Deux journalistes français, Eric Laurent et Catherine Graciet, « ont
été arrêtés jeudi à Paris, soupçonnés d'avoir fait chanter le
royaume du Maroc en demandant 3 millions d'euros pour ne pas publier
un livre contenant des informations compromettantes ».
Le
journaliste Eric Laurent, classé parmi les auteurs complotistes,
a-t-il comploté, avec la complicité de la journaliste Catherine
Graciet, contre la monarchie marocaine ? Les deux journalistes
sont-ils victimes d'un complot revanchard ?
Le
roi du Maroc n'avait pas apprécié le livre « Le roi prédateur », écrit par Eric Laurent et Catherine Graciet.
« Depuis
son accession au trône, écrivent les journalistes dans « Le
roi prédateur », Mohammed VI a pris le
contrôle de l’économie du Maroc dans l’arbitraire le plus
absolu. Une stratégie d’accaparement marquée par la corruption
effrénée de ses proches. » [...]
« Le
revenu annuel par tête d’habitant au Maroc était en 2009 de 4 950
dollars, soit moitié moins que celui des Tunisiens et des Algériens.
Pourtant, ce pays pauvre doté d’un État faible est une source
inépuisable de satisfaction pour le roi. En s’octroyant la plus
grande partie de l’économie du pays, il accroît une fortune
personnelle déjà immense, tandis que le budget (modeste) de l’État
prend en charge toutes ses dépenses. Règle numéro un : le
souverain et sa famille ne paient aucun impôt. Règle numéro deux :
sur ce sujet, l’opacité et le silence sont la règle, et cette
très généreuse « couverture sociale » octroyée au monarque et à
ses proches ne souffre aucun débat.
La
première Constitution, élaborée en 1962 par Hassan II, mentionnait
pudiquement : « Le roi dispose d’une liste civile. » Près de
cinquante ans plus tard, le projet de la nouvelle Constitution,
élaboré par son fils, reprend, en son article 45, les mêmes termes
lapidaires. Une discrétion à laquelle les membres du Parlement sont
sensibles. Toutes tendances politiques confondues, ils votent chaque
année sans discuter, et à l’unanimité, le budget annuel octroyé
à la monarchie. Pour expliquer cette touchante passivité, un député
confia un jour à un journal marocain : « Généralement, on n’ose
même pas prononcer les mots “budget royal” au moment du débat
sur la loi de finances.
»
Mohammed
VI se voit ainsi verser chaque mois 40 000 dollars, un salaire royal
dans tous les sens du terme, puisqu’il est deux fois plus élevé
que celui du président américain et celui du président français.
Les pensions et salaires royaux, d’un montant annuel de 2,5
millions d’euros, englobent les émoluments versés au frère du
roi ainsi qu’à ses sœurs et aux princes proches. Le tout sans
qu’il soit dit un mot de la ventilation entre eux. Tous les membres
de la famille royale perçoivent en outre leur propre liste civile,
versée par l’État marocain en contrepartie de leurs activités
officielles ; le plus souvent bien modestes. La générosité du
contribuable marocain, mis ainsi à contribution, sert à financer
celle du roi. Sous la rubrique « Subventions du roi et de la Cour »,
31 millions d’euros (310 millions de dirhams) sont en effet
octroyés au souverain afin qu’il les redistribue, selon son bon
vouloir, en dons et subventions. Une somme dont l’usage échappe
naturellement à tout contrôle, mais on sait qu’au temps d’Hassan
II elle servait en partie de caisse noire pour s’assurer les
faveurs de certaines personnalités politiques, marocaines ou
étrangères, et récompenser pour sa fidélité l’étrange tribu
française des « amis du Maroc », composée de journalistes,
d’académiciens, de médecins, d’avocats et d’anciens
responsables des services de renseignements…
Chaque
année, tous ces « bénéficiaires » recevaient un carton
d’invitation frappé aux armoiries royales, les conviant à la fête
du Trône, ainsi que des billets d’avion de première classe. Dans
la cour du palais, inondée de soleil, où se retrouvaient tous
les corps constitués, ils formaient une masse sombre, distincte. La
Légion d’honneur à la boutonnière, pour la plupart d’entre
eux, ils respiraient la satisfaction et la respectabilité.
Manifestement honorés de faire partie des « élus », ils
attendaient avec impatience le moment où ils pourraient enfin
s’incliner devant le roi en lui baisant la main. »
Ce livre a produit de redoutables inimitiés des
deux côtés de la Méditerranée.