samedi, juillet 24, 2010

Prendre le sannyâsa


Aux origines, - comme ce fut autant le cas dans le monachisme chrétien primitif, - prendre le sannyâsa c’était simplement quitter sa maison et son village et partir sur les routes ou bien aller dans la jungle. Tout au plus était-ce de recevoir d’un autre moine ou sâdhu le vêtement symbolique, comme on le voit dans l’histoire de saint Benoît – pour autant qu’on jugeât un vêtement spécial ou même un vêtement tout court nécessaire. Est-ce que Jésus n’avait pas lui-même posé comme seule règle à l’usage de quiconque voulait vraiment parvenir au Royaume : « Va, vends tout ce que tu as, donnes-en le prix aux pauvres et viens avec moi » (Mat. 19.21). Plus tard seulement la vie de sannyâsa, tout comme le monachisme chrétien, s’organisa et des prescriptions détaillées furent formulées à son endroit.

Une initiation rituelle trouva vite une place et il est intéressant de remarquer qu’elle comprend un sacrifice (yajña), en effet le père qui prenait le sannyâsa devait faire la transmission rituelle à son fils de tout ce qu’il avait et de tout ce qu’il représentait dans la société par les mêmes formules qu’il était supposé le faire au moment de la mort :

« Quand on sent que l’on va mourir, on dit à son fils :
« Tu es la connaissance sacrée, tu es le sacrifice, tu es le monde » (Brihad âranyaka Upanishad 1.5.17 et Sannyâsa Upanishad 1).

Cependant cette cérémonie n’est strictement nécessaire que pour ceux qui ont reçu les samskâras (1) successifs de l’initiation brahmanique et qui dès lors ne peuvent – théoriquement du moins – être déliés de leurs obligations familiales, religieuses et sociales que par un nouveau rite. De nos jours encore les renonçants ne manquent pas qui ne se plient à aucun rite. Swami Râmdâs par exemple prit lui-même la robe de Kâvi après s’être plongé dans les eaux de la Kavery à Srirangam. C’est en particulier le cas des avadhûta qui ne prétendent ni au nom ni au rang de sannyâsi mais en vivent l’idéal sans aucune compromission plus que n’importe qui. Ramana Maharshi un jour quitta définitivement la maison familiale et s’en vint à Arunâchala. Un siècle plus tôt, dans ce même Tamil Nadu, c’était un Sadâshiva Brahmendra qui laissa sa maison, le jour même de son mariage, puis l’ashram de son gourou et partit pour toujours, lui aussi silencieux et nu, en errance perpétuelle sur les rives de la Kavery.

Le vêtement kâvi ne vise certes pas à faire du moine une classe à part dans la société ainsi que c’est malheureusement trop souvent compris. Plus qu’un quatrième âshrama ou état de vie succédant aux trois premiers, étudiant, homme marié maître de maison, et de retiré dans la forêt, le sannyâsa est bien plutôt un atyashrama, au-delà de tout état. […]

Pour sa nourriture, la règle du sannyâsî est qu’il doit la prendre comme on prend un remède, jamais pour le goût, juste comme une nécessité « indispensable pour le maintien du souffle vital ». Il va sans dire qu’il doit suivre un régime strictement végétarien. […]

Finalement le sannyâsi n’a plus d’acte à accomplir, (de karma) il est libéré de tout devoir en ce monde même envers son propre corps. Il ne peut plus gagner sa vie, car toute son activité est concentrée sur le regard intérieur.

Sa pauvreté et sa liberté souveraine se manifesteront tout autant dans son vêtement. On couvre le corps juste comme on le nourrit, parce qu’il est pratiquement impossible de faire autrement. Les Upanishads supposent même que vêtement diminue à mesure que son porteur s’enfonce davantage dans l’expérience intérieure. Finalement le sâdhu devrait se contenter de n’importe quel haillon abandonné le long de la route, juste un linge passé entre les cuisses (kaupînam), ou même mieux, rien du tout. Il n’a cure du qu’en dira-t-on ; il ne porte rien pour que ce soit remarqué, encore est-il que cette nudité au-dehors ne saurait aller sans un dépouillement correspondant à l’intérieur ; - autrement ce serait tomber dans l’exhibitionnisme.

Libres de tous soucis et de tous désirs, le sâdhu s’en va à travers le monde comme quelqu’un qui n’a rien à faire avec le monde. « Usant de ce monde comme s’ils n’en usaient pas vraiment. » (I Cor. 7.29-32) Rien n’est capable de l’affecter ; il est comme un aveugle, un sourd et muet disent les vieux textes de l’Inde. Compliments et injures sont la même chose pour lui ; il a dépassé la zone des dvandvas, ces couples de contraires tels que peine et joie, faveur et mépris, chaleur et froid. Il ne voit plus de dvandva nulle part, il ne juge personne et ne se compare à personne, il ne se considère ni « au-dessus », ni « au-dessous » de qui que ce soit. Dans sa vision de l’âtman, du Soi, il a transcendé tous sens de différence : à qui désormais se sentirait-il « autre » ? […]

Cela ne veut pas dire néanmoins que le sannyâsî passe son temps à méditer, en samâdhi, comme on dit si souvent de façon impropre. Selon l’enseignement de Ramana Maharshi, le samâdhi le plus haut est le sahaja samâdhi (lttéralement : le samâdhi inné) un état devenu complètement naturel, en lequel il n’y a plus d’évasion ou d’extase hors des perceptions des sens ou du mental comme dans le nirvikalpa samâdhi, lequel comporte automatiquement dualisme, mais bien plutôt le jñânî (2) demeure totalement présent à soi-même et à tout dans la clarté indivisible de l’âtman. La prière du sannyâsî, comme sa vie entière, n’est point faire ou agir, mais simplement ETRE. Méditation, concentration, recueillement, sont mots encore beaucoup trop « activistes » pour traduire ce qu’est sa prière et sa communion par le dedans avec Celui auquel il n’est plus capable de donner aucun nom.

Cette description de la vie intérieure et extérieure du sannyâsî paraîtra sans doute trop idéaliste pour être possible, pourtant elle est fondée sur les textes scripturaires. Elle correspond vraiment à ce qui peut encore être observé aujourd’hui si l’on a le darshana – non sans doute des « Mahâtma » de publicité, - mais de quelque humble renonçant errant ou solitaire, qui le plus souvent se tient à l’écart et demeure inconnu des hommes.

En fait, comme le dit la Tradition, il y a deux sortes de sannyâsa, ou plutôt d’appel à la vie de sannyâsa : le vidvat-sannyâsa ou le renoncement spontané et le vividshâ-sannyâsa ou renoncement recherché. Le premier, vient spontanément, il s’empare pour ainsi dire de l’homme, que celui-ci le veuille ou non. C’est une sorte d’impulsion intérieure, de lumière qui aveugle ; ainsi arriva-t-il à Paul aux portes de Damas. Le cas le plus fameux dans l’Inde contemporaine est celui de Ramana Maharshi, et il ne faudrait pas croire que ce soit quelque chose de si exceptionnel. Il est absolument sans importance alors que l’homme passe ou non par l’initiation rituelle, il sera bien plutôt alors, l’avadhûta, le renonçant total de la tradition primitive, avant qu’une législation quelconque n’en ait fixé les modalités. […]

L’autre alternative est de prendre le sannyâsa en vue d’obtenir jñâna, la sagesse, et moksha, le salut. Et il est merveilleux que toute la tradition de l’Inde recommande à l’homme de consacrer la dernière phase de sa vie à l’unique quête du Soi, dans un dépouillement total qui anticipe la mort.

Henri Le Saux, « Initiation à la spiritualité des Upanishads »

(1) Samskâra : « sacrements » qui sacralisent rituellement chaque nouvelle étape de la vie de celui qui appartient à une des trois castes supérieures.
(2) Jñanî : le sage, celui qui « sait », l’éveillé au Réel, le « réalisé ».


Henri Le Saux (qui adopta le nom indien de Abhishiktananda), né le 30 août 1910 à Saint-Briac (France) et mort le 7 décembre 1973 à Indore (Inde) est un moine bénédictin breton, figure mystique du Christianisme indien, qui contribua beaucoup au dialogue entre le christianisme et l'hindouisme.
Après des études au séminaire de Rennes, il entre à 19 ans à l'abbaye bénédictine de Sainte-Anne de Kergonan, qui dépend de la congrégation de Solesmes. Ordonné prêtre en 1935, il assure les fonctions de bibliothécaire et de professeur avant d'être mobilisé en 1939. Fait prisonnier en 1940, il réussit à s'évader.
En 1945, il entre en contact avec l'abbé Jules Monchanin, qui s'est consacré à l'étude de l'Inde et des liens entre le christianisme et la spiritualité indienne. En 1948, Henri Le Saux rejoint Jules Monchanin en Inde. Ensemble, les deux hommes fondent en 1949 un ashram au lieu dit Shantivanam (« le bois de la paix »), sur les rives du fleuve Kâverî. L’ashram est dédié au Saccidânanda, c'est-à-dire, selon les Upanishad, au Brahmâ, Être, Pensée, Béatitude. Les deux ermites préparent ainsi la venue d’une spiritualité authentiquement indienne de la sainte Trinité.
Après s'être rendu en 1949 au pied de la montagne de Shiva Arunachala (à environ 100 km à l'ouest de Pondichéry) en compagnie du père Jules Monchanin et avoir rencontré Ramana Maharshi, Henri Le Saux est profondément bouleversé et cherche à entrer plus profondément dans la compréhension du mystère de l'Inde sans pour autant renoncer à sa foi chrétienne. Un intense débat intérieur, un combat s'engage en lui entre sa part chrétienne et occidentale et sa part indienne : il écrit, dans son journal La montée au fond du cœur quelques poèmes qui témoignent de ces questionnements.
Après avoir un certain temps résidé comme ermite sur la montagne d'Arunachala, Henri Le Saux - qui a pris, après sa rencontre avec un maître spirituel tamoul Gnanananda, le nom d'Abhishiktananda - commence une vie d'errance (il visite alors de nombreux couvents et fréquente des rencontres interreligieuses) une partie de l'année et une vie d'ermite dans la région de Rishikesh,aux pieds de l'Himalaya, le restant de l'année. Il entretient également une riche correspondance avec de nombreuses personnalités.
Il meurt en 1973 après avoir, selon les très brefs textes qui nous sont restés de cette époque et que l'on trouve dans La montée au fond du cœur, vécu une expérience d'union à Dieu. Il est enterré à Indore, en Inde.

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De vieux textes hindous nous mettent en garde contre la décadence et le mal, symbolisés par Nirrita et Nirritî. Nirrita et Nirritî guident les anglo-saxons et d’autres nations avides. Mais voilà que la Hongrie rembarre le FMI et critique le capitalisme spéculatif. L’empire de la bête se heurte-t-il à une véritable sédition ?

Chacun est un éveillé qui s’ignore

Le buffle représente notre nature propre, la nature de l’éveil,  la nature de Buddha, l’Ainsité (et la vacuité) Le Chemin de l’Eveil Le dres...