vendredi, octobre 01, 2010

L’Erotique


Par Jean-Louis Bernard

L’Erotique grecque gravitait autour d’Eros et de Dionysos, celui-ci dieu des mystères, cultes secrets. Avec la fin des religions à mystères et la semi-laïcisation de la religion romaine, l’Erotique se pervertit en « orgie latine ». Mais, primitivement, le terme « orgie » signifia chez les grecs « érotisme sacré ».

La doctrine

La doctrine visait à la sublimation de l’élan érotique. Le principe de ce yoga (c’en est un) se retrouve chez les Egyptiens, Mésopotamiens, Hindous, Chinois, Japonais et Mexicains. Sans doute les grecs de la haute époque le reçurent de l’Egypte, plus tard de l’Inde. il se peut d’ailleurs que Dionysos soit le même que le Krishna hindou, dieu de l’amour, car les Romains qualifiaient Dionysos de « Bacchus indien ». L’Erotique demeura une voie spirituelle aussi longtemps que subsistèrent des temples de l’érotisme sacralisé, en particulier le temple égyptien de Ptah et de ses parèdres, Sekmet et Bastet (Memphis), où vivaient des courtisanes sous contrôle clérical – les fameuses prêtresses de Bastet. C’est avec la fin du culte de Cybèle que disparut tout support sacerdotal et l’érotisme (comme aussi l’occultisme) passa en marge.

En Grèce et à Rome, les principaux arcanes de l’Erotique avaient été, avec Dionysos, Artémis et Cybèle. L’histoire enregistre cependant des résurgences réussies, quoique brèves : la secte des « Fedeli d’amore » dans l’Italie de la Renaissance, et l’Erotique des troubadours. De nos jours, la doctrine s’est rétablie par l’influence croissante du tantrisme hindou. Mais il ne s’agit encore que d’empirisme.

La doctrine s’inspirait d’une démarche insolite : l’homme tombait amoureux de la déesse – l’Eternel Féminin – l’Aphrodite surgissant nue et blonde de la mer, mais amoureux charnellement ! La chronique grecque rapporte à ce sujet d’ahurissantes anecdotes, relatives à des hommes épris d’une statue de déesse, en un temple. Mais il faut observer que certains temples étaient habités par une forme spectrale, de nature divine, et la chronique fait état aussi de fréquentes apparitions de telles formes semi-matérialisées, celle en particulier d’Aphrodite. Tout son dynamisme érotique tendu, l’amoureux en venait au désir de jouir de la déesse, à travers la femme d’abord (prêtresse de la déesse ou son médium occasionnel), puis à travers son propre organisme, par la possession et par l’ivresse dionysiaque. Pour la femme, le programme était le même, Eros, image de l’Immuable Masculin, devenant l’objectif visé. En cas de succès, l’homme ou la femme éprouvait une volupté érotique dans l’organisme entier (l’ivresse dionysiaque). Il va de soi que l’extase toute sensorielle des deux saintes Thérèse, celle d’Avila et celle de Lisieux, amoureuses idéalement de Jésus, s’inscrit dans le même contexte. Mais le processus n’est pas sans danger : risque de mythomanie, de folie mystique et une forme de narcissisme pouvant mener à l’inversion sexuelle. La grande poétesse Sappho de Lesbos dont les chansons se fredonnèrent sur tous les rivages méditerranéens, fut le résultat probable d’une Erotique manquée – au point de donner son nom à l’homosexualité féminine et de mourir, croit-on, par suicide. Elle était pourtant une mystique. Mais son adoration pour Artémis tourna au narcissisme.

La base naturelle

Le principe de l’Erotique trouve sa justification dans une loi naturelle et uniforme qui préside à la croissance psychique de l’homme comme de la femme. Si, en effet, l’adorateur d’Aphrodite peut espérer jouir de la déesse par l’intérieur de lui-même, c’est en vertu de la loi d’analogie. Tout homme porte en lui, imprimé dans son inconscient immédiat, le germe du sexe opposé, mais sur plan évidemment surréel (l’anima) ; et cela est vrai pour la femme (l’animus). Diviniser ce germe de sexe complémentaire, après éclosion et croissance, n’est-ce pas l’identifier à la déesse (ou au dieu) ?

La croissance psychique de tout être est étroitement liée à la sexualité et s’opère par cycles. Le second suit l’enfance et met en place l’entité sexuelle. Ce stade coïncide avec la puberté. Le cycle suivant, plus délicat, doit développer justement le germe sexuel surréel et complémentaire. Ce n’est pas chose aisée, et les cas de croissance monstrueuse, déviée, hypertrophiée ou, inversement, de castration, abondent aujourd’hui – par l’influence d’une sociologie freudienne que des psychologues sans ampleur ont faussée. Mais les cas normaux abondent aussi ! La femme d’affaires qui gère une entreprise s’appuie sur sa virilité intérieure qui est ce pôle épanoui. L’artiste aux mains de femme, à la sensualité féline, à l’humeur capricieuse puise sa force et son inspiration (sa liberté aussi) dans sa féminité intérieure qui s’est identifiée à une muse. Un choc – grande joie ou grande douleur – suffit à donner vie à cet autre pôle sexuel qui grossira en soi comme un fœtus. Il ne demande qu’à naître et croître, car telle est la loi de nature. S’il se met à enfler sans contrôle, sans résistance et contrepoids extérieurs (ceux-ci liés à la mère ou au père), il va défigurer la personne (l’adolescent ou l’adolescente), surtout moralement, écrasant sa personnalité sexuelle, son moi. La société moderne présente trop d’exemples de ces monstres psychiques dont l’infirmité, si elle n’est apparente, existe néanmoins. La femme survirilisée donne la virago, bourreau des mâles et providence des avocats. L’homme surféminisé donne la bonne à tout faire, providence de l’épouse paresseuse : un tel homme lave, repasse, fait la cuisine (souvent mieux qu’une femme), lange le bébé… Dans le cas extrême, on aboutit à l’écrasement total de la sexualité : à l’homosexualité. L’introverti est littéralement possédé par son pôle féminin hypertrophié comme par un démon, au point de devenir une caricature de femme ; et il en va de même pour la lesbienne. A noter que de tels « monstres » se marient volontiers entre eux et sont superficiellement heureux. Mais leur vie conjugale tiendra davantage du vaudeville que du roman d’amour, et les deux conjoints envieront au fond d’eux-mêmes les couples normaux.

De notre temps, avec la prospérité, est apparu un phénomène sociologique qui fausse, dans une certaine mesure, le « jeu » de l’Erotique : c’est le féminisme. L’histoire montre que prospérité et féminisme ont toujours été solidaires. Il en résulte un matriarcat déguisé qui virilise la femme et dévirilise l’homme. A cela s’ajoute l’influence de l’argent et de la pseudo-philosophie de l’« unisex », celle-ci étant à la fois la rançon du féminisme et une fatalité astrologique (déséquilibrante). En annulant la contrainte extérieure, notamment la lutte pour la vie, l’ambiance d’argent développe anarchiquement l’entité anima-animus qui se mue alors en une sorte de mère abstraite et chaotique ou de père équivalent. Les jeunes grandis ainsi identifient volontiers ce monstre intérieur à une idéologie totalitaire, par exemple au marxisme, au fascisme… ; car l’anima-animus surdéveloppé se fait entité collective, farouchement anti-individuelle (1). Autre rançon du féminisme : la pilule. Prise sans discernement, c’est-à-dire constamment, elle identifie la jeune fille en fausse Artémis – stérile comme une abeille ouvrière – dressant aussitôt contre elle les arcanes de la nature (ses lois secrètes). Or la stérilité est un signe de fin d’espèce. Loin de devenir des hommes par leurs mœurs, les « jeunes filles à pilules » tombent au niveau d’une sous-prostitution (elle ne comporte même plus la transaction d’argent). L’alternance entre périodes avec et sans pilules s’impose donc. A remarquer que les liaisons dites freudiennes (« mariages à l’essai » ou « expériences » sans risques) retirent immédiatement à la jeune fille son magnétisme féminin. L’arcane essentiel de la nature – l’Eternel Féminin – se venge ainsi.

La solution est dans la dialectique du couple que soude l’amour (la déesse est amour), mais dans un dialogue qui sous-entend le réflexe d’autodéfense, l’un ne voulant pas que l’autre croisse intérieurement à ses dépens ou sans lui. En sanskrit, « dialogue, dialectique » = « tantra » d’où tantrisme, = le yoga sexuel ou l’érotisme mystique. Mais, souvent, la femme ressent en insaisissable rivale cette femme surréelle (l’anima) qui prend consistance en son conjoint, et la jalouse. Quant à l’homme, il craint que sa compagne finisse par se suffire à elle-même et lui échappe. Les unions de gens qui évoluent au vrai sens (intérieurement) sont toujours chaleureuses et orageuses. Les couples sans histoire (une chaumière et deux cœurs) stagnent et vieillissent. Ne relèvent pas non plus de l’Erotique les couples sans amour (donc sans déesse), ni les couples homosexuels (la déesse n’a nulle ambivalence), ni les couples multiples qui relèvent, eux, du sabbat, l’érotisme de troupeau. L’érotique rapproche l’être de son double ; le sabbat satanique ou luciférien l’identifie à son ombre. Quelle que soit la forme du sabbat, il y aura déperdition d’énergie – magnétique, vitale ou tellurique – au profit du meneur de jeu, généralement un marout.

L’enfer conjugal

La dialectique du couple mène souvent l’un des partenaires vers une forme empirique de tantrisme qu’aucune école n’a cherché à codifier, encore qu’elle soit très efficace ! C’est le cas de l’homme ou de la femme dont le conjoint est un être démoniaque. Cernée jour et nuit par une ambiance inhospitalière, la victime se replie sur elle-même, afin de découvrir en son âme inconsciente les énergies qui nourriront son instinct de survie. Coulant peu à peu vers le conscient, ces complexes énergies construiront l’anima ou l’animus. Le dramaturge italien Pirandello osa garder à son foyer une épouse, folle agressive, la supportant et méditant l’arcane de sa folie. Par réaction, grandit en lui une anima qui devint la muse de son théâtre. Vivre avec un être névrosé ou négativement possédé, c’est développer à la longue des pouvoirs paranormaux d’autodéfense, pouvoirs de démonologie, et sécréter l’antidote aux poisons subtils de la névrose. Pour cette raison, des tantrika(s) de l’Inde recherchent la jeune fille portant en elle une tare psychique, germe d’un démon… Puis ils l’épouseront. Ils la reconnaissent à de menus signes extérieurs.

Amour et mort

Les Egyptiens, soucieux d’aller au bout des choses, recherchaient, eux, le pire des démons humanisés, c’est-à-dire le marout – l’être à l’âme morte… L’Egypte regorgeait de momies, de tombeaux pillés et, par conséquent, d’ombres non décomposées (les ombres mortes) errant parmi les vivants en s’immisçant dans les rêves des dormeurs, en particulier dans leurs rêves érotiques. Certaines ombres, plus tenaces que les autres, obsédaient des femmes enceintes dans le but de s’incarner à la place de l’âme de l’enfant. Il en résulterait des êtres infra-humains, sans essence spirituelle : des marout(s). Epouser un tel marout, c’était entrer vivant au tombeau en épousant la mort. N’ayant pour arcane qu’un résidu d’âme, stagnant comme de la vase, le marout contaminait les ambiances auxquelles il s’intégrait. Il y avait donc le risque de se décomposer « sur pied », par l’effet d’une lèpre psychique. Un faux mystique l’aurait accepté par esprit morbide. Le vrai, jouant dangereusement avec la loi des contraires – l’un devant engendrer l’autre – prenait en quelque sorte appui sur le marout pour exacerber par réaction son instinct de vie. Il subirait le marout sexuellement. Celui-ci lui boirait sa vitalité par l’érotisme, en cours de déduit et, plus encore, en cours de sommeil, par une subtile vampirisation. Mais, avec l’aide des dieux et par révolte de son instinct de vie et de survie, se produirait un renversement de sa force sexuelle qui, se détournant du vampire, remonterait vers l’intérieur de lui-même, ouvrant un à un ses chakram. Un conte égyptien (« Le prince Satni-Khamoïs et les momies ») relate l’aventure d’un tantrika avec un marout. Satni rêve de pouvoirs magiques. Il veut retrouver, enfoui dans un tombeau, le « Livre de Thôt » contenant les mot magiques (runes), testament du dieu de la magie. Mais ses fouilles archéologiques ont troublé l’humeur de la déesse de mort Mers’gher (= Celle qui aime le silence) : elle dirige vers lui un marout sous le masque d’une prêtresse-courtisane de Bastet. Il est fasciné. C’est que l’âme pourrie des marout(s) rayonne négativement ; il en émane un relent de drogue qui soûle le côté morbide de l’âme humaine ! La structure d’un marout est anale (au sens de la psychanalyse), elle ne s’oriente que vers la décomposition, sous toutes les formes possibles. Le marout ruinera d’abord Satni financièrement, puis dépouillera ses enfants de leur part d’héritage. Quand enfin la courtisane consentira à se donner, non sans avoir exigé encore que Satni laisse égorger ses enfants, se produira l’intervention des dieux. Ils sauveront les enfants in extremis et feront éclater le vampire pendant le déduit (anal).

Les mystères

Les mystères grecs et latins (ceux-ci étrusques) réalisait la maïthuna collectivement, semble-t-il, selon des recettes perdues. Sans doute que l’ambiance du temple ou de la grotte initiatique favorisait le processus de reflux de la force d’Eros. Il ne semble pas que l’acte sexuel, simple ou multiple, ait joué de rôle dans l’affaire. A Pompéi, un villa suburbaine de style grec, miraculeusement épargnée par le Vésuve, retrace encore, sur fresques, les phases du rituel préparatoire.

Au 18ème siècle, le marquis de Sade inversa les éléments des mystères érotiques grecs en moderne sorcellerie et en sabbat des lucifériens, faisant déboucher cette contrefaçon sur le crime et l’absurde. Au sein d’une noblesse biologiquement épuisée, le sadisme (doctrine de Sade) joua comme un cancer. Le sadisme déboucha aussi sur la guillotine ! Celle-ci extirpa le cancer, mais de manière chirurgicale…



(1) Lire le livre de Michel Maffesoli « Le temps des tribus », note de Bouddhanar.


Métaphysique du sexe


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