lundi, avril 11, 2011

La structure de l'ordre Gelug





Lama

Dans toutes les traditions bouddhistes tibétaines le titre «lama» (bLa-ma) est strictement réservé aux lamas incarnés, c'est-à-dire aux tulkus (Trul-ku ; sPrulsku) et aux gurus qui donnent des discours formels qu'ils soient moines (gélong; dge-slong, bhiksu) ou Geshé (dGe-bshes). Ainsi le terme «lama» ne devrait jamais être pris pour un synonyme de «moine».

Geshé

Le mot «geshé» provient du terme «ge-wai she-nyen» (dge-ba'i bshes-gnyen ; kalyanamitra), ami spirituel, utilisé par exemple dans le chapitre 22 de l'Astasahasrika prajnaparamita sutra pour signifier un grand enseignant ou guru. Historiquement au Tibet de nombreux grands lamas de différentes traditions ont été appelés «geshé››. Par exemple dans la tradition Ka-dam. (bKa'-gdams) ce titre fut largement utilisé, même pour un laïc comme ce fut le cas pour le disciple d'Atisa, Geshé Drom-tönpa (dGe-bshes 'Brom-ston-pa).

Sept monastères

Ce ne fut qu'après les réformes monastiques de Sa Sainteté le Treizième Dalaï-lama (1876 à 1934) que le programme formel du diplôme de geshé avec ses divers degrés fut institué. D'après ces réformes tout candidat qualifié venant de toutes les traditions bouddhistes et originaire de n'importe laquelle des régions géographiques pouvait se préparer au diplôme de geshé, à la condition qu'il fut au minimum, moine novice (ge-tsül, dge-tsul ; sramanera). De plus le candidat devait recevoir son entraînement avancé dans un des sept monastères (Dr'a-tsang grva-tsang) situés dans un des trois centres monastiques (gönpa, dgon-pa) majeur Gélug (dGe-lugs) des environs de Lhasa : Ga-dän (dGa'-ldan dGon-pa), Sera (Se-ra dGon-pa) ou Drä-pung ('Bras-spungs dGon-pa). Ces sept monastères se nomment :

Ga-dän J'ang-tze (dGa'ldan Byang-rtze Grva-tsang),
Ga-dän shar-tze (dGa'-ldan Shar-rtze Grva-tsang),
Sera J'e (Se-ra Byes Grva-tsang),
Sera Mä (Se-ra sMad Grva-tsang),
Drä-pung Go-mang ('Bras-spungs sGo-mang Grva-tsang),
Drä-pung Lo-säl-ling ('Bras-spungs bLo-gsal-glin, Grva-tsang) et
Drä-pung De-yang ('Bras-spungs bDe-yangs Grva-tsang).

Bien que pour devenir un moine novice, il faille d'une part être assez âgé pour pouvoir faire fuir un corbeau et avoir pour le moins vingt ans afin d'être pleinement ordonné, pour correspondre aux qualifications nécessaires au grade de geshé, on doit non seulement être pleinement ordonné mais être âgé d'au moins vingt-cinq ans.

Les études

Les cinq sujets à maîtriser pour le diplôme de geshé sont le Vinaya (dül-wa 'Dal-ba), l'Abhidharma (ch'ö-ngön-pa chos-mngon-pa), le Pramana (tsä-ma, tsad-ma), le Madhyamaka (u-ma, dbuma) et la Prajnaparamita (sher-ch'in, sher-phyin). Le Vinaya comporte l'étude des règles de discipline et de la loi de cause et effet. Parmi les Écritures, le texte principal sur lequel les études du Vinaya se basent est le Vinaya Sutra, de Gunaprabha. L'Abhidarma est l'étude de la métaphysique et de la cosmologie basé sur l'«Abhidharmakosa» de Vasubandu.

Le Pramana est l'étude de la logique, de l'esprit et des classifications de la connaissance (théorie de la progression spirituelle ; elle se base sur le Pramanavarttika de Dharmakirti. Le Madhyamaka est l'étude des enseignements de la vacuité concernant la vue profonde (tong-pa-nyi, ston-pa-nyid ; sunyata) et des dix perfections ; il est basé sur le Madhyamakavatara de Candrakîrti. La Prajnaparamita est l'étude des sens cachés des enseignements de la vacuité dans le contexte de l'enseignement des vastes pratiques associées à la motivation vers l'illumination (j'ang-ch'ub-kyi sem, byang-chub-kyi sems ; bodhicitta) et des stades et des sentiers vers l'illumination, elle se fonde sur L'Abhisamayalamkara de Maitreya.

Les examens

Le candidat au titre de geshé passera premièrement des examens oraux et se prêtera à des débats formels sur ces cinq sujets à son propre collège. Il devra en outre se présenter à une nouvelle série d'examens devant l'entière assemblée de son centre monastique. Pour pouvoir prétendre au titre de geshé de degré Lha-ram-pa (dGe-bshes Lha-ram-pa), le plus élevé des nombreuses sortes de geshé, le candidat devra se soumettre encore à un examen oral sur ces cinq sujets au Potala, la résidence d'hiver de Sa Sainteté le Dalaï-lama. Il y est soumis à interrogation devant Sa Sainteté elle-même, le Ga-dän tr'i-pa (dGa'-ldan khripa), le Doyen (Yong-'dzin chung-ba), le Cadet (Yong-dzin ch'ung-wa, Yongs-dzin chung-ba) et sept Tuteurs Assistants (Tsän-zhab, mTsan-shabs) de Sa Sainteté, le J'ang-tze ch-ö-je (Byang-rtze chos-rje) et enfin le Shar-pa ch'ö-je (Shar-pa chos-rje).

Les Tuteurs

Les Tuteurs qui assistent le Dalaï-lama portent le titre de “Tsän-zhab”. Les sept monastères mentionnés ci-dessus délèguent un Tuteur-Assistant choisi par l'abbé (K'än-po, Mkhan-po) de chacun des monastères parmi les éminents geshés du lieu. Les Tuteurs Aîné et Cadet sont détenteurs du titre “Yong-dzin”. Lorsque le Tuteur Aîné meurt, il est remplacé par le Tuteur en second et le nouveau Tuteur Cadet est recruté.

Le recrutement du Tuteur junior

A partir du groupe de Tuteurs-Assistants, abbés et autres Lamas et geshés éminents, une liste de candidats est dressée. Cette liste est réduite à quelques postulants par un comité de Lamas et d'Oracles (sung-ma, srung-ma) spécialement nommés, incluant en priorité les oracles d'état de Nä-chung (Nä-ch'ung ch'ö-kyong, gNas-chung Chos-skyong) et de Ga-dong (Ga-dong Ch'ö-kyong, dGa'-gdong Chos-skyong). Guru Rinpoche, Padmasambhava, fut à l'origine de l'institution des oracles vers la fin du huitième siècle de cette ère lorsqu'il en nomma cinq, correspondant aux cinq Bouddhas de méditation, afin qu'ils protègent le Tibet.

Les noms des candidats pour le poste de Tuteur junior sont ensuite inscrits sur des petits papiers roulés, puis placés à l'intérieur de boulettes de farine d'orge grillée, toutes de taille égale. Au cours d'une cérémonie spéciale ces boulettes sont placées dans un bol devant une statue de Bouddha ou la peinture d'une divinité de méditation (yi-dam, yi-dam ; ishtadevata). Lors de la cérémonie, la boulette extraite du bol désigne le nouveau Tuteur cadet de S.S. le Dalaï-lama ; il reçoit de cette manière l'assentiment de la divinité de méditation. En ce qui concerne les rangs du J'ang-tze ch'ö-je et du Shar-pa chö-je, desquels est issu le Ga-dän tr'i-pa, le lama le plus élevé de la tradition Ge-lug, ils seront expliqués ultérieurement.

Gueshé lha-ram-pa

Après avoir brillamment passé ses examens au Potala, le candidat au titre de geshé lha-ram-pa doit ensuite subir un dernier ensemble d'épreuves orales et de débats formels. Ceci se fait pendant le festival de prières, Mön-lam (sMon-lam), célébré pendant trois semaines à la suite du nouvel an tibétain. (Lo-sar, Lo-gsar). Pendant cette période les moines des trois grands centres monastiques Ga-dän, Se-ra et Drä-pung ainsi que ceux d'autres monastères se trouvent tous rassemblés à Lhasa. Pour les épreuves orales, les candidats sont à la disposition de tous les geshés et abbés de l'assemblée dans la cour du Tzug-la k'ang (gTzug-lag khang) également nommé le J'o-khang (Jo-khang) la cathédrale de Lhasa, un grand ensemble de temples. Si le candidat réussit tous ces
examens, il obtient alors le diplôme de geshé lha-ram-pa de première division.

Monastères tantriques

Si telles sont ses tendances, le nouveau geshé pourra continuer sa formation et son éducation selon la règle en entrant au Gyü-mä (rGyud-smad Grva-tsang) ou au Gyü-tö (rGyud-stod Gwa-tsang), les monastères tantriques du Bas et du Haut Lhasa localisés en haut et en bas d'une colline de Lhasa. Il suivra de cette façon le modèle cérémoniel mis en place par Je Tzong-k'a-pa (rJe Tzong-kha-pa) au début et à la fin de sa carrière.

Dans ces lieux, le geshé se concentre sur les enseignements du Tantrayana jusqu'à la réussite des examens tantriques; il mérite alors un siège permanent au monastère, pouvant ensuite devenir membre exécutif du conseil de discipline, censeur, (ge-kö, dGe-skos) une position occupée à tour de rôle pendant plusieurs mois par les titulaires des examens tantriques. Une fois cette obligation terminée, il redevient un membre ordinaire de son monastère tantrique. Les geshés accomplissent des cérémonies tantriques dans ces monastères pendant six mois chaque année et le reste du temps, aux centres monastiques de Ga-dän, Se-ra et Drä-pung.

Tous les trois ans, S.S. le Dalaï-lama choisit dans la liste des geshés lha-ram-pa ayant occupés la fonction de censeur, un abbé assistant (La-ma u-dzä, bLa-ma dbu-mdzad) pour chacun des monastères tantriques. La règle selon laquelle seuls des geshés lha-ram-pa peuvent, après être obligatoirement devenus abbés assistants des monastères tantriques, s'élever à des fonctions supérieures, fut une des réformes de S.S. le Treizième Dalaï-lama.

Deux autres monastères Ge-lug en dehors de Ga-den, Se-ra et Drä-pung, décernent des diplômes similaires à celui de geshé sur la base de la maîtrise des cinq mêmes sujets cités ci-dessus. Il s'agit de celui de Tra-shi lhün-po (bK'ra-shis lhun-po dGon-pa), le siège du Panchen Lama qui attribue le diplôme Ka-ch'en (bKa'-chen) et du monastère Shä-drub-ling (bshad-bsgrub-gling dGon-pa) donnant celui de Rab-jam-pa (Rab-'byams-pa). Bien que des moines détenteurs de ces diplômes puissent entrer aux monastères tantriques supérieurs et inférieurs afin d'y suivre une formation avancée, leur statut diffère de celui de geshé lha-ram-pa issu de Ga-dän, Se-ra et Drä-pung.

Ceux qui entrent dans les monastères tantriques munis des diplômes Ka-ch'en ou Rab-jam-pa sont appelés Kye-rim-pa (bsKyed-rim-pa). Si au bout de neuf années de formation un Kye-rim-pa réussit les examens tantriques, il reçoit le titre de “Ngag-ram-pa” (sNgags-ram-pa). A l'inverse, un geshé lha-ram-pa après avoir passé ses examens ne reçoit aucun autre titre. Un Ngag-ram-pa peut accéder à la charge de censeur d'un des monastères tantriques, cependant depuis les réformes de S.S. le Treizième Dalaï-lama, il ne peut pas parvenir plus haut dans la structure monastique Gé-lug. Seul un geshé lha-ram-pa de la première classe peut gravir les étapes suivantes jusqu'à devenir Ga-dän tr'i-pa.

Rinpoche

Au bout de trois années de fonction, un abbé assistant devient automatiquement l'abbé du monastère tantrique dont il est issu. A partir de là, il est apte à être appelé “rinpoche” (Rin-po-che) et, si telle est sa volonté, il peut être à l'origine d'une lignée incarnée. Ses successeurs réincarnés portent également le titre de “Rin-po-che” dès leur naissance, et sont considérés comme des Lamas. A la fin de trois années de fonction en tant qu'abbé de monastère tantrique, il doit se retirer et devient un abbé honoraire (K'än-zur Rinpoche, mKhan-zur rin-po-che). Désormais, il continue d'enseigner en tant que grand Guru ou, s'il le souhaite, se retire dans les montagnes (ri-tr'ö, ri-khrod) afin de mener à bien sa quête ou accomplir une retraite tantrique (nyen-tsam, bsnyen-tsams) selon les règles.

L'abbé honoraire aîné du monastère tantrique supérieur atteint le niveau de Shar-pa ch'ö-je suite à la promotion ou mort du précédent détenteur de ce poste et prend la succession de ce trône au monastère de Ga-dän Shar-tze. Similairement, l'abbé honoraire aîné du monastère tantrique inférieur prend la succession du trône du J'ang-tze ch'ö-je au monastère de Ga-dän J'ang-tze.

Le trône de Je Tsong-K'ä-pa

En tant que chef de la tradition Ge-lug le détenteur de Ga-dän tr'i-pa hérite du trône de Je Tsong-K'ä-pa et reçoit le titre de “Tr'i-ch'en” (Khri-chen). Depuis l'époque du huitième Ga-dän tr'i-pa il est coutumier lors de la mort du détenteur de cette position, ou suite à la conclusion de sept années de fonction, que le trône de Je Tsong-kä-pa alterne entre le J'ang-tze ch'ö-je et le Shar-pa ch'ö-je.


Notes :

Des titres spécifiques sont souvent associés avec certaines désignations tibétaines. Quelques unes sont honorifiques telles Gön-po (dGon-po, le Protecteur), Je (rJe ; le Vénérable), Je-tzün (Rje-btzun ; le Plus Vénérable), Kyab-je, sKyabs-rje ; le Vénérable Refuge) et Päl-dän, dPal-ldan; le Glorieux).

D'autres appellations sont l'indication de réalisations comme Dr'ub-ch'en (Grub-chen ; le Grandement Réalisé ; Mahasiddha), Drub-t'ob (sG1ub-thob) ; le Maître Réalisé), Dzog-ch'en (rDzogs-chen ; Celui de la Grande Perfection), Gyü-ch'en (rGyud-chen ; Le Grand Maitre Tantrique), K'ä-dr'ub (mKhas-grub ; l’Érudit Réalisé), Long-ch'en (Klong-chem ; Le Grand au Centre), Rä-pa (Ras-pa) ; Celui Vêtu de Coton) et Tog-dän (rTogs-ldan, Celui possédant la Vision Intérieure). D'autres encore comme K'on ('Khon) sont des noms patronymiques ; d'autres tel que Lho-dr'ag (Lho-brag) font références à des lieux; Certains indiquent des monastères tel D'ag-po (Dvags-po) pour un ancien de Shä-drub-ling, ou marquent des positions spécifiques tenues par la personne comme K'än-ch'en (mKhan-chen ; Le Grand Abbé), Lo-tza-wa (Lo-rtza-ba), Lo-ch'en (Lo-chen) ou Dra-gyur (sG'ra-bsgyur; le Traducteur), Rinpoche (rin-po-che ; l'Ancien Abbé ou le Lama incarné, le Précieux), Tr'ich'en (Khri-chen ; le Détenteur de la Grande Lignée), Tsän-zhab (mtsan-shabs ; le Tuteur Assistant), Yong-dzin (Yongs-'dzin ; le Tuteur) ; d'autres indiquent l'incarnation d'une divinité de méditation tel que Jam-gön ('Jam-mgon ; le Protecteur Manjushri). Et enfin, certains titres sont appliqués en référence à des personnages particuliers tel que Gyäl-wang (rGyal-dbang ; les Dalaï-lamas), Pän-ch'en (Pan-ch'en ; les Panchen Lamas) et Sa-ch'en (Sa-chen ; les Sakya Panditas).

The Tibet Journal, Vol. II, n° 3, Autumn 1977



Photo : "Pays entre ciel et terre", Peter Grieder.

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