mardi, juin 07, 2011

Black metal, la subversion extrême




La musique «metal» est une radicalisation du rock, sur le plan musical, sur celui des pratiques sociales comme sur celui de l'imaginaire ésotérique véhiculé. En effet, Black Sabbath, en 1970, considéré comme le premier groupe de metal, se distingua des groupes rock comme les Rolling Stones ou les Beatles qui flirtaient avec des thématiques diaboliques provocatrices, en transformant celles-ci en un imaginaire véritablement satanique. Le metal est depuis lors associé massivement à une imagerie sombre, occulte. Or, si cette musique est une radicalisation du rock, le black metal, l'une de ses dernières ramifications apparues, est à son tour une radicalisation du metal. Ce mouvement ascensionnel s'explique par le fait que se crée, dès le blues des années 1930, une échelle pyramidale de subversion. Chaque groupe phare de chacun des styles qui se sont succédé était voué à pousser le transgressif plus loin que son aîné. La logique qui parcourt tout le XXe s. est la suivante : blues, rock n'roll, hard rock, heavy metal, metal extrême. Le metal extrême est un terme générique dans lequel figure le black metal (au côté du death metal à l'imaginaire morbide et gore, du trash metal et du grindcore).

Le black metal est la dernière strate dans cette échelle pyramidale de subversion. Depuis Black Sabbath, les artistes ont voulu être plus extrêmes à la fois musicalement, en évoquant une certaine violence sonore, et conceptuellement, par un imaginaire satanique de plus en plus affirmé. Alors que les groupes pionniers Black Sabbath et Led Zeppelin furent taxés, dans les années 1970, de satanisme et inquiétèrent grandement les autorités locales, le black metal, qui naquit en Scandinavie au milieu des années 1980, incorpora des musiciens qui se déclaraient ouvertement satanistes et antichrétiens. Pourtant, les musiciens de Black Sabbath n'étaient absolument pas satanistes; ils portèrent même des croix chrétiennes bien visibles pour en persuader le public. Ils offraient un spectacle occulte, un équivalent des films d'horreur. À l'inverse, vingt ans après que de nombreux artistes comme AC/DC, Iron Maiden, Metallica, Slayer, Venom eurent gravi un à un les barreaux de l'échelle pyramidale - poussant chacun la transgression plus loin que son prédécesseur -, le black metal prôna, au début des années 1990, le chaos, la déconstruction, l'Evil (le Mal) et le satanisme comme mode de vie. Apothéose subversive, la Norvège fut le théâtre d'une vague d'exactions et de crimes sans précédent dans l'histoire de la musique, perpétrés par un mouvement à consonance sectaire : le Black lnner Circle. Ce cercle très fermé de musiciens, composé, entre autres, de Fenriz, Varg Vikernes, Euronymous, Samoth, respectivement leaders des formations Darkthrone, Burzum, Mayhem, Emperor, voulait réellement bouter le christianisme hors de Norvège pour instaurer les anciens cultes vikings. Ses manifestations les plus visibles : les églises en bois dites Starvkirker furent incendiées, vingt-deux d'entre elles furent dévorées par les flammes. Le leader du groupe Mayhem, Euronymous, fut assassiné d'une vingtaine de coups de couteau par Varg Vikernes dans un conflit de succession. Faust, batteur d'Emperor, assassina un homosexuel. Le vocaliste de Mayhem, Dead, se suicida.

C'est la quête de l'Evil que poursuivaient inlassablement les musiciens. Il s'agissait de ne plus faire la différence entre le symbolisme et la réalité, entre ce ce qui est de l'ordre de l'imaginaire et l'ordre de la production musicale, pour nier la temporalité et s'enfermer dans un monde musical total en tentant brutalement, désespérément, de le substituer à sa réalité pauvre et sans saveur d'adolescent désœuvré. Les membres du Black lnner Circle, tout engoncés qu'ils étaient dans l'imaginaire satanique et saturés d'écoutes prolongées de leurs groupes favoris, tentèrent de reprendre contact violemment avec une réalité dans laquelle ils ne se retrouvaient plus, tant elle était éloignée des messages de Venom, Celtic Frost, Bathory... Cette épopée norvégienne alimenta les gros titres de la presse nationale de l'époque et fut élevée au rang de mythe dont chaque métalleux (fan metal) a eu connaissance. La légende culte du Black lnner Circle semblait résulter d'un phénomène identitaire de jeunes fans qui voulaient créer une musique capable de dépasser son propre contenu initial pour devenir une logique de vie «totale ». Elle devait révéler tout l'extrémisme comportemental qui caractérisait les black métalleux de l'époque. La décennie 1990 allait ainsi correspondre à l'envolée médiatique mais aussi à la reconnaissance musicale du mouvement.

Depuis cette épopée, l'imaginaire satanique du black metal se compose à la fois d'un christianisme inversé et blasphémateur majoritaire et de plusieurs écoles de satanisme. Cependant, les adhérents d'organisations satanistes déclarées, comme l'Église de Satan californienne ou le Temple de Seth, se comptent sur les doigts d'une main. Si les musiciens et les fans rejettent le dogmatisme institutionnel de l'Église chrétienne, ce n'est point pour adhérer à ces organisations vues comme de simples antithèses idéologiques du christianisme. Les black métalleux sont avides de libertés morales et de grands espaces et sont secoués à différents degrés par un « désir d'infinitude » pour « sur-vivre » (M. Maffesoli).

A côté de cet imaginaire satanique fondateur, d'autres écoles, comme le néo-paganisme, le fantastique, l'athéisme, une frange politique radicale (minoritaire), composent le mouvement. De multiples concepts d'albums proviennent d'œuvres aussi variées que Le Seigneur des anneaux de Tolkien, le vampirisme d'Anne Rice, l'occultisme d'Aleister Crowley, le surréalisme de Lautréamont, les écrits du marquis de Sade, l'atavisme, le naturisme (dans le sens d'ode à la nature), la fascination lunaire, la mélancolie, la tristesse, le désespoir. Un conditionnement relatif à une longue expérience musicale du black metal amène certains fans à s'imaginer des mondes atemporels où règnent des apparats conceptuels comme la guerre, la dimension épique, le vampirisme, la communion avec la nature ou l'histoire de l'Europe. Le black metal, avec toutes ses écoles, présente cependant des incohérences : une condamnation souvent irréfléchie et frustrée du christianisme, fruit d'une inculture religieuse, une reprise tronquée de certain ouvrages (Tolkien, Nietzsche), un conformisme régnant dans un mouvement qui se prétend anticonformiste. Soulignons que ce courant musical est entouré de nombreux clichés et fantasmes médiatiques, tout comme sa source d'inspiration première, le satanisme. D'une manière générale, les nombreux ouvrages et articles qui fleurissent aujourd'hui sont le fait de journalistes peu scrupuleux, incultes musicalement et avides d'accroître leur lectorat. Ils voient dans le black metal (qu'ils confondent avec le gothic, le rock ou d'autres genres de metal) tantôt le Diable incarné, tantôt une mode adolescente puérile, une branche politique radicale, du « bruit » ou encore un exutoire. Au départ essentiellement subversif, ce mouvement est pourtant aujourd'hui avant tout une musique onirique qui ne vit que parce qu'elle est idéalisée. Elle est le contraire d'une musique urbaine (comme le hardcore ou le rap) puisque la visée est de s'arracher du bitume de la quotidienneté. L'occultisme, prisé par les fans, leur permet justement ce voyage onirique vers les ténèbres qu'ils mythifient de manière métaphorique.

En premier lieu, l'individu est amené à découvrir le black metal parce qu'il est attiré par son esthétique subversive et occulte. L'imaginaire satanique cristallise d'une manière paroxystique cette tendance car il est une force de frappe très lisible pour la subversion: il constitue une aura autour du groupe ou du fan. Le black metal est une musique subversive qui s'assimile en fonction d'un goût marqué pour l'occultisme, l'ésotérisme et d'un penchant initial pour une forme de violence et de puissance musicales. À ce propos, en s'entretenant avec les acteurs de ce mouvement âgés en moyenne de vingt-cinq ans (de quinze à quarante ans), on apprend que les écrits de Nietzsche jouent un grand rôle dans cet imaginaire, pour leur critique virulente du christianisme mais aussi pour leur volonté de puissance. Celle-ci s'élabore autour d'une force d'expansion vitale intrinsèque à chaque individu. Or la principale définition du metal extrême, pour les fans, est bien sa puissance musicale. La saturation extrême de la guitare associée au couple basse-batterie à un son très élevé conduit à un état particulier. L'auditeur initié est galvanisé. S'ensuivent alors les démonstrations de headbanging (secouer la tête de bas en haut) et de pogo (projections et bousculades les uns contre les autres) en concert. Puissance, brutalité, agression, tuerie, galvanisation sont les maîtres mots. Ce langage métaphorique si particulier utilisé par les black métalleux mesure la musique telle une entité physique réelle qui ferait corps avec l'auditeur. Le heurt est souvent recherché.

Au total, comme les autres musiques «sombres » (gothic, metal, industriel), le black metal manifeste toute la recherche de transcendance qui anime une catégorie «alternative» de la jeunesse d'aujourd'hui en rupture avec une homogénéisation culturelle castratrice. Parmi les diverses recompositions religieuses de grande envergure dans notre société, les musiciens et les fans illustrent toute la force du « croire » qui anime une certaine frange de la jeunesse actuelle. Si les églises se vident, le «croire» n'a jamais été aussi présent dans notre postmodernité. Le black metal devient plus que jamais une voie prisée pour cultiver la transcendance, le religieux, l'extatique. Ce qui retient au premier abord l'attention de l'observateur est la ritualisation et le recours à la symbolique et à l'ornementation religieuses. Ainsi voit-on, lors des concerts ou sur les supports audiovisuels, des croix chrétiennes et des pentagrammes inversés, le chiffre 666 ou des tee-shirts portant les slogans «Fuck me Jesus» (du groupe Marduk) ou « Cut your fleesh and worship Satan » (des Français d'Antaeus). Lors des concerts, des phénomènes de transe combinés à la présence de musiciens charismatiques galvanisent le public. Une théâtralisation de pratiques cathartiques (représentations sacrificielles) s'effectue selon des codifications prédéterminées. La dimension religieuse dépasse ici la simple passion pour une musique et ses pourvoyeurs de charisme, comme pouvait l'engendrer le rock Elle est inscrite au plus profond de l'imaginaire satanique, néo-païen, nietzschéen, négativiste déployé par les musiciens et les fans.

Nicolas Walzer, chercheur en doctorat de sociologie sur les musiques sombres, université de Paris V.



Documentaire sur le black metal

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