vendredi, novembre 18, 2011

Bernard Werber, la philosophie-fiction ou le Nouveau Nouvel Age ?






Werber ? Il est inclassable disent ses lecteurs. Lorsqu’il faut cependant se résoudre à le définir, tous en tout cas récusent l'étiquette science-fiction souvent attachée à ses livres. Certains proposent le mot anticipation mais en ajoutant immédiatement que ses histoires tiennent aussi du roman policier et de la quête spirituelle. Bref, Werber est un genre à lui tout seul, et, comme il reconnaît être lui-même son meilleur public, il a d’ailleurs inventé un terme pour le désigner: la « philosophie-fiction ».

Un genre où les questions importent plus que les réponses et où, pour lui, « philosophie et science se rejoignent dans ce qu’on pourrait nommer la spiritualité laïque ». On semble bien loin de l'ésotérisme, même sous sa forme recomposée : c’est d’ailleurs un terme que les lecteurs n’emploient presque jamais (ils disent plus volontiers qu’il invente une nouvelle religion), tandis que lui-même nie véhiculer des idées proches de celles du New Age, d’un bouddhisme revu par l'Occident et même de l’écologie. Pourtant, tout comme Paulo Coelho, il est l’une des principales références des lecteurs de James Redfield ( auteur de La Prophétie des Andes. Certains ont d’ailleurs commencé des lectures plus directement ésotériques après avoir lu les Thananatonautes ou L’Empire des anges. Deux livres qui, avec Nous les Dieux – le dernier de la trilogie qui, étant lui-même en trois volumes, constituera une nouvelle trilogie. à lui tout seul (les lecteurs s’y perdent) –, sont d’ailleurs à l’honneur dans les vitrines des librairies spécialisées.

Il est vrai que le contenu même de ces derniers livres - NDE, descriptions du paradis, vie des anges gardiens, explications sur le cycle des réincarnations, tout cela étayé par des grands textes religieux ou ésotériques – ne laisse aucun doute sur ses sources d'inspiration. Pourtant, la présence au paradis d’anges historiques – comme Émile Zola ou Marylin Monroe - ou sur Aeden de chimères, de centaures et de toute la clique des dieux grecs, invite très clairement à prendre l'histoire au second degré. Néanmoins, et au-delà même de ces romans, il semble bien y avoir chez Werber un ensemble d’idées qui commence à nous devenir familier. Notons tout d’abord sa volonté, omniprésente, de réconcilier la science et les grandes religions pour aboutir à une nouvelle forme de conscience. Sa façon aussi de mettre systématiquement en relation l'infiniment grand et l'infiniment petit et sa façon de faire varier l'échelle des regards portés sur notre espèce (l'infra-humain avec les fourmis pour qui nous pouvons apparaître comme des dieux, le suprahumain avec les dieux pour qui nous ne valons guère mieux que des fourmis). Son insistance sur la notion même de relativité : d’une certaine façon, et on reviendra plus tard sur sa passion des paradoxes, il n’est d’absolu que dans le relatif. Son adhésion à l’idée de noosphère (qu’il appelle aussi idéosphère) et qui expliquerait les phénomènes de synchronicité et autres bizarreries parfois observables. Sa conviction que l'homme n’a de compte à rendre qu’à lui même et ne doit apprendre que de lui-même (avec la doctrine des 4 A : autodidacte, autonome, anarchiste, agnostique). L'idée que des sagesses anciennes se sont perdues (avec des thèmes comme le chamanisme, le féminin sacré. . .). Le sentiment enfin que si l'homme ne change pas, nous sommes à la veille d'une catastrophe écologique et humaine, avec une vision de l'avenir qui oscille entre optimisme et apocalypse. S’y ajoute bien sûr l’idée corollaire que les hommes de bonne volonté doivent mener une révolution douce, qui, pour lui, doit passer par Internet. Il a d’ailleurs créé un site, dont l'adresse est maintenant indiquée sur la quatrième de couverture de ses livres ( http://www.bernardwerber.com/ ) et qui sert de relais à ses idées. Avec une page d’accueil présentant un tunnel de lumière sur fond de ciel nuageux, ce site n’est pas seulement une annonce de l'actualité de l'auteur, mais un lieu où il parle longuement de lui (il semble intarissable sur le sujet) et plus encore le moyen de constituer une communauté virtuelle composée d’individus qui essayent d’imaginer l'avenir de l'humanité, les internautes participant ainsi à la création des branches de ce qu’il nomme « l'arbre des possibles ».


Toutes ces idées étaient présentes dès les premiers livres de Werber et sont assez couramment répandues pour en devenir presque invisibles ou relever d’un simple humanisme allié à une culture de journaliste scientifique et de passionné de science-fiction (son « maître» étant Philip K. Dick). Il n’en reste pas moins que Bernard Werber semble cultiver une certaine ambiguïté quant à son degré d’adhésion aux histoires qu’il raconte. Parlant des Thanatonautes, il explique par exemple :

« Certains passages ont été écrits en écriture automatique. C'est-à-dire qu’il n’y avait pas d'intention d'intégrer le récit à une intrigue, mes doigts couraient tout seuls sur le clavier et je relisais après pour découvrir ce que j'avais écrit. J'ai très peu changé la structure de la première mouture. Tout simplement parce que je ne comprenais pas bien pourquoi j’avais écrit ça comme ça et que ça m'intriguait. Encore maintenant ce livre exerce sur moi une étrange fascination. Plus tard j'ai d’ailleurs compris pourquoi j’avais ainsi rédigé certains passages. Parfois je rencontre des lecteurs qui me parlent des Thanas et qui semblent avoir compris plus de choses que moi dans ce livre. » (Sur http://www.bernardwerber.com/

Il ne va pas jusqu’à dire qu’il s’est par moment transformé en channel mais c’est bien ainsi que certains comprendront la chose.

De même, il ne cesse de revendiquer le fait qu’il ait enquêté sur les sujets dont il parle et que ses livres s’appuient sur des données scientifiques exactes. Il dit faire de la vulgarisation scientifique, avec certaines libertés toutefois :

« Je me suis fixé une limite qui est la vraisemblable par rapport au vrai prouvé. Dans Vingt mille lieux sous les mers, Jules Verne explique le fonctionnement du sous-marin électrique; quand on le lit on se dit: ça peut exister, ça va exister...

Si un jour je parlais de l'existence de lutins dans les forêts, je ne conclurais qu’après avoir mené l'enquête contradictoire des indices possibles. »

Mais qu’en est-il lorsqu'il s’agit des NDE ou des anges gardiens ?

Dernier exemple, Le Livre du voyage est un véritable manuel de méditation et de développement personnel. C’est le livre dont le lecteur est le héros. Il y est convié à un voyage particulier, une expérience de sortie du corps, dans laquelle il survolera sous la forme d’un albatros les quatre éléments, apprendra à vaincre son ennemi intérieur, à combattre le système, la maladie, la malchance, la mort, à se créer un refuge secret. Il rencontrera ainsi son passé, ses ancêtres, Gaïa la terre qui lui parle, puis la galaxie, avant de rentrer à nouveau dans son corps et de se retrouver le livre entre les mains.

« La particularité de ce voyage, c’est que tu en es le héros principal. Tu l’as déjà été. Mais c’était jusque-là, comment dire, plus... indirect. On ne te l'avait pas signalé mais : Jonathan Livingstone, du roman de Richard Bach c’était déjà toi. De même que Le Petit Prince de Saint-Exupéry, L’Homme qui voulut être roi de Kipling, Le Prophète de Khalil Gibran, le messie de Dune et Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll. Ces héros étaient, encore et toujours, toi. Mais ce n'était pas ouvertement exprimé. » (P. 9.)

Werber y pousse d’ailleurs jusqu’au bout cette manière de contrat que nous avions vu Lee Carroll mettre en œuvre avec ses lecteurs : ne lisez pas ce chapitre si vous pensez qu’il va vous choquer. Ici, c’est le livre qui met le marché en main :

« Si tu n’es pas prêt, mieux vaut nous séparer tout de suite. Si tu te sens mûr pour sceller ce contrat, il va falloir que tu accomplisses un geste... Tu tourneras la page quand tu auras lu la phrase : Alors... tu y vas ? Si tu accomplis cet acte, je considère le contrat comme signé. » (P. 16.)

Il s’agit, nous dit Werber, d’un livre expérimental qui a fait suite à des recherches qu’il a menées sur l'hypnose. Il n’en reste pas moins que cet ouvrage entretient avec la fiction des rapports ambigus, un peu comme le Manuel du guerrier de la lumière de Paulo Coelho.

Que faut-il donc en déduire ? Faut-il y voir une astuce d’écrivain profitant d’une mode, l'évolution de la pensée d’un auteur vers une forme de spiritualité, ou le dévoilement progressif et raisonné d’un message ésotérique dont il se pense vraiment le vecteur ? Impossible d’apporter une réponse.

L'incertitude s’accentue encore et confine au malaise à la lecture d’une interview de Bernard Werber à Nouvelles clés, une des meilleures revues consacrées à la spiritualité, dirigée par Patrice van Eersel, un ancien journaliste d’Actuel qui s’est depuis spécialisé dans les enquêtes sur le paranormal, en particulier sur les expériences de mort imminente. Werber y parle de sa théorie de la VMV, la voie de la moindre violence :

« Parmi tous les possibles, il y en a forcément un qui se réalise avec moins de violence que les autres. Il se peut qu’il faille un peu de violence à court terme pour éviter beaucoup de violence à long terme. Et alors se pose la question inévitable du despote éclairé. Aujourd’hui, en politique, le sujet est tabou. Les sondages l'interdisent. Dès que la nécessité de mesures pénibles approche, tout le monde se sauve. »

Et il est vrai que ses histoires semblent présenter un modèle de gouvernement idéal avec un (ou plus souvent une) leader, éveillé spirituellement, qui constitue une sorte de récepteur de l’énergie qu’elle redistribue à ses sujets, des citoyens éduqués, dynamiques, dotés d’un grand sens des responsabilités. La critique de la démocratie au profit d’une société spirituelle et plus ou moins théocratique est, il est vrai, un topos de la littérature de science-fiction, mais l'adhésion tacite qu’elle semble susciter, chez les jeunes surtout, n’en est peut-être que plus sensible.

Si l’on quitte le fond pour la forme, on se rend compte que l'écriture même de Werber, ou ce qu’il en dit, s'inspire également d’une certaine vision de la tradition ésotérique. Il considère l'écriture comme un artisanat, pour lequel il applique des règles précises, une discipline rigoureuse. Les Fourmis, nous dit-il, a été écrit sur le modèle de l'architecture de la cathédrale d’Amiens. Il (ou plutôt son personnage Jacques Nemrod lancé dans l’écriture d’un roman sur les rats) nous en explique la technique dans L’Empire des anges.

« Je me rends compte qu’il me faut construire un échafaudage qui soutiendra toute l'histoire et fera que les scènes tomberont à tel endroit et non à tel autre, de façon purement aléatoire. Utiliser une structure géométrique ? Bâtir des histoires en forme de cercle ?... déjà vu. Une histoire en forme de spirale ? déjà vu aussi... Je songe à des figures géométriques plus compliquées. Pentagone, Hexagone, Cube, Cylindre. Pyramide. Tétraèdre. Décaèdre. Quelle est la structure géométrique la plus complexe ? La cathédrale. J’achète un livre sur les cathédrales et je découvre que leurs formes correspondent à des structures liées aux dispositions des étoiles dans le cosmos. Parfait, je vais écrire un roman en forme de cathédrale... Je reproduis méticuleusement le plan de la cathédrale sur une grande feuille de papier à dessin et m'arrange pour que les évolutions de mon récit s'intègrent dans ses repères millénaires. Les croisements de mes intrigues correspondront aux croisement des nerfs, mes coups de théâtre aux clefs de voûte. »

Il tentera même une version en « acrostiche », où la première lettre de chaque phrase construisait une autre histoire cachée.

Il revendique aussi de pratiquer une forme d’écriture didactique, non seulement parce que ses histoires ont une morale, comme les fables ou les contes philosophiques, mais parce qu’il larde ses récits d’anecdotes scientifiques, de devinettes, d’exposé de paradoxes célèbres... Dans Les Fourmis, par exemple, il conte simultanément ce qui se passe chez les hommes, ce qui arrive dans la cité des fourmis et cite des extraits de L’Encyclopédie du savoir relatif et absolu d’Edmond Wells, un biologiste et philosophe ayant passé sa vie à étudier la civilisation fourmi, personnage et manuscrit que l’on retrouve dans presque tous les livres de Werber. L’Encyclopédie, publiée indépendamment (sous deux versions : Le Livre secret des fourmis et L’Encyclopédie du savoir relatif et absolu, ESRA pour les habitués) est d’ailleurs devenue le livre culte des amateurs de Werber. Elle est essentiellement composée d’anecdotes scientifiques, de réflexions sur les comportements humains, l'histoire, les rapports entre civilisations, l'univers, mais aussi d’énigmes (carrés magiques, paradoxe d’Épiménide, charade de Victor Hugo...), de décryptages symboliques (les chiffres, les cartes, le nombre d’or, le mot vitriol, la formule abracadabra.. .) et de recettes de cuisine (le pain et les îles flottantes). Statut ambivalent donc que celui de L’Encyclopédie qui, même incluse dans la fiction, n’en reste pas moins un texte argumentatif, mais aussi une sorte de morale permanente, un guide de décryptage. 

On se tromperait cependant en pensant que les livres de Werber sont compliqués. Leurs « secrets» sont plus faits pour être découverts et stimuler le lecteur que pour cacher quoi que ce soit. Leur simplicité stylistique est même l’un des reproches récurrents faits à l’auteur qui réplique en affirmant que seule compte l'intrigue. Tenant de la fable (qui utilise le monde animal pour parler de celui des hommes), du conte initiatique (le lecteur comme le héros doit sortir transformé de l’aventure), et de romans que l'on pourrait qualifier de « civilisationnels » (ceux qui inventent des mondes), ces histoires sont incontestablement construites pour toucher le plus grand nombre et apporter du plaisir. Werber est un conteur qui se préoccupe de ceux à qui il s’adresse. Et son public le lui rend bien. Car les lecteurs de Werber sont des fidèles qui ont tout lu de lui, et même si certains préfèrent la trilogie des fourmis et d’autres celle des Thanatonautes, tous en tout cas adorent L’Encyclopédie du savoir relatif et absolu.

Claudie Voisenat et Pierre Lagrange, L'ésotérisme contemporain et ses lecteurs.



L'ésotérisme contemporain et ses lecteurs







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