dimanche, août 14, 2011

La religion du « nouveau peuple d'Israël »





Le dollar, image pieuse

Le billet de banque américain d'un dollar, à l'effigie de George Washington, est un symbole religieux.

Cette affirmation surprendra peut-être les lecteurs. Elle pourra sembler à certains extravagante, paradoxale, si ce n'est purement blasphématoire car elle associe la plus haute expression du monde sacré - la religion - à l'objet le plus commun du monde profane – l’argent ; d'autres penseront que l'auteur a voulu faire allusion, de manière métaphorique, au dollar comme symbole de l'argent-roi. C’est en réalité au sens littéral qu'il faut entendre le caractère religieux attribué au billet d'un dollar. Pour preuve, observons le verso du billet.

Au centre, cette inscription: «In God We Trust » (« Nous avons foi en Dieu »). C'est la devise nationale des États-Unis, adoptée officiellement le 30 juillet 1956 sous la présidence de Dwight D. Einsenhower, mais dont la première apparition remonte à l'année 1862 sur une monnaie de deux centimes, tandis qu'une version légèrement différente, « In God Is Our Trust », figurait dans le chant patriotique The Star-Spangled Banner (La Bannière étoilée), en vogue depuis 1814 et qui deviendra en 1931 l'hymne national des États-Unis.

Autour de la devise sont représentées les deux faces du Grand Sceau des États-Unis, choisi en 1776 par Benjamin Franklin, Thomas Jefferson, John Adams, et approuvé par le Congrès après une laborieuse délibération, le 20 juin 1782. À droite, l'aigle américaine aux ailes déployées tenant entre ses serres les flèches de la guerre et un rameau d'olivier, tandis qu’elle a dans son bec un ruban sur lequel s'inscrit une autre devise nationale : « E Pluribus Unum » (« De plusieurs un seul »). La phrase est composée de treize lettres équivalant au nombre de colonies à l'origine de la nouvelle République. L'aigle, en outre, est dominée par une constellation de treize étoiles entourée d’une auréole scintillante. À gauche, une pyramide tronquée, constituée de treize rangées de blocs de pierre carrés qui symbolisent l'auto-gouvernement tandis que l'inachèvement de la construction invite de nouveaux États à se joindre à la République américaine. Sur la première rangée de blocs, gravée en chiffres romains, la date de la Déclaration d'indépendance : MDCCLXXVI. La base de la pyramide est ornée d'un ruban qui porte une inscription extraite d'un vers de Virgile : «Novus Ordo Seculorum » (« Un nouvel ordre des siècles »). Le sommet est dominé par le triangle sacré et l'œil divin que surplombe encore une phrase de treize lettres, extraite elle aussi de Virgile, plantée dans le ciel, comme si elle était prononcée par une voix céleste : « Annuit Coeptis » (« Il a favorisé notre entreprise »).

Le billet d'un dollar est donc effectivement le symbole d'une religion : il exprime une profession de foi qui conifère un halo de sacralité au peuple de la République étoilée, à son origine, à son histoire à ses institutions, à son destin dans le monde. Mais si ses devises et ses images ont incontestablement une signification religieuse, il n'est pas évident d’identifier la religion dont ils témoignent.

Les États-Unis sont peut-être le plus religieux des pays modernes industrialisés, tant ils abritent de confessions religieuses. Cependant, la République étoilée n’est pas un État confessionnel et n'accorde à aucune religion, ni à aucune Église, une place privilégiée dans ses institutions. La Constitution des États-Unis, adoptée en 1787, ne fait aucunement référence à Dieu ou à la divine providence. En outre, le premier amendement, en 1791, garantit la liberté à toutes les confessions religieuses mais refuse explicitement de faire de l'une d'entre elles une religion d'État.

Cela n'empêche pas les États-Unis, nous l'avons vu,de professer officiellement leur foi en Dieu. Depuis l'époque de la Révolution, la nation américaine est convaincue d'entretenir avec l’Éternel un lien particulier et mystique, scellé par un pacte sacré : le peuple américain aurait été élu pour accomplir une mission historique au profit de l'humanité tout entière. La Déclaration d'indépendance, approuvée par le Congrès le 4 juillet 1776, affirme en premier lieu que le peuple américain prétend assumer, « parmi les autres puissances de la Terre, la place séparée et égale à laquelle les lois de la nature et du Dieu de la nature lui donnent droit », et se conclut par un appel « au Juge suprême de l'univers de la droiture de nos intentions », manifestant une « ferme confiance dans la protection de la divine Providence ».

La formule du gage de fidélité au drapeau des États-Unis (The Pledge of Allegiance), institué à la fin du XIXe siècle dans les écoles comme une prière à réciter avant le début des leçons, rappelle ce lien d'élection qui unit la nation américaine à Dieu. Le14 juin 1954, le Congrès a décidé d’y ajouter que les États-Unis constituent «one nation under God », « une nation soumise à Dieu ». Cette référence imprègne aussi les déclarations plus solennelles des présidents des États-Unis. Depuis George Washington, tous les présidents de la République étoilée ont, lors de leur intronisation, conclu leur serment de fidélité à la Constitution par « So help me, God » (« Que Dieu me vienne en aide »), après avoir invoqué la bienveillance de Dieu ou du Tout-Puissant. Lors de son discours d'intronisation, John Fitzgerald Kennedy, premier président catholique, invoqua devant le peuple américain et devant Dieu Tout-Puissant la bénédiction divine sur la nation américaine, consciente d'« avoir fait sienne l'œuvre de Dieu sur cette terre ».

Y a-t-il, dès lors, contradiction entre le principe de séparation de l'État et de l’Église établi par la Constitution, et la profession de foi religieuse que révèlent les devises, symboles et rites politiques des États-Unis ?

Non, car la foi en Dieu ou dans le Tout-Puissant qu’ils expriment est la manifestation d'une forme particulière de religion, qui ne coïncide avec aucune des confessions religieuses professées par les citoyens des États-Unis : c'est une religion civile, c'est-à-dire un système de croyances, de valeurs, de mythes, de rites et de symboles qui confèrent à l'entité politique États-Unis, à ses institutions, son histoire, son destin dans le monde, un caractères sacré.

La religion civile américaine a ses « écritures sacrées » : la Déclarations d'indépendance et la Constitution, protégées et vénérées comme les Tables de la Loi ; elle a ses prophètes, comme les Pères Pèlerins ; elle célèbre ses héros sanctifiés, comme George Washington, le « Moïse américain », qui a libéré de l'esclavage anglais le « nouveau peuple d'Israël », c’est-à-dire les Américains des colonies, et l'a guidé vers la Terre promise de la liberté, de l'indépendance et de la démocratie ; elle vénère ses martyrs, tel Abraham Lincoln, victime sacrificielle assassinée le Vendredi saint de 1865, tandis que la nation américaine était en proie au feu régénérateur d’une cruelle guerre civile pour expier ses fautes et consacrer à nouveau son unité et sa mission. À la figure de Lincoln se sont ensuite ajoutées, dans le martyrologe de la religion civile, celles de John Kennedy et Martin Luther King. À l'instar des autres religions, la religion civile a également ses temples, comme le monument à Washington, le Lincoln Mémorial, le cimetière d'Arlington où est vénérée la tombe du Soldat inconnu, symbole des citoyens morts pour la nation. Enfin, elle a ses sermons et sa liturgie, dont les discours présidentiels d'inauguration, le 4 juillet, fête de l'Indépendance, le Thanksgiving Day, le jour de remerciement, le Memorial Day, en mémoire des hommes tombés au combat, et d'autres cérémonies collectives qui célèbrent figures et événements de l'histoire américaine, mythologiquement transfigurée en l'« histoire sacrée » d’une nation élue par Dieu pour accomplir une mission dans le monde.

Même si la religion civile des États-Unis dérive du protestantisme et en a subi, pendant plus d’un siècle, la forte influence dans son rapport au puritanisme et à la tradition biblique, elle s'est détachée, avec le temps, de cette référence explicite et concrète pour devenir un credo purement civique coexistant avec les confessions chrétiennes ou non chrétiennes. Dans la liberté que reconnait l'État à toutes les religions, elle respecte les religions traditionnelles, chrétiennes ou non, tandis que celles-ci, pour leur part, rendent hommage à la sacralité de la nation, à ses institutions et à ses symboles : le drapeau des États-Unis est exhibé dans nombre d'églises, au-dessus de l'autel ou de la chaire.
Emilio Gentile, « Les religions de la politique ».


Les religions de la politique

La sacralisation de la politique est un phénomène quasi universel à l'époque moderne. Elle survient chaque fois qu'une entité politique - la nation, la démocratie, l'État, le parti, la classe... - se transforme en entité sacrée et devient objet de dévotion et de culte, véritable moteur d'un système de croyances, de mythes, de rites et de symboles, qui subordonne le destin de l'individu et de la collectivité à une instance suprême. C'est alors que naissent de véritables religions de la politique qui ne sont pas l'apanage exclusif de certaines idéologies ou de certains régimes : on peut aussi bien sacraliser la démocratie que l'autocratie, l'égalité que l'inégalité, la nation que l'humanité. Ce sont ces diverses formes de religions politiques que ce livre explore, avec pour perspective de démarquer les religions civiles propres aux démocraties des religions politiques autoritaires, intolérantes ou intégristes. Une analyse, particulièrement d'actualité, qui renouvelle la réflexion sur le fanatisme de masse, les idéologies et le lien politique.


Emilio Gentile enseigne l'histoire contemporaine à l'université de Rome La Sapienza. Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont, traduits en français : La Religion fasciste, Perrin, 2002 ; Qu'est-ce que le fascisme ? folio-histoire, 2004 ; La Voie italienne au totalitarisme, Éditions du Rocher, 2004.

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