jeudi, décembre 02, 2010

Les disciples américaines de Baha Bharati


Ce Baha Bharati, dont j’ai connu quelques-unes des victimes, avait, pendant un séjour en Amérique, endoctriné plusieurs dames, les incitant à l’accompagner aux Indes dans un ashram où, sous sa direction, elles développeraient leurs facultés spirituelles de façon à accéder à des plans d’existence infiniment supérieurs à celui accessible au commun des mortels. Environ une douzaine de femmes crédules s’embarquèrent et payèrent en plus de leurs frais de voyage, ceux du maître ainsi que des contributions matérielles destinées à l’installation matérielle de l’ashram.

Dès qu’il eut pris pied sur le sol de l’Inde, le gourou s’éclipsa, abandonnant son troupeau. Aucun ashram n’attendait les disciples américaines. La plupart d’entre elles se trouvaient sans ressources. Les consulats intervinrent ; quelques-unes d’entre elles furent rapatriées, d’autres trouvèrent des emplois de dames de compagnie ou d’institutrices dans des familles de la haute société indienne.

Je rencontrai plusieurs d’entre elles dont l’une, qui possédait une certaine fortune, fit transférer ses fonds et passa environ deux ans aux Indes.

Une autre s’obstina à y rester, bien qu’elle n’eût aucun fonds à faire transférer. Elle était pourvue de grades universitaires et, en Amérique, avait occupé un poste dans l’enseignement. elle fut employée tour à tour comme institutrice, gouvernante et secrétaire, mais chaque fois pour peu de temps. Les Indiens ont l’humeur changeante et se lassent vite de leurs « protégés ». La vieillesse vint et la malheureuse tomba dans la plus navrante misère.

Mal guérie des « aventures spirituelles » malgré sa fâcheuse expérience faite avec Baha Bharati, elle avait successivement adhéré à la plupart des sectes hindoues, y cherchant en vain le guide capable de la conduire vers les mondes fantasmagoriques dont elle rêvait.

Je l’ai vue, à la fin de sa vie, loger sous un escalier dans une maison indienne où on la gardait par charité.

Frustrée dans sa recherche d’un maître, elle en avait imaginé un invisible qui résidait, elle ne savait pas trop où : dans un endroit inaccessible des Himalayas, ou dans des régions extra-terrestres. Il lui donnait, disait-elle, des enseignements qu’elle percevait en esprit d’une façon mystérieuse (1). Les facultés mentales de la pauvre femme paraissaient troublées. Finalement, des étrangers s’émurent de sa détresse et la firent hospitaliser. J’appris qu’après un bref séjour elle était morte à l’hôpital où elle avait été transportée.

Les cas analogues sont nombreux. Le leurre des « Iles fortunées » et des régions imaginaires, soit terrestres, soit spirituelles, agit toujours, et toujours des pèlerins se mettent en route vers elles et échouent misérablement sans avoir atteint aucune rive heureuse, faute d’avoir compris qu’il n’est d’« Iles fortunées » qu’en nous-mêmes et que le seul guide sûr c’est nous (2).

Alexandra David-Neel

(1) Les cas de ce genre sont assez nombreux chez les mystiques. On peut les rapprocher du phénomène de l’inspiration. La plupart des gens religieux ne croient-ils pas que Dieu et d’autres personnalités invisibles, les saints, les anges gardiens leur parlent, leur dictent la conduite qu’ils doivent tenir, etc. D’autre part, ils croient aussi que Satan lui aussi leur tient des discours perfides propres à leur faire commettre des actes mauvais. Puis, ne faut-il pas ranger dans la même catégorie, ceux qui imaginent qu’il existe une « voix de la conscience », considérant la conscience comme une sorte d’entité indépendante de l’activité physiologique de l’individu, capable de converser avec lui pour lui rappeler un code moral élaborer en dehors de lui par un législateur mythique.

(2) « Soyez à vous-même votre propre flambeau et votre propre refuge. » (Précepte du Bouddha dans le « Parinibhâna sutta).

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