliostro, Nostradamus, Ptolémée, Gilles de Rais, Raspoutine, et tant d'autres. Les auteurs de ce dictionnaire ne se sont pas limités aux concepts, aux pratiques, aux portraits. Que vous vous intéressiez à la mandragore, à l'alambic, aux fées ou à Hallowe'en, à Dracula, à Nosferatu ou au Black Metal... Que vous redoutiez les chats noirs ou les fantômes... Que vous lisiez l'horoscope de votre journal favori... Des réponses sérieuses et informées vous sont proposées pour éclairer toutes ces interrogations.



L'art de rêver

Les rêves et l'au-delà

Le plan dirigé contre l’Esprit

La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...