mercredi, juin 01, 2011

Profession marabout



Pour l'Occidental, « marabout» évoque communément des images provenant de deux passés de sa culture. Les premières renvoient à l'Afrique coloniale - aujourd'hui, à l'exotisme de cette période -, où le colonisateur le compare au prêtre catholique. La colonisation diffuse en métropole la représentation d'un obscurantiste de la religion musulmane, un propagateur de superstitions archaïques et un obstacle « aux progrès de la civilisation ». En face, homme du Livre, ayant le respect du savoir dans les populations locales où il est né, le marabout se montre rebelle aux lois du colonisateur qu'il juge contraires aux enseignements de l'islam et, souvent, fomente des révoltes dont certaines ont eu quelques succès militaires. Les secondes images concernent le fonds historique de croyances en la sorcellerie, avec la figure de l'envoûteur dont le marabout serait la version noire, selon une définition fréquemment entendue. Envoûteur et marabout auraient en commun d'agir pour eux-mêmes ou pour un tiers, directement sur leur victime, à l'inverse du jeteur de sorts européen ou du « mangeur d'âme » africain qui s'attaque aux éléments constitutifs de la personne (cheptel, enfant, principe vital, etc.) pour affaiblir son potentiel énergétique de vie. Dans les deux cas. L'objectif est identique : au sein d'un groupe social restreint (famille, couple, voisins, commerces), il s'agit de rétablir l'équilibre bouleversé par un malheur en annihilant. sa cause qui est toujours personnalisée (amant, maîtresse, concurrent, jaloux). Marabout et envoûteur cherchent à contrôler le responsable et à l'éliminer s'il ne revient pas à ses engagements amoureux, ses obligations de parenté ou à ses devoirs professionnels.

Aujourd'hui, les pratiques maraboutiques s'affichent dans l'espace urbain occidental sous forme de publicités format carte de visite: «Spécialité du retour immédiat de l'être aimé ou qui vous est cher, amour perdu, guérit l'impuissance sexuelle, désenvoûtement, chance aux jeux, fidélité absolue entre époux », etc. Elles sont distribuées aux entrées du métro, sur les marchés et, en milieu rural, directement dans les boîtes aux lettres. Elles ne dévoilent jamais l'identité du marabout fondu dans la foule des travailleurs immigrés dont il a souvent le statut. Sa personne demeure dans l'ombre d'un numéro de téléphone et d'une station de métro, imposant au consultant un véritable trajet à la marge de l'inconnu et du licite. Un peu à la manière de l'envoûteur qui, s'il se signale par une plaque d'immeuble, n'écrira jamais sa véritable activité : il sera magnétiseur, astrologue ou «thérapeute quelque chose». Leur savoir-faire se présente en creux d'une profession qui ne doit pas se dire, comme la carte professionnelle sans adresse du cabinet ou la plaque sans le cuivre du diplôme en médecine. Annonciatrice du secret fondateur de la puissance, la discrétion gage et protège le «pouvoir de faire» que la place publique (justice, fiscalité, médias) est toujours prompte à dénoncer.

Étymologiquement, un marabout (murâbit) est un guerrier prosélyte de l'Islam, mais, dans l'acception courante, il est avant tout un lettré : celui qui lit le Coran. Corollaire immédiat : tout lecteur du Saint Livre peut se déclarer marabout.

Cependant, en Afrique, le titre prend beaucoup d'autres sens : directeur d'école coranique, guérisseur, devin, voyant, chef de confrérie musulmane ou encore, au Maghreb, saint homme dont le cénotaphe deviendra un lieu de culte thérapeutique. Un marabout peut combiner plusieurs de ces techniques, en acquérir de nouvelles, en rejeter d'autres au cours de rencontres, d'initiations diverses avec des tradipraticiens, des devins, des «féticheurs »..., et de lectures plus ou moins savantes. Il peut en faire profession unique, activité secondaire ou temporaire. Là comme ailleurs, il est impossible de proposer un modèle pour ces praticiens : fonctions et statuts sont en mouvement constant et en transformation perpétuelle.

Nous pouvons, malgré tout, retenir deux traits récurrents de la pratique maraboutique. D'abord, sa souplesse et son dynamisme s'accommodent parfaitement à la diversité culturelle et à l'évolution des sociétés contemporaines. Ensuite, elle met sans cesse en œuvre une continuité entre les religions de terroir africaines et l'Islam, au risque, parfois, de se voir reprocher son hétérodoxie, voire son impiété.

Le travail maraboutique recourt à une multitude de procédés :

- divinatoires : jets de cauris (coquillages), de graines sèches ou de pierres ; chapelet coranique; calcul de lignes tracées dans le sable (listikhat) ; simple voyance ou interprétation des rêves, etc.;

- apotropaïques, tels les talismans et amulettes fabriqués essentiellement à l'aide de versets du Coran recopiés sur une feuille de papier vierge à l'encre noire ou au jus de citron, repliée en un petit carré et cousue dans un étui en cuir ou scellée dans une corne de cervidé. Ils seront portés en bracelet de biceps, collier ou ceinture ventrale ;

- prophylactiques et thérapeutiques, qui reposent sur une pharmacopée à base végétale (racines, feuilles et lianes séchées), administrée en décoction, et d'eau (mélangée à du parfum) bénite par la récitation du Coran, servant à purifier le corps (par absorption et par lavage) pendant la durée du traitement. Au total, infidélité, divorce, jalousie, impuissance ou frigidité sexuelle, faillite économique, malchances répétées... sont perçus comme les symptômes sociaux du franchissement de la frontière avec le monde des forces invisibles. Le marabout est le technicien du retour : il fait retraverser, revenir ses patients dans le quotidien du visible.

André Julliard, anthropologue, université d'Aix-Marseille.


Illustration :
Marabout sénégalais. Lithographie de Jacques François Llanta tirée des Esquisses sénégalaises.


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