mercredi, juin 22, 2011

Quelque chose en nous d'un peu nazi...




L'homme est-il bon ? Est-il méchant ?

Cette controverse hante les philosophes et les moralistes. Elle oppose, depuis plus de deux siècles, les partisans de Hobbes (« l'homme est un loup pour l'homme ») à ceux de Rousseau (« l'homme est bon, la société le corrompt »).

La postérité est injuste envers Rousseau, sur les idées duquel on commet des contresens, et qui a même écrit (Discours sur les sciences et les arts) : « Les hommes sont pervers ; ils seraient pires encore s'ils avaient eu le malheur de naître savants. » Pour Jean-Jacques, le « bon sauvage » (tel que le conçoit plutôt Bernardin de Saint-Pierre, l'auteur de Paul et Virginie) n'existe pas ; c'est un être hypothétique d'avant la civilisation ; un ange dans les nimbes... De fait, aucun humain ne vit hors d'une société. L'Homo sapiens est pétri par ses mythes, sa religion,ses parents, son village, sa culture; y compris, depuis un siècle, par la radio, la télévision ou Internet. Comme dirait madame Évidence, non seulement rien n'a changé, mais c'est toujours la même chose. Au fond, Hobbes a raison : l'homme est animé de pulsions violentes envers son espèce. Mais l'auteur du Léviathan a tort de nous assimiler au loup : celui-ci n'est jamais « grand méchant » pour ses congénères (ne parlons pas de la façon dont il traite l'agneau : nous agissons de même). Canis lupus obéit à des lois sociales. Il adopte des comportements régis par un code. Il indique son humeur par des grognements, des jappements, des hurlements ; par la position de ses oreilles, de ses babines, de sa crinière et de sa queue. Il lui arrive de donner des coups de dents à un congénère, mais sans haine inextinguible, ni désir de vengeance, ni terrorisme aveugle, ni armes de destruction massive. Le meurtre du loup par le loup est tabou, dès lors que le vaincu offre sa gorge en signe de soumission.

Depuis la nuit des temps, le loup a aboli la peine de mort. Les États-Unis et la Chine (le plus riche et le plus peuplé des pays du globe) en sont loin. Le loup est un loup pour le loup. L'homme est bien pire : un homme pour l'homme ! Aucune « bête sauvage » n'aurait jamais assassiné ses congénères comme nous nous y sommes employés à Oradour-sur-Glane ou à Srebrenica. Aucun animal n'aurait pu concevoir et exécuter cet ordre que je tiens pour le plus barbare qui ait été proféré depuis le commencement de l'univers, voici près de quatorze milliards d'années : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens! »

Bien plus que le tigre de Racine, nous sommes « altérés de sang ». Meurtriers, tortionnaires et fiers de l'être... Nous aimons nos reîtres, nos spadassins, nos soudards, nos uhlans, nos mercenaires. Nous louons la soldatesque qui pille et viole. Nous décorons nos « héros ». Nous élevons des statues à ceux qui ont le mieux éventré ou incendié. Nous leur composons des hymnes. Arma virumque cano... (« Je chante les armes et les vainqueurs... ») : le premier vers de L'Énéide de Virgile nous résume. Nos œuvres les plus fameuses sont des épopées rougies de coups d'épée, depuis L’Iliade et La Chanson de Roland jusqu'à La Guerre des étoile ; même si, dans cette dernière, le glaive n'est plus de métal, mais de lumière. La survie de l'humanité au vingt et unième siècle (verra-t-elle le vingt-deuxième siècle ?) dépend de la réponse qui sera donnée à ces questions : notre espèce peut-elle surmonter ses désirs de pouvoir et ses haines nationales, ethniques ou religieuses ? L'homme est-il capable de maîtriser les forces qui le poussent à la tyrannie ? Réussira-t-il à réfréner son agressivité pour tendre vers un but collectif qui le dépasse ? Sauvera-t-il ainsi la planète de la ruine, et - du même coup - sa négligeable espèce ?

Mon cœur voudrait dire « oui ».
Ma raison répond « non ».

Est-il imaginable qu'un jour nous soyons, sur le globe, non pas même soixante mille milliards d'êtres humains, comme l'imaginait Paul Ehrlich (dans neuf cents ans, ce qui nous laisserait un peu de temps...), mais « seulement » douze à quinze milliards en 2100 ? Ou trente-six milliards en 2300 ? Bien sûr que non !

Nous y réussirions si nous étions des termites, des fourmis, des onychophores, des ornithorynques ou des oryctéropes ; des poulets, des veaux ou des cochons de batterie abrutis par la promiscuité, la nourriture industrielle, les antibiotiques et les drogues (je sais : nous y ressemblons ; mais il y a des différences). Nous y parviendrions si nous étions génétiquement modifiés, sans aires du cerveau vouées à la douleur et au plaisir ; et sans matière grise qui puisse imaginer, se mettre à la place d'autrui et élaborer des projets. Autrement dit, ce serait possible si nous étions ces robots biologiques dont rêvent les chefs d'entreprise, les dictateurs et les généraux.

Nous le pourrions si nous étions décérébrés ; privés à la fois de la sphère des émotions et de celle du savoir. Or - le problème est là - nous avons quelque chose dans la cervelle, y compris chez ceux d'entre nous dont le crâne sonne creux. Non seulement nous obéissons à des instincts (ces comportements inscrits dans le patrimoine génétique), mais nous sommes des animaux de savoir et de mémoire, de concept et de langage. Des créatures d'imagination et de projet.

La combinaison de notre animalité et de notre humanité est indissoluble; mais c'est elle qui nous rend méfiants, calculateurs, voleurs, féroces envers nos pareils et prêts à tout pour les asservir – jusqu'au viol, à la torture, au crime et à la guerre.

L'homme est méchant parce que c'est un animal pensant.

Je pense, donc j'asservis.
Je pense, donc j'exploite et j'humilie. Je pense, donc je vole et je tue.

La vérité de la nature humaine est loin du cogito philosophique de Descartes ; plus proche du Prince de Machiavel et de la Juliette de Sade.

Ce que je dois dire à présent me sort avec peine des neurones. Je rougis, je pâlis, mes yeux papillotent, ma bouche se dessèche, mes doigts tremblent sur le clavier de mon ordinateur. Il y a longtemps que je le pense, mais je n'osais l'écrire, par crainte de plaire aux fascistes fiers de l'être - petites moustaches des années trente ou crânes rasés de notre époque. Mon propos consternera ceux qui veulent croire en l'humanité de l'homme, au progrès de notre espèce ou à son salut. Au terme de ce chapitre, je récrirai l'exergue du Capital de Karl Marx : Dixi et salvavi animam meam, « J'ai dit et j'ai sauvé mon âme. » Je me risque.

L'espèce humaine est affreuse, bête et méchante. Nous avons tous en nous quelque chose d'un peu nazi.

Je ne parle pas d'une petite salissure, d'une tache résiduelle, d'une macule en voie de dissolution ou d'un défaut mineur que nous pourrions tenir sous contrôle. Non... J'examine la partie constitutive de notre personne. Je peins la région de nous-mêmes qui nous guide lorsque nous subissons un stress ; lorsque nous avons peur ou que nos intérêts vitaux sont en jeu.

Parce qu'ils se veulent humanistes ou qu'ils croient au paradis, certains d'entre nous endossent le costume de saint Michel et tentent de combattre ce Lucifer de nos tréfonds. Courage ! Je crains que la victoire n'advienne ni à Pâques, ni à la Trinité, ni à l'aïd el-Kébir, ni au Têt, ni à l'occasion d'aucune fête de quelque religion que ce soit.

Que cela plaise ou non, et quelles que soient les indignations du philosophe ou du moraliste, la vérité s'impose : nazis nous sommes.

Certains Homo sapiens le sont en totalité : ils saluent le bras levé et marchent au pas de l'oie. Ils contribuent à la « solution finale » à Auschwitz ; à la rééducation par le travail au goulag ; à la chasse aux ennemis du peuple pendant la révolution culturelle en Chine ; au génocide des Arméniens en Turquie ; ou à la mise en pièces de l'ennemi ethnique en Bosnie ou au Rwanda. Ces actes de gloire constituent des sports de plein air, peu coûteux à pratiquer et excellents pour la santé. À recommander aux grands et aux petits ! On y embrigade d'ailleurs des enfants : jeunesses fascistes, jeunesses communistes et soldats de dix ans font le légitime orgueil de leurs éducateurs.

La majorité des individus de notre espèce incarnent des nazis de petite envergure. Ils barbotent dans le marigot de l'ignominie ordinaire. Ils jouent la vilenie au rabais. Ils saisissent l'occasion de mal faire sur le mode poussif, sans gloire ni système, mais sans hésiter non plus lorsqu'ils sont sûrs de l'impunité. À la fois lâches et cruels, ils perpètrent leurs bassesses en douce. Ils trafiquent au marché noir. Ils dénoncent les Juifs à la Gestapo ou les contre-révolutionnaires à la Tcheka. Puis ils rentrent gentiment chez eux infliger des tortures morales ou physiques à leur conjoint, à leurs enfants ou à leur chien.

De rares individus, qu'on appelle « bienfaiteurs de l'humanité » ou « saints », sont un peu moins pires que les autres. Ils protègent la veuve et l'orphelin. Ils font monter les femmes et les enfants dans les canots de sauvetage. Ils se jettent avec bravoure dans le brasier, tels les « liquidateurs » de Tchernobyl ou les pompiers new-yorkais du 11 Septembre. Ils donnent la moitié de leur manteau comme saint Martin ou soignent les lépreux à Lambaréné comme le docteur Schweitzer. Ils tirent plaisir de leur grandeur d'âme et de leur altruisme. On les admire et on les révère. Ils jouissent d'un statut social élevé. Bien entendu, l'ermite au désert ne croise pas grand monde et reçoit peu de louanges ; mais il se rengorge à l'idée de s'asseoir un jour à la droite de Dieu.

Je cherche l'humanité au fond de l'homme : je n'y vois que la moustache d'Hitler.

Désolé d'être aussi brutal et désespéré...

Le Führer n'est pas un monstre, un psychopathe ou une « bête immonde », ainsi que nous essayons de nous en persuader pour ne pas avoir à regarder en nous-mêmes. C'est un Homo sapiens ordinaire, avec un encéphale de mille trois cents centimètres cubes et cent milliards de neurones (avant Alzheimer). Le petit barbouilleur autrichien prend le pouvoir de façon démocratique, puis cède aux pulsions habituelles de notre espèce. Bilan : quarante millions de morts... J'observe que nous obtenons un résultat voisin avec le sida : quarante millions de séropositifs et trois millions de décès par an.... Nos fantasmes et notre mépris d'autrui lors de nos relations sexuelles sont-ils moins coupables que les délires nazis ? Le bon époux qui fait un extra sans capote, l'homosexuel adepte du « cul nu » (en jargon : bare-back) dans une backroom (« arrière-salle »), le marchand de sang qui contamine des centaines de milliers de Chinois en réutilisant les mêmes seringues sont-ils plus moraux que les soldats du Troisième Reich ? En tant que victime potentielle, je préfère qu'on m'inocule une rafale de mitraillette plutôt qu'un contingent de VIH : ça va plus vite et ça fait moins mal... Pendant ce temps, au Zimbabwe (trente-cinq pour cent de séropositifs), des hommes infectés violent des fillettes en prétendant que le sida est déclenché par la colère des ancêtres et se soigne par la défloration des vierges.

Staline, Mao, Pol Pot, Fidel Castro, Mussolini, Salazar, Franco, Pinochet, pour ne citer que ces figures d'un vingtième siècle en rouge et noir, ne sont pas des « déments ». Pas davantage que les colonels grecs, les tortionnaires français d'Algérie, les nettoyeurs américains de My Lai, l'ayatollah Khomeiny, Ben Laden ou Saddam Hussein. Hélas ! Selon la formule de Nietzsche, chacun d'eux est «humain, trop humain ».

J'applique l'étiquette au big boss bardé de stock-options et (littéralement) cousu d'or, avec son golden hello par-devant et son golden parachute par-derrière : ce personnage, en proportion plus riche et plus puissant que le seigneur du Moyen Âge, humilie et épuise le prolétaire. J'aime l'entendre encenser les bienfaits du libéralisme devant un parterre de journalistes qui lèchent son golden postérieur sans savoir qu'eux-mêmes sont déjà virés...

Humain, trop humain !

Cela vaut pour le trafiquant d'esclaves (même Voltaire avait des intérêts dans la traite des Nègres). Pour le général d'armée qui lance la chair à canon à l'assaut de la tranchée ennemie. Pour le proxénète qui commercialise le sexe d'autrui. Pour le violeur d'enfant qui saccage l'innocence. Pour le flic qui matraque le « basané ». Pour le juge qui met à l'ombre plus vite que son ombre. Pour le petit chef qui harcèle ses inférieurs. Pour le rond-de-cuir qui ricane derrière son guichet... Je n'oublie ni le vainqueur du « Maillon faible » à la télé, ni le vieillard grabataire qui perd ses dernières forces à insulter son infirmière.

Cent pour cent des Homo sapiens sont méchants.

Je me demande si ce que j'ai mangé ce matin est bien passé. Une remontée d'acidité, peut-être? Même pas. Rien qu'un constat. De non-conformité.

Ou d'accident de l'évolution.

Yves Paccalet, « L'humanité disparaîtra, bon débarras ! »


L'humanité disparaîtra, bon débarras !

"Je conçois mal que l'évolution darwinienne, qui ne s'encombre ni de morale, ni de finalité, ni de "dessein intelligent" ait pu favoriser une espèce aussi envahissante, nuisible, mal embouchée et peu durable." Il n'y a pas d'autre conclusion possible : bientôt fini le règne de l'Homme, cet animal borné qui se prétend intelligent mais qui ne cesse d'anéantir son milieu naturel et massacre ses semblables. Dans cet essai écologique, provoquant et teinté d'humour noir où il imagine treize scénarios catastrophes, le naturaliste Yves Paccalet dresse un véritable réquisitoire contre l'humanité. La conclusion est sans appel.


Yves Paccalet. Philosophe, écrivain, journaliste, naturaliste, scénariste, il a participé dès 1972 à l'odyssée sous-marine de Cousteau. Auteur de nombreux articles et ouvrages, il réalise également des émissions de radio et des séries documentaires pour la télévision. L'humanité disparaîtra, bon débarras ! a obtenu le prix du Pamphlet 2006.


Le Saint-Empire Euro-Germanique

"Sous Ursula von der Leyen, l'UE est en train de passer d'une démocratie à une tyrannie."  Cristian Terhes, député europée...