lundi, février 28, 2011

Marxisme & anarchisme






L'histoire du marxisme et de l’anarchisme repose sur des malentendus. Marx est trop souvent confondu avec le marxisme, et l’anarchisme avec Ravachol. On ne se souvient plus que Marx et Bakounine ont été très proches. Bakounine montrait un grand enthousiasme pour le « Capital », « une analyse profonde, lumineuse, scientifique ». Et, en 1864, Marx écrivait à Engels : « Je l'ai revu hier [Bakounine] pour la première fois depuis seize ans, je dois dire qu’il m’a bien plu [...]. C’est une des rares personnes rencontrées qui, après seize ans, n’ait pas fait une évolution en arrière, mais en avant. »


En 1872, le congrès de l’Internationale réuni à La Haye vote l’exclusion de Bakounine. C’est de cette exclusion que date la séparation radicale entre socialistes autoritaires et socialistes libertaires.


Alors que Marx pense que le prolétaire seul constitue l’avant-garde et mettra fin au régime capitaliste, les anarchistes sont peu favorables à « la masse » et parlent de « minorité agissante ». Ils se méfient de ce « prolétariat » censé s’emparer du pouvoir et devenir la classe dominante. Le prolétariat, disent les marxistes, n’exercera pas d’une manière définitive sa domination de classe, mais établira un nouveau type de société où, les classes sociales ayant disparu, le pouvoir disparaîtra lui-même. Le problème est que le marxisme ne fixait aucune limite à la dictature du prolétariat.


Les anarchistes exigent la mort subite de l’État, alors que les marxistes parlent de mort lente. Si lente que le parti bolchevique au pouvoir en URSS n’en vit pas la fin.


Si les anarchistes, comme les marxistes, aspirent à ce que l’État, force d'oppression, soit détruit, les anarchistes refusent cette mort lente dont parle Engels et l'étape intermédiaire de la dictature du prolétariat. 


« Nous sommes les ennemis déclarés de tout pouvoir officiel, dit Bakounine, même si c’est un pouvoir ultra-révolutionnaire. […] Nous voulons l’abolition de l'Etat, certainement, et nous entendons par là l’abolition du gouvernement et du régime politique [...] mais nous n’entendons pas le moins du monde reconstituer ensuite cet Etat sur des bases nouvelles. L’Etat restera bel et bien aboli, le gouvernement ne renaîtra plus de ses cendres » (Bulletin de la Fédération jurassique, 20 septembre 1874).


A quoi Engels réplique :« Dès qu'il n’y a plus rien à réprimer, rien de ce qui rendait nécessaire un pouvoir spécial de répression, un Etat […] l’intervention d’un pouvoir d’Etat, devient superflue dans un domaine après l’autre, et entre ensuite d’elle-même en sommeil, le gouvernement des personnes fait place à l’administration des choses [...]. L’Etat n'est pas “aboli”; il meurt [...]. Cela permet de juger ce que vaut la revendication des dénommés « anarchistes », qui veulent que, du jour au lendemain, l’Etat soit aboli. »
  
Le malentendu entre Marx et marxisme a été analysé d'une manière assez stupéfiante, dans « Marx, critique du marxisme (1974), par Maximilien Rubel, responsable de l'édition des œuvres de Marx dans La Pléiade: « Le triomphe du marxisme, écrit Rubel, comme doctrine d’Etat et idéologie de parti, a précédé de quelques décennies la divulgation des écrits où Marx a exposé le plus clairement et le plus complètement les fondements scientifiques et les intentions éthiques de sa théorie sociale […]. Le marxisme est le plus grand, sinon le plus tragique, malentendu du siècle [...]. Idéologie dominante d’une classe de maîtres, le marxisme a réussi à vider les concepts du socialisme et du communisme, tels que Marx et ses précurseurs les entendaient, de leur contenu originel, en lui substituant l’image d’une réalité qui en est la totale négation. »


Rappelons que Marx fut proche de Bakounine, Rubel affirme que Marx a effectué une « dénonciation passionnée du pouvoir d’Etat » et il accorde à l’œuvre de Marx « une place éminente parmi les contributions à une théorie de l’anarchisme ». Mieux, Maximilien Rubel va jusqu’à prétendre que Marx fut le « premier à jeter les bases rationnelles de l’utopie anarchiste et à en définir un projet de réalisation ».


Michel Ragon, « Dictionnaire de l’anarchie ».




Dictionnaire de l'anarchie


Se situant en dehors des partis et les récusant tous, l'anarchie se singularise par l'association tumultueuse de tendances parfois contradictoires. Michel Ragon, depuis longtemps témoin engagé de l'épopée libertaire dont il fut le grand romancier (La Mémoire des vaincus), rassemble ici pour la première fois les éléments d'un Dictionnaire de l'anarchie, véritable mise en récit de cette aventure méconnue mais capitale. Dictionnaire des principaux militants de l'anarchie et de ses théoriciens, tels Proudhon, Bakounine, Kropotkine, ce livre est aussi un dictionnaire de tous ceux qui se sont réclamés ou se réclament de la pensée libertaire, comme Breton et Camus, Céline et Dubuffet, Richard Wagner et Oscar Wilde... Dictionnaire des hommes, mais aussi des idées et de la pensée anarchiste dans le monde contemporain, de son influence, souvent méconnue, voire occultée.



Le plan dirigé contre l’Esprit

La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...