jeudi, mai 19, 2011

DSK dans le fichier des « sex offenders & prédators » ?




Si DSK est condamné par la justice étasunienne, son nom figurera dans le fichier des « sex offenders & prédators » arrêtés sur le sol américain. Ce fichier est librement accessible par n'importe quelle personne sur Internet. Après avoir purgé leur peine, les délinquant sexuels sont interdits de séjour dans les environs de nombreux endroits (églises, écoles, squares, arrêts de bus scolaires). Dans certains États, ils doivent porter à la cheville un émetteur GPS.

Le contrôle des délinquants sexuels

Les condamnés pour atteintes aux mœurs sont certes depuis longtemps déjà l'objet de peurs et de mesures spéciales en raison du stigmate particulièrement virulent qui les frappe dans une culture puritaine. En Californie par exemple, ils sont tenus depuis 1947 de se faire enregistrer auprès du commissariat de police de leur lieu de résidence dans les cinq jours suivant leur libération d'une maison d'arrêt ou de peine et d'y pointer annuellement dans les cinq jours suivant leur anniversaire. Et, à compter de 1995, tout délinquant sexuel californien qui ne remplit pas cette obligation est passible de 16 à 36 mois de prison (et de la réclusion à perpétuité automatique s'il s'agit de sa troisième condamnation au pénal en vertu de la loi « Three Strikes and You're Out »). Il leur est également interdit d'exercer une profession ou de faire partie d'une association les mettant en contact avec des mineurs, parmi maintes restrictions qui les frappent. Mais, à l'instar des autres anciens détenus, ils pouvaient jusqu'à récemment mettre à profit leur anonymat pour refaire leur vie une fois leur peine purgée. Ce n'est plus le cas depuis le vote en 1996 par le Congrès de la « Loi de Megan », qui enjoint aux autorités de mettre les « sex offenders » à l'index et qui les livre à la scrutation permanente et la vindicte ouverte du public.

Surveiller et honnir

Sous l'effet du regain du moralisme dans le champ politique et de la médiatisation à outrance des crimes sexuels durant la décennie passée, corrélative de l'augmentation continue de la couverture journalistique accordée à la violence criminelle, l'opinion s'est polarisée comme jamais sur les atteintes aux mœurs perpétrées contre les enfants et la surveillance punitive de cette catégorie de condamnés - et, par effet de halo, de tous les prisonniers « tombés » pour affaire de mœurs, aussi bénigne soit-elle - s'est intensifiée et resserrée au point qu'ils sont aujourd'hui considérés, non plus comme des désaxés susceptibles d'une action thérapeutique, mais comme des déviants incurables qui posent un danger criminel ad aeternitum, quels que soient leur statut judiciaire, leurs antécédents sociaux, leur trajectoire de réinsertion et leur comportement post-pénal. C'est pourquoi les lois dites de Megan ainsi baptisées après Megan Kanka, une petite fille du New Jersey violée et tuée par un pédophile en liberté conditionnelle, qui habitait en face de chez ses parents à leur insu, et dont le meurtre en 1994 fut le déclencheur d'une irrésistible vague nationale de législation, assignent à la police des villes et des comtés des cinquante États l'obligation d'« enregistrement » et de « notification publique » de la présence des (ex-)délinquants sexuels.

L'étendue et les moyens de ces lois varient d'une juridiction et d'une ville à l'autre. Dans certains États, la notification est « passive » : elle doit être initiée par la population et souvent à ses frais ; dans d'autres, elle est « active » : ce sont les autorités qui en prennent l'initiative et qui assument les coûts de diffusion de l'information auprès de la population. Ici, elle concerne seulement certaines catégories de « sex offenders » jugées dangereuses ou prônes au récidivisme, que la loi appelle « prédateurs sexuels » ; là, elle s'applique à l'ensemble des condamnés pour mœurs. Ainsi, en Alabama, la liste des condamnés pour viol, sodomie, sévices sexuels ou inceste est affichée dans le hall des mairies et dans le commissariat le plus proche du domicile des contrevenants. Et dans les grandes villes comme Birmingham, Mobile et Huntsville, tous les résidents dans un rayon de trois cents mètres d'un « sex offenders » sont personnellement avertis de sa présence - le périmètre de notification s'étend à six cents mètres dans les bourgades rurales. En Louisiane, c'est l'(ex)délinquant sexuel lui-même qui est tenu de révéler par courrier son statut à son propriétaire, à ses voisins et aux responsables de l'école et des parcs et jardins publics de son quartier, sous peine d'un an d'emprisonnement et de mille dollars d'amende. Il doit également, sous trente jours, faire paraître à ses frais dans un quotidien local une notice informant la « communauté » de sa localisation. En sus de quoi la loi autorise « toute forme de notification du public », y compris par voie de presse, de pancartes, de tracts et autocollants placés sur le pare-chocs du véhicule du délinquant sexuel. Les tribunaux peuvent même exiger d'un condamné pour mœurs qu'il revête un habit distinctif signalant son statut judiciaire - à la manière de l'étoile ou du bonnet de lin jaune que portaient les Juifs dans les cités princières de l'Europe médiévale. Sont également informés par écrit de sa libération et de son lieu de résidence la (ou les) victime(s) de l'atteinte qui a valu au délinquant sexuel d'être emprisonné, les témoins à charge de son procès ainsi que toute personne que le procureur du district juge bon d'aviser. En Caroline du Nord, le registre des condamnés pour atteinte sexuelle avec violences ou sur la personne d'un mineur est transmis dans son intégralité à tout organisme s'occupant d'enfants, de handicapés et de personnes du troisième âge. En Floride, l'information est diffusée par le biais d'un numéro vert et d'un site Internet gratuit et comprend, outre le nom, la photo et l'adresse courante de 12 000 « prédateurs sexuels » condamnés depuis 1993, les circonstances de leurs crimes et l'âge des victimes. Et tout « sex offender » d'un autre État doit se déclarer aux autorités locales dans les 48 heures suivant son entrée sur le territoire du Sunshine State.

La « Loi de Megan » votée par l'assemblée du Texas en 1997 (en complément de la loi fédérale) requiert que tous les condamnés pour atteintes aux mœurs depuis 1970 soient enregistrés dans la banque de données automatisée que l'administration pénitentiaire tient à disposition du public. «Cela signifie que nos citoyens ont un accès plus facile que jamais a l'information qui peut leur donner une indication de la sécurité relative d'un quartier en terme de crimes sexuels potentiels. Cela peut aussi aider les employeurs, les écoles et les associations visant la jeunesse à identifier les prédateurs sexuels », a expliqué le colonel Dudley Thomas, directeur du Department of Public Safety, qui se félicite de la mise au point « d'un nouvel outil de haute technologie qui aide à faire du Texas un endroit où vivre est encore plus sûr ». Les individus ou organismes qui le souhaitent peuvent d'ailleurs acheter cette base de données sur cédérom pour la modique somme de 35 dollars : « Nous voulons que les criminels sexuels au Texas sachent que nous savons qui vous êtes. Et maintenant, plus que jamais, nous savons où vous êtes. »

En Californie, la signalétique (nom, photographie, mensurations, signes particuliers), le casier judiciaire et la localisation des 64 600 condamnés pour délit sexuel catégorisé comme « sérieux » ou « à haut risque » (sur un total de 82 600) sont rendus publics par les polices municipales au moyen de tracts et d'affichettes, de conférences de presse, de réunions de quartiers et par le porte-à-porte dans leur voisinage. Quant au registre complet des sex offenders, il peut être consulté par le biais d'un numéro vert et de cédéroms disponibles dans les commissariats centraux, les bibliothèques municipales et lors des foires annuelles des comtés.

Durant l'année qui suivit son entrée en vigueur, 213 « Cédéroms de la Loi de Megan » ont été distribués en Californie par l'entremise de 145 bureaux de police. Dans la foulée, ceux-ci ont diffusé 6 500 tracts révélant la signalétique de délinquants sexuels « à haut risque » (c'est-à-dire ayant commis au moins deux atteintes dont l'une avec violences) et notifié les écoles de la présence de 134 d'entre eux dans leurs parages immédiats. En trois mois, plus de 24 000 personnes ont consulté ledit cédérom, pour un taux de réponses positives de 12 %, tandis que le numéro de la « Sex Offender Identification Line » recevait 7 845 appels (moyennant le paiement d'un droit de péage de 10 dollars par requête, automatiquement facturé parla compagnie de téléphone), dont 421 se sont traduits par l'identification d'un condamné pour délit sexuel. Chaque année, l'État rajoute environ 3 000 nouveaux dossiers à cette banque de données informatisée qui, dès 1998, comprenait déjà un adulte californien de sexe masculin sur 150.

À San Diego, le chef de la police tient une conférence de presse pour faire connaître l'identité de sept (ex-)délinquants sexuels « à haut risque ». À leur corps défendant, ces derniers font la une des actualités télévisées du soir et la liste des sept est reprise par les journaux de la métropole - même si le San Diego Tribune choisit pudiquement de ne pas reproduire leurs photos au motif qu'« elles sont datées et dans certains cas de mauvaise qualité ». À Los Angeles, la police alerte les habitants du voisinage des écoles en patrouillant de maison en maison ; à Santa Rosa, elle avertit aussi les entreprises et les clients des centres commerciaux. À l'est de la baie de San Francisco, les villes de Fremont et Hayward distribuent aux familles ayant des enfants d'âge scolaire des cartes signalant la localisation des « sex offenders » classés « sérieux » et « à haut risque » qui logent dans un rayon de deux kilomètres autour d'un établissement d'enseignement : un triangle indique les rues incriminées (mais pas l'adresse exacte) de sorte que les parents concernés puissent conseiller à leur progéniture de les éviter sur le chemin de l'école. En octobre 1998, dans le comté rural de Calaveras, le quotidien local, le Ledger-Dispatch, est le premier journal de Californie à publier la liste complète des condamnés pour mœurs de la région sous prétexte que ces derniers posent « un risque pour la communauté tout entière ».

Loïc Wacquant


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Les prisons de la misère
Loïc Wacquant

Dénonciation des " violences urbaines ", quadrillage intensifié des quartiers dits sensibles, répression accrue de la délinquance des jeunes et harcèlement des sans-abri, couvre-feu et " tolérance zéro ", gonflement continu de la population carcérale, surveillance punitive des allocataires d'aides : partout en Europe se fait sentir la tentation de s'appuyer sur les institutions policières et pénitentiaires pour juguler les désordres engendrés par le chômage de masse, l'imposition du salariat précaire et le rétrécissement de la protection sociale. Cet ouvrage retrace les voies par lesquelles ce nouveau " sens commun " punitif, élaboré en Amérique par un réseau de think tanks néo-conservateurs, s'est internationalisé, à l'instar de l'idéologie économique néo-libérale dont il est la traduction en matière de " justice ". Le basculement de l’État-providence à l’État-pénitence annonce l'avènement d'un nouveau gouvernement de la misère mariant la main invisible du marché du travail déqualifié et dérégulé au poing de fer d'un appareil pénal intrusif et omniprésent. Les États-Unis ont clairement opté pour la criminalisation de la misère comme complément de la généralisation de l'insécurité salariale et sociale. L’Europe est aujourd'hui confrontée à une alternative historique entre la pénalisation de la pauvreté et la création d'un État social continental digne de ce nom.


Chercheur au Centre de sociologie européenne, Loïc Wacquant est professeur de sociologie et d'anthropologie à la New School for Social Research et à l'Université de Californie-Berkeley.

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