lundi, janvier 10, 2011

Le millénarisme politique





La fin des temps – pour moi – ce n’est pas très évocateur. J’ai été trop mobilisé par l’autre alternative de la fin des temps qui est la fin d’un monde. Le millénarisme est cette croyance en l’avènement généralement imminent de la fin d’un monde terrestre, religieux ou global, et son remplacement par un autre monde, mais sur cette terre. Il tire son nom de la période de mille ans qui s’écoule entre la première et la seconde résurrection dans le chapitre 20 de «l’Apocalypse selon saint Jean », chapitre qui a fait l’objet de milliers et de milliers de spéculations, de commentaires et de chronosophies…


Le millénarisme ne désigne pas, comme on le croit généralement, la terreur millénariste, la terreur de l’an mil. Bien sûr, il y a quelques mouvements millénaristes aux alentours de l’an mil, mais ce sont des anecdotes par rapport à tout ce qui s’est passé au Moyen Age. Tous les mouvements joachimites sont très postérieurs à l’an mil ; ils ont une autre stature que la terreur de l’an mil : tous les flagellants, une partie des croisades, la guerre des Paysans, la guerre hussite, le soulèvement travailliste de 1341, etc. Et puis c’est un phénomène récurrent, il recommence tout le temps.


Il y a eu de mouvements millénaristes jumelés à des jacqueries paysannes et menés par des bodhisattva


Mais non, le millénarisme n’est pas particulier aux religions judéo-chrétiennes ! Le mahdisme, en islam, est quelque chose de fantastique ! Dans le bouddhisme, on en trouve sous d’autres noms : en Chine, aux 5ème et 6ème siècles, il y a eu, en cent ans, cinq ou six grands mouvements millénaristes jumelés à des jacqueries paysannes et menés par des bodhisattva… Quant aux Indes, on pourrait écrire un livre « gros comme ça » sur les prophétismes sociaux qui y sont nés !


En effet, le millénarisme n’est qu’une péripétie de l’eschatologie, mais c’en est une péripétie majeure. J’ai plus spécialement étudié les millénarismes à configuration messianique, c’est-à-dire des mouvements qui escomptent la fin d’un monde et le début d’un autre, sur terre, dans un contexte religieux et rédempteur, et dans lesquels on trouve un personnage équipé d’une conscience particulière, d’une parenté spéciale avec Dieu. Il est plus qu’un prophète, c’est un organe de Dieu. Comme Kimbangu au Congo en 1920. J’ai un livre en préparation sur lui qui s’appellera : « le Sacré et l’Administration ».


Evénements millénaristes et cultes de possession


Mais, désormais, j’oriente mes recherches davantage vers les parentés entre ces événements millénaristes et les cultes de possession. Je suis très intéressé par l’homologie qui existe entre le personnage messianique et un haut personnage de l’Histoire, et qui se traduit dans le culte de possession par la descente des dieux et l’identification avec le dieu. Il y a une « transe messianique » qui ressemble à la transe du culte de possession. D’ailleurs, admirez comme la dialectique du cheval et de la monture, qu’Alfred Métraux déterminait dans le vaudou, est exactement la même que la dialectique de saint Augustin ou celle de Luther sur les rapports de l’âme et de Dieu dans la possession par l’Esprit !


Des réseaux qui peuvent donner naissance à une autre civilisation 


Il y a deux grandes catégories de messies millénaristes, les pacifiques et les violents, mais dont les caractéristiques se recoupent parfois dans le temps. Le premier type pratique la grève, la grève autogestionnaire, en rupture avec la société dominante. Il fonde des microsociétés équipées pour se passer de la société. Ces micro-ermitages forment des réseaux qui peuvent donner naissance à une autre civilisation : les premières communautés chrétiennes étaient de ce type ; ou, avec une autre configuration, le culte du cargo dans le Pacifique, où on retourne à la contre-société d’avant la civilisation. Non, ce n’est pas un phénomène de régression, mais une recherche d’identité, une lutte contre l’aliénation oppressive.


L’appel à la guerre Sainte 


L’autre catégorie est la société violente, l’appel à la guerre Sainte, au Jihad… comme Thomas Münzer et la guerre des Paysans, en Allemagne, ou tous les millénarismes violents du Moyen Age.


A notre époque


Oui, nous sommes dans une période de millénarisme. Je dirai d’ailleurs que la politique est infestée de millénarisme latent, sécularisé. Sommes-nous entrés dans une période qui peut justifier les espoirs millénaristes, ou en sommes-nous sortis ? A mon avis, c’est un commencement. Mais ce sera un cycle, vous savez, de millénarismes, c’est une composante anthropologique, une dimension de l’homme, une dimension de l’espérance poussée à bout, acculée, désespérée. C’est une dimension archétypique de la conscience humaine, de la personne et des groupes humains !


Henri Desroche, initiateur du Groupe de sociologie des religions fondé en octobre 1954 et de sa revue Archives de Sociologie des Religions est élu, en 1958, directeur d'études à l’École Pratique des Hautes Études. Sa thèse d’État, soutenue en 1970, s'intitule Messianismes, utopies et sociologie des religions. Il a publié 17 livres.
(Ces propos ont été recueillis par Tchalaï Dermitzel au cours d’un entretien pour « Question de ».)


  
Dieux d’hommes  
Dictionnaire des messianismes et des millénarismes, du 1er siècle à nos jours


Un dictionnaire exhaustif concernant les trois traditions abrahamiques.
Après une Introduction éclairant le phénomène millénariste et celui de l'Attente, Henri Desroche, en historien ne tenant pas compte des mythes religieux mais des faits avérés dont témoignent les textes rédigés à la même époque, nous propose un dictionnaire des millénaristes et des Messies du 1er siècle à nos jours, dans les traditions juives, chrétienne et musulmane. Près de 1000 notices, complétées à sa demande, font de cet ouvrage un livre essentiel pour tous ceux que passionne l'histoire de religions, indissociable de celle des mentalités.
Préface d'Emile Poulat.




Illustration : 
Le Kibanguisme http://www.ejcsk-munich.com/messagespirit.html

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