lundi, février 14, 2011

Que dois-je faire pour me délivrer ?






A la question « Que dois-je faire pour me délivrer ? », le Zen répond : « Vous n'avez rien à faire puisque vous n’avez jamais été asservi et qu'il n'y a en réalité rien dont vous ayez à vous délivrer. » Cette réponse peut être mal comprise et sembler décourageante parce qu’elle renferme une équivoque portant sur le mot « faire ›. Chez l'homme ordinaire, « faire » se décompose, de façon dualiste, en conception et action, et c'est à l’action, à l’exécution de ce qu’il a conçu, que l’homme applique le mot « faire ». En ce sens, le Zen a raison, nous n'avons rien à « faire › ; tout s'arrangera spontanément et harmonieusement dans notre « faire » quand nous cesserons justement de nous appliquer à le modifier d'une façon quelconque et que nous travailleront uniquement à éveiller notre foi endormie, c'est-à-dire à concevoir l'idée primordiale que nous avons à concevoir. Cette idée totale, comme sphérique et immobile, ne conduit évidemment à aucune action particulière, elle n'a aucun dynamisme particulier, elle est cette pureté centrale du Non-Agir à travers laquelle passera, non troublé, le dynamisme spontané de la vie naturelle réelle. Aussi peut-on et doit-on dire qu'éveiller et nourrir cette conception n'est rien « faire » au sens que ce mot a nécessairement pour l’homme ordinaire, et même que cet éveil dans la pensée se traduit dans la vie par une diminution (tendant vers la cessation) de toutes les manipulations inutiles auxquelles l'homme se livrait sur ses phénomènes intérieurs.


Evidemment on peut dire que travailler à concevoir une idée est « faire › quelque chose. Mais, étant donné le sens que ce mot a pour l'homme ordinaire, mieux vaut, pour éviter une dangereuse méprise, parler comme le Zen et montrer que le travail qui peut abolir l’angoisse humaine est un travail de l’intellect pur qui n'implique pas qu’on « fasse » quoi que ce soit de particulier dans sa vie intérieure et qui implique au contraire qu'on cesse d'y vouloir apporter aucune modification.


Voyons la question de plus près encore. Le travail qui éveille la foi en l'unique et parfaite Réalité qui est notre « être » se décompose en deux temps. Dans un temps préliminaire, notre pensée discursive conçoit toutes les idées nécessaires pour que nous comprenions théoriquement l’existence en nous de cette foi qui dort et la possibilité de son éveil. et que cet éveil seul peut mettre fin à nos souffrances illusoires. Au cours de ce temps préliminaire, le travail effectué peut être appelé « faire » quelque chose. Mais cette compréhension théorique, supposée obtenue, ne change rien encore à notre état douloureux ; il faut maintenant qu'elle se transforme en une compréhension vécue, éprouvée par tout notre organisme, compréhension théorique et pratique, à la fois abstraite et concrète ; alors seulement notre foi sera réveillée. Mais cette transformation, ce passage au-delà de la forme, ne saurait être l'effet d'aucun travail direct « fait » par l'homme ordinaire entièrement aveugle à ce qui n'est pas formel. Il n'y a aucune « voie » vers la délivrance, et cela est évident puisque nous n'avons jamais été asservis en réalité et continuons à ne pas l'être ; il n'y a à « aller » nulle part, il n'y a rien à « faire ». L'homme n'a rien à faire directement pour éprouver sa liberté totale et infiniment heureuse. Ce qu'il a à faire est indirect et négatif ; ce qu'il a à comprendre, par un travail, c'est l'illusion décevante de toutes les « voies » qu'il peut se proposer et entreprendre. Lorsque ses efforts persévérants lui auront apporté la compréhension entièrement claire que tout ce qu'il peut « faire » pour se libérer est vain, lorsqu'il aura dévalorisé concrètement la notion même de toutes les « voies » imaginables, alors éclatera le « satori », vision réelle qu'il n'y a pas de « voie » parce qu'il y a à aller nulle part, parce que, de toute éternité, on était au centre unique et principiel de tout.


Ainsi donc la « délivrance », ce qu'on appelle ainsi et qui est la disparition de l’illusion d'être asservi, succède, chronologiquement, à un travail intérieur, mais n'est pas en réalité causée par lui. Ce travail intérieur formel ne peut causer ce qui est en amont de toute forme et par conséquent de lui-même ; il est seulement l’instrument à travers lequel agit la Cause Première.


En somme la fameuse « porte étroite » n'existe pas en mode formel, pas plus que la « voie » sur laquelle elle s'ouvrirait ; à moins qu'on ne veuille appeler ainsi la compréhension qu'il n'y a pas de voie, qu'il n'y a pas de porte, qu'il n'y a nulle part où aller. C'est là le grand secret, et en même temps la grande évidence, que nous révèlent les maîtres Zen.


Hubert Benoit

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