mercredi, février 25, 2009

Syndrome tantrique et déviation pathologique de l'énergie spirituelle



Les centres du bouddhisme tantrique sont souvent l’antichambre de l’hôpital psychiatrique. Les observateurs objectifs remarquent les troubles du comportement d’un nombre non négligeable de pratiquants des méthodes tantriques. Que se passe-t-il ?

De nos jours ce ne sont pas de véritables maîtres qui enseignent les méthodes d’éveil de la Kundalini. Ce sont des businessmen avides et indifférents aux troubles psychiques qui se déclarent parmi leurs élèves après des week-ends, des retraites, des séminaires lucratifs d’initiation ou d’éveil de la Kundalini.


Le psychiatre Jacques Vigne connaît bien les techniques spirituelles orientales. Il écrit :

" Quelles que soient les méthodes qu’on utilise pour éveiller la Kundalini, il faut garder présents à l’esprit deux éléments de discrimination :

- Certains éveils baptisés pompeusement du nom de Kundalini peuvent n’être que des éveils sexuels à peine sublimés.

- Les soi-disant "voies rapides" peuvent être des voies rapides vers la névrose… Par exemple, le Dr J Donnars, de Paris, m’a dit qu’il voyait en consultation de plus en plus de rescapés de week-ends où ils avaient pratiqué des techniques d’éveil rapide de l’énergie et qui présentaient des bouffées délirantes aiguës : la plupart finissent par s’en remettre, mais pourquoi risquer des accidents qui peuvent dégoûter à vie du chemin intérieur ?"

Contrairement aux affirmations des gourous lubriques, la sexualité est toujours sublimée par les véritables maîtres. En outre, ces gourous obsédés sont de véritables agents corrupteurs dont les enseignements conduisent inévitablement à la névrose ou à la psychose. Les débordements sexuels des gourous sont souvent justifiés par des commentaires fallacieux comme, par exemple, "A Commentary on the Kalachakra Tantra Taught by Geshe Lharampa Ngawang Dhargyey", déjà évoqué dans un précédents post.http://bouddhanar-1.blogspot.com/2007/03/commentary-on-kalacakra-tantra.html (Cliquer sur le document pour l’agrandir).

Des gourous, sous l’emprise de la colère, de l’avidité et de fortes pulsions sexuelles, prétextent la "folle sagesse" pour justifier leurs débordements. En réalité, leurs agissements indiquent clairement l’inversion de la sadhana (la pratique spirituelle).

Symptômes de déviation pathologique de la Kundalini par le docteur Jacques Vigne 

1) Le vrai signe de progrès spirituel, ce ne sont pas les expériences de méditation spectaculaires ou les visions, mais c’est le changement dans la vie quotidienne, en particulier la manière dont on réussit à maîtriser la colère et à sublimer la force sexuelle, ce qui n’est pas facile. Shankaracharya dit dans un distique célèbre : "Le désir, la colère et l’avidité (kama-krodha-lobha) sont trois voleurs qui demeurent dans le corps et dérobent le joyau de la Connaissance : c’est pourquoi éveille-toi, éveille-toi, éveille-toi !" Le redressement même du dos lié à la montée de l’énergie peut facilement dévier vers la colère ; on dit que la Kundalini qui sort de sa torpeur se dresse comme un serpent frappé à coups de bâton… ce n’est pas rien.

2) Il y a des similarités intéressantes entre les variations d’humeur d’un aspirant dont la Kundalini est en train de s’éveiller et la cyclothymie. Certains patients en état hypomaniaque ou maniaque présentent des signes de Kundalini éveillée ; c’est ce que j’ai pu observer en retournant, après cinq ans en Inde, faire une visite dans un hôpital psychiatrique à un patient maniaque avec des idées mystiques, qu’un ami psychiatre m’avait dit d’aller voir. Les signes communs étaient une joie irrépressible, une sympathie avec l’univers entier, un sens de l’humour aiguisé, la générosité, le don des associations rapides, une volonté d’entreprendre de grandes actions pour le bien du monde. Mais contrairement au sadhaka, le patient maniaque ne réussissait pas à maîtriser les aspects négatifs de cette excitation. Il avait un trouble du comportement social et sexuel peu commun, qui l’avait fait interner par la police. Il avait aussi un trouble du comportement alimentaire : il avait tellement soif qu’il s’est mis, lorsqu’on a tardé à lui apporter sa dixième bouteille d’eau de la journée, à boire l’eau des toilettes…

3) L’éveil trop rapide de la Kundalini peut donner un tableau qui ressemble à une bouffée délirante aigüe, mais :

- le sujet n’est pas grinçant, il a peu de conflit avec son entourage. Il souhaite plutôt qu’on le laisse tranquille ;

- son rire n’est pas ambivalent ;

- les conseils qu’il reçoit de ses voix intérieures sont plutôt positifs ;

- il est fortement décidé à résoudre ses problèmes par lui-même.

- Pour de tels cas, le meilleur est un environnement discret, tolérant et qui comprend les grandes lignes de l’évolution spirituelle et de ses crises.

4) L’hystérie est une déviation tentante, si les sujets sont convaincus, avec le groupe auquel ils appartiennent, que l’éveil de la Kundalini doit se manifester par des mouvements étranges ou spectaculaires. En premier des attitudes théâtrales, ils peuvent bénéficier secondairement de la reconnaissance du groupe. Ceci dit, pourquoi faudrait-il culpabiliser ceux qui apportent un vent frais de folie mystique dans notre société de normosés, parfois normosés jusqu’au suicide ? Nous nous moquons des clercs qui voyaient dans les convulsionnaires de Saint-Médard des possédés de Satan, mais ne faisons-nous pas sortir trop facilement, pour des sujets qui cherchent leur voie spirituelle, le diagnostic d’hystérie comme le diable de sa boîte ? Evidemment, des textes trop détaillés sur la Kundalini, et j’y inclus le mien, peuvent suggérer des expériences construites chez des gens influençables avec le risque ensuite qu’ils croient qu’ils ont eu un éveil complet. Peut-être serait-il mieux de ne rien écrire et de laisser la Kundalini elle-même diriger son propre éveil…

5) Syndrome du dhat : il s’agit d’un syndrome névrotique connu en Inde. Dhat vient du sanskrit dhatu qui signifie "élément" constitutif du corps. Dans ce contexte particulier, dhat fait référence à la semence virile que les patients atteints de ce syndrome se plaignent de perdre par des excès hétéro- ou auto-érotiques. Ils attribuent à cette perte fatigue, dépression, anxiété, etc. En fait, il ne s’agit pas d’un syndrome d’éveil de la Kundalini, mais à l’inverse de déplétion. Ce qu’il a de névrotique, c’est qu’il produit un écart trop grand entre un idéal de pureté complète et une réalité quotidienne qui n’y ressemble guère, ainsi qu’une culpabilité tellement intense qu’elle paralyse tout effort pour améliorer les choses d’une manière ou d’une autre. Ceci dit, il ne faut pas se hâter de coller des étiquettes pathologiques. Il se peut qu’il y en ait, parmi ces patients, qui aient une vocation réelle au célibat (bramacharya) si valorisé dans le contexte indien. S’ils ont une pratique du Yoga correcte et l’aide d’un maître spirituel compétent, ils arriveront, comme un certain nombre de yogis à chaque génération, à une compréhension et à un contrôle de leur sexualité et de leur mental qui leur assureront, si ce n’est la Libération, au moins une grande liberté d’être.

6) L’inflation de l’ego est une déviation moins spectaculaire, mais plus fondamentale, de l’éveil de la Kundalini ; de ce fait, on pourrait dire que le problème central de cette montée d’énergie est l’"egolâtrie". Au lieu de développer une forte spiritualité, le yogi développe un ego rigide. Le Yoga donne des siddhis, des pouvoirs dont il faut éviter de se servir. L’un d’eux est le pouvoir d’influencer les autres, et ce pouvoir doit être abandonné par le sadhaka qui n’est au fond responsable de personne d’autre que de lui-même. Contrairement aux religions ordinaires, le Yoga n’encourage pas le prosélytisme.

7) Après l’egolatrie, nous avons déjà fait allusion à l’"énergolâtrie", l’idolâtrie de toute expérience d’énergie quelle qu’elle soit. Au départ, cette faim d’expérience à tout prix est une réaction saine contre l’intellectualisme ambiant ; mais après, il est bon de développer une maturité, une discrimination, et de se mettre à faire la part entre les expériences qui vont réellement dans le sens d’une libération et celles qui compliquent plutôt la vie, parce qu’elles ne sont par exemple pas assez purifiées. Plutôt que de rester fasciné par l’expérience elle-même, on peut essayer de l’observer comme si elle était projetée sur un écran, et se demander quel est cet écran.

8) Les signes physiques : Un cas intéressant à ce propos est celui de Krishnamurti. Il a eu à l’âge de 26 ans, à Ojai en Californie, une expérience qui influença toute sa vie. Cette expérience dura trois mois en 1922 et revint cinq mois en 1925 ; elle continua ensuite en filigrane pendant quarante ans. Selon Pupul Jayakar, dans sa biographie de Krishnamurti (traduite en français), l’expérience initiale a été vécue par l’entourage comme l’éveil de la Kundalini chez Krishnamurti, passage nécessaire pour qu’il puisse être réellement considéré comme le Messie de la Société théosophique. Nous avons déjà signalé que Leadbeater, l’éducateur de Krishnamurti, avait écrit un livre sur les chakras. Pendant trois mois donc, Krishnamurti était en dehors de son corps, comme halluciné ; mais son sommeil restait bon, ce qui va à l’encontre du diagnostique de bouffée délirantes aiguë. Après trois mois, les choses se sont débloquées : krishnamurti a senti la douleur qui montait le long du dos jusqu’au milieu du front. Cette douleur qu’il appelait "le processus" le suivra jusqu’à un âge avancé, dès qu’il cherchait à se reposer.

Tous ces effets secondaires ou déviations possibles de l’éveil de la Kundalini ne doivent cependant pas faire oublier que cette énergie primordiale est avant tout la grande guérisseuse. Une fois que les voies d’énergie (nadis) sont ouvertes, le yogi peut jusqu’à un certain point éliminer nombre de maladies à leur début. Néanmoins, il y a un risque à vouloir asservir la Kundalini, même avec de bonnes intentions de départ, en vue d’un travail de guérison, surtout s’il est pratiqué de manière professionnelle. La Kundalini est une reine qui ne se laisse pas réduire facilement au rôle de servante.

"Soigner son âme, méditation et psychologie", Jacques Vigne, éditions Albin Michel.



Le plan dirigé contre l’Esprit

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