dimanche, septembre 21, 2008

Sagesse et encroûtement


Avoir des idées incrustées dans son cerveau, et une haute opinion de ses mœurs singulières ; rompre avec le monde et faire bande à part ; parler haut et critiquer les autres ; en un mot se conduire en pédants ; voilà comme font ceux qui vivent en anachorètes sur les monts et dans les vallées, contempteurs des voies communes, lesquels finissent par mourir de faim, ou noyés dans quelque torrent.

Discourir sur la bonté et l’équité, la loyauté et la fidélité ; pratiquer le respect d’autrui, la simplicité, la modestie ; en un mot, se contraindre en tout ; voilà comme font ceux qui prétendent pacifier le monde et morigéner les hommes, maîtres d’écoles ambulants ou sédentaires.

Exalter leurs mérites, travailler à se faire un nom, ergoter sur les rites et l’étiquette, vouloir tout réglementer, voilà comme font ceux qui fréquentent les cours, politiciens en quête d’un maître à servir, d’une principauté à organiser, d’alliances à monnayer.

Se retirer au bord des eaux ou dans des lieux solitaires, pêcher à la ligne ou ne rien faire, voilà le fait des amants de la nature et de l’oisiveté.

Respirer en mesure, évacuer l’air contenu dans les poumons et le remplacer par de l’air frais, aider sa respiration par des gestes semblables à ceux de l’ours qui grimpe ou de l’oiseau qui vole, voilà comme font ceux qui désirent vivre longtemps, les imitateurs de P’eng-tsou. (Pengzi. Personnage de la mythologie chinoise, symbole de la longévité.)

Tous ceux-là sont des cinglés*. Parlons maintenant des hommes sérieux.

Avoir des aspirations élevées, sans préjugés préconçus ; tendre à la perfection, mais non d’après le schéma bonté-équité ; gouverner sans viser à se faire un nom ; ne pas se retirer du monde ; vivre sans gymnastique respiratoire ; tout avoir, et ne faire cas de rien ; attirer tout le monde, sans rien faire pour cela, voilà la voie du ciel et de la terre, celle que suit le Sage taoïste.

Vide, paix, contentement, impassibilité*, silence, vue globale, non-intervention, voilà la formule du ciel et de la terre, le secret du Principe et de sa vertu. Le sage taoïste est impassible*, simple, désintéressé, aucune tristesse ne se glisse dans son cœur, aucune convoitise ne peut l’émouvoir ; sa conduite est parfaite ; ses esprits vitaux restent intacts. Durant toute sa vie il agit à l’instar du ciel, à sa mort il rentre dans la grande transformation. En repos, il communie au mode yin ; en mouvement, au mode yang, de l’univers. Il ne cause à autrui, ni bonheur ni malheur. Il ne se détermine à agir, que quand il y est contraint, quand il ne peut pas faire autrement. Il rejette toute science, toute tradition, tout précédent. Il imite en tout l’indifférence opportuniste du ciel. Aussi n’a-t-il rien à souffrir, ni du ciel, ni des êtres, ni des hommes, ni des fantômes. Durant la vie il vogue au gré des événements ; à la mort il s’arrête. Il ne pense pas à l’avenir, et ne fait pas de plans. Il luit sans éblouir ; il est fidèle sans s’être engagé. Durant le sommeil, il n’éprouve pas de rêves, durant la veille, il n’est pas mélancolique. Ses esprits vitaux étant toujours dispos, son âme est toujours prête à agir. Vide, paisible, content, simple, il communie à la vertu céleste.

La douleur et la joie sont également des vices, l’affection et le ressentiment sont pareillement des excès ; qui aime ou hait, a perdu son équilibre. Ne connaître ni déplaisir ni plaisir, voilà l’apogée de la vertu ; être toujours le même, sans altération, voilà l’apogée de la paix ; ne tenir à rien, voilà l’apogée du vide ; n’avoir de rapports avec personne, voilà l’apogée de l'impassibilité* ; laisser aller, laisser faire, voilà l’apogée du désintéressement.

La fatigue musculaire incessante use le corps ; la dépense incessante d’énergie, l’épuise. Voyez l’eau. De sa nature, elle est pure et calme. Elle n’est impure ou agitée, que quand on l’a troublée en la violentant. Voilà la parfaite image de la vertu céleste, calme spontanéité. Pureté sans mélange, repos sans altération, sérénité sans action ; mouvement conforme à celui du ciel, inconscient, sans dépense de pensée ni d’effort ; voilà ce qui conserve les esprits vitaux.

Le possesseur d’un excellent sabre de Kan-ue, le conserve soigneusement dans son fourreau, et ne s’en sert qu’aux grandes occasions, de peur de l’user en vain. Chose étrange, la plupart des hommes se donnent moins de peine pour la conservation de leur esprit vital, plus précieux pourtant que la meilleure lame de Kan-ue. Car ce principe de vie s’étend à tout, depuis le ciel en haut jusqu’à la terre en bas, aux transformations de tous les êtres, étant si peu sensible qu’on ne saurait le figurer, confondant son action avec celle du Souverain (ici le Souverain cosmique, l’âme du monde). Intégrité et pureté, voilà ce qui conserve l’âme et l’empêche de s’user. Dans son état d’intégrité et de pureté, elle communie à la règle céleste (synonyme de Souverain, ci-dessus). De là les aphorismes suivants :

Le vulgaire estime la fortune, le lettré la réputation, le savant le but, le Sage l’intégrité de son esprit vital. Le principe de vie, c’est la pureté et l’intégrité qui le conservent. Pureté veut dire absence de tout mélange, intégrité signifie absence de tout déficit. Celui dont l’esprit vital est parfaitement intègre et pur, celui-là est un homme vrai.

Tchouang-tseu

*) Le traducteur, Léon Wieger (1856 - 1933), utilise le vieux terme de philosophie "apathie", indifférence, impassibilité. Ce mot ayant pris le sens de "indolence", il est remplacé par "impassibilité".
"Toqués" est remplacé par "cinglés".



Thomas Merton a écrit au sujet de Tchouang-tseu : " Tchouang-tseu considérait la vie comme un tout – et comme un mystère – que l’on ne pouvait saisir simplement dans une doctrine claire, avec des explications logiques de ce que sont les choses, qui trouve son application dans des coutumes sociales ordonnées et des schémas de conduite. Il tendait à quelque chose de plus, à quelque chose d’inexprimable, mais que l’on pouvait vivre : l’ineffable tao. "

Le Ch’an était imprégné de sagesse taoïste :

" Ni la tradition, ni la doctrine, ni la discipline, ni les œuvres n’ont d’importance. Tout est vain et impermanent, hors la vue intérieure. La Bodhi, la sagesse, est le résultat d’une intuition du cœur : elle a pour condition un état de paix et de repos, nécessaire pour oublier les illusions et les mirages extérieurs. Le seul péché est de ne point vivre dans la quiétude qui permet la concentration de la pensée. Dès que celle-ci peut s’appréhender elle-même, simple et toute pure, le salut est acquis, et, dès lors, n’existent plus ni la vie ni la mort, ni la chaîne sans fin des renaissances. L’illuminé est un Bouddha : pour lui, le temps n’est plus, l’illumination est la permanence même, réelle et subjective à la fois. Aucune méthode n’y conduit ; elle n’est point matière d’enseignement, ou plutôt l’enseignement n’y prépare que de très loin et de manière négative, parce qu’il permet d’écarter les illusions. La sagesse ne se manifeste pas extérieurement ; il ne peut y avoir de communications entre maître et disciple (rien n’est plus vain que le raisonnement) sauf par des interjections dépourvues de sens qui révèlent de concrétisation et de condensation de la pensée. " Marcel Granet.

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On peut se payer la tête du Dalaï-lama au centre Vajra-yogini :

http://www.vajra-yogini.com/visite.ssdl2008.html
(info communiquée par Jacques)


Chacun est un éveillé qui s’ignore

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