mercredi, août 17, 2011

Paracelse médecin et philosophe de l'invisible





« Paracelse, rappelle Jean-Louis Bernard, vécut dans la première moitié du XVIe siècle. Né à Einsiedeln (Suisse), il enseigna à Bâle à l'âge de trente-trois ans, mais choqua ses confrères parce qu'il s'exprimait en allemand, non en latin. Il mena dès lors une vie nomade à travers l'Europe, enseignant, exerçant son art et rédigeant des livres. […] Un voyage en Orient le ramena dans la tradition même de la médecine égyptienne. Celle-ci considérait les maladies comme psychosomatiques et, de plus, ne séparait jamais l’homme de l'environnement, y compris l'environnement cosmique (soleil, lune, Zodiaque). »

Une philosophie de l'invisible

L'invisible ne désigne pas une réalité cachée, dans le sens où, derrière le visible, elle pourrait être repérée. L’invisible c’est bien aussi le réel, et un réel tout aussi vrai, tout aussi efficient que la réalité visible. Il n'est pas derrière le visible, mais de plein pied avec lui. Il est en lui. Nous allons pouvoir progressivement déterminer - en parlant de la lumière naturelle, de la recherche du fondement, de l'Astre - ce règne de l’invisible auquel nous participons sans que pour autant il se donne à nos yeux de chair.

C'est ainsi, par exemple, que la recherche dans le vaste champ que Paracelse appelle Astrum ou Ciel n'est jamais approche d'un objet donné ; car il s'agit, lorsqu’il est question de Firmament, moins des étoiles que nous pourrions y observer, que d’une dimension plus secrète, plus mystérieuse aussi, invisible (mais nullement cachée), qui traverse les choses, la nature et l'homme lui-même. Nous verrons que cette réalité invisible est aussi bien ce qui nous rend habiles ou maladroits, ce qui nous permet de croître et de mûrir, ce qui est sagesse en nous que ce qui est instinct en l'animal et vertu dans la plante.

C'est à cet invisible que le philosophe doit donner forme en le portant au langage. Le philosophe n'est pas, pour Paracelse, l'homme habile à manier les concepts, ni le spécialiste en textes anciens, ni l'expert en catégories logiques - qu’il ne manque pas d'appeler sophiste ou spéculateur ou bavard. Ce type de philosophe ressemble au médecin qui apprend la médecine dans les livres. L'un et l'autre manquent l'essentiel.

Mais dire l'invisible, quelle tâche ! Il ne s'agit pas de se référer à du déjà donné, ou du déjà formulé ; mais de diriger l'attention vers ce que le commun des hommes ne voit pas, y correspondre pleinement, sans réserve, et alors, comme nous l'avons vu, laisser paraître dans le langage les formes et les mots qui y renvoient. Si le commun des hommes ne voit pas ce qui est le propre du philosophe, il lui arrive pourtant d'en avoir le soupçon, sans être à même de dépasser le stade du soupçon. C'est à lui que pense Paracelse ; et le philosophe accomplit sa mission s'il parvient, avec les mots de la tribu, à faire entendre à ceux qui l’écoutent ce que précisément un chacun pressent sans pouvoir le dire.

Que cette tâche soit difficile est évident. Surtout parce que, comme nous le verrons plus précisément à propos de l'astrologie, il est toujours tentant, dès que l'attention se relâche, de penser l'invisible comme une substance, comme un être. Alors tout est manqué.

Rappelons que le médecin, qui représente pour Paracelse le type même de l'homme accompli ou s'accomplissant, doit être philosophe. Plus que quiconque il doit savoir voir comment procède la nature invisible, dans le malade comme dans le remède, et comment elle agit dans le visible. « Qu’est la philosophie sinon la découverte de l'invisible nature» (VII, 71). Toute philosophie qui s'écarte de cette fin est pseudo-philosophie (Schaumphilosophie) et ressemble à un champignon qui pousserait sur un arbre en lui restant extérieur. Une verrue.

La philosophie de l’invisible devient de la sorte, mais c’est encore difficile à entendre, une philosophie du concret : il s'agit d'une philosophie qui n’admet l'élément spéculatif ou le développement conceptuel qu’à partir du moment où l'invisible est devenu pour un homme (qui alors sera appelé philosophe) le terme de l'attention et l'objet spécifique de sa vision.

Ce qu’il y a à voir, répétons-le, n'est pas chose parmi les choses, et pourtant habite toute chose. Le vrai philosophe ne voit pas plus de choses que l'ignorant (tout comme le paysan ne voit pas mieux que le moine la lettre du psautier), mais il voit autrement; et voyant autrement il saisit autre chose : il voit dans ce qu'il a sous les yeux l'invisible nature qui y est active (XII, 203).

La philosophie n'est donc ni savoir livresque, ni le produit d’une raison abstraite, ni la connaissance d'un monde intelligible, ni la réflexion sur la nature; elle est vision de la nature même, dans son acte et dans son actualité. Elle est vraie science.

Si le médecin doit être philosophe, c'est que sans philosophie, il ne peut comprendre la maladie, ni administrer le remède, ni préparer celui-ci en tirant de la plante la quintessence. On ne connaît une maladie que si l'on voit comment aussi, en elle, se manifeste la nature. On ne connaît le remède que lorsqu'on voit comment, par sa vertu, il s'inscrit dans le cours de la maladie. C’est pourquoi le médecin doit apprendre son art de la nature. Car il se pourrait qu'il soit mis un jour en face d’une maladie non encore rencontrée. Comment la connaîtrait-il s'il n'a appris les maladies que dans les livres ?

Le médecin est philosophe s'il sait que les simples n'agissent pas de la même façon dans telle maladie ou dans telle autre ; au début de la maladie ou à la fin ; récoltés en telle saison ou en telle autre ; en telle contrée ou en telle autre ; cueillis jeunes ou matures. Tout cela c'est la nature invisible qui le lui apprend, s'il s'est mis à son école.

C’est dire aussi que la philosophie ne peut naître que d'une proximité authentique avec le devenir naturel. Paracelse y a été intimement lié, comme médecin, comme alchimiste, comme voyageur. Sans romantisme aucun il observe. Et c’est ce regard qui, alors, est nouveau. Il se fait ouverture sur l'invisible qui nous pénètre de partout, qui est actif tout autour de nous, qui tous les jours suscite un spectacle nouveau.

Lucien Braun, « Paracelse ».


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