Le but ultime du yoga, « l'enstase
sans semence », est atteint quand, « le dernier voile
mental est écarté et le yogin demeure dans une vision sans voile,
une pure sérénité. Il n'y a plus de graines ou germes de l'esprit
entraînant la séparation avec la Réalité absolue, ultime, le
Divin. C'est le parfait samâdhi, enstase ou illumination ; ce qui se
passe peut être illustré par cette métaphore : une danseuse finit
sa représentation pour un spectateur royal, après avoir satisfait
le désir du maître souverain ; l'intellect, comme la danseuse, se
sépare de l'âme (le maître royal), âme qui devient ce qu'elle est
depuis toujours, par essence, libre et éternelle, le Purusha
(le Mâle, la Conscience pure statique, la substance ultime de toute
créature), non troublée par l'intellect (qui a fini sa danse) ;
ou encore : « De même que la lune n'est pas rattachée à l'eau,
dans laquelle cependant elle se reflète, de même la Conscience
éternellement immuable est disjointe de la matière et de ses
manifestations (dont les flux du mental), elle n'est pas troublée
par elle » ; ainsi, le Soi se contemple lui-même, il ne se pense pas
(l'intellect, bien que pont vers la connaissance, ne pouvant
connaître que ce qui est phénoménal), puisque la pensée est
elle-même une expérience, un phénomène, et donc appartient la
Nature (Prakriti, la Femelle, la substance inconsciente éternellement
active, la matière/énergie primordiale) ; la douleur, qui
prend racine dans le mental, est donc niée comme telle, tout ce qui
arrive n'appartient plus à la Conscience libérée : « Il n'est
rien de plus sensible que la Prakriti ; dès qu'elle s'est dit : «
Je suis reconnue », elle ne se montre plus aux regards de l'Âme »
(Kârikâ, 61). C'est l'état du Délivré vivant (jivanmukta),
libéré du Temps, du Devenir : le sage vit encore en ce monde dans
son individualité, parce qu'il est comme la roue du potier qui
continue à tourner à cause de la vitesse acquise (le karma/acte
passé), bien que le pot (la Réalisation de l'âme) soit déjà
achevé (Kârikâ, 67). A la mort effective du corps et de l'esprit de
ce yogin réalisé, l'âme du Délivré vivant est enfin affranchie
du cycle des réincarnations. »
Dino Castelbou