mercredi, septembre 21, 2011

Qui suis-je ?





Des personnes ont une activité professionnelle qui les confronte aux dysfonctionnements du monde. Ces dysfonctionnements incitent des hommes, des femmes et des enfants à venir en France pour trouver la justice, le travail, la dignité qu'ils ne peuvent pas avoir dans leurs pays d'origine.

Mon travail dans un Centre d'Accueil de Demandeurs d'Asile (C.A.D.A) m'a fait connaître des errants, des persécutés, des réfugiés économiques, d'anciens tortionnaires devenus des parias à la suite d'un coup d’État. Des récits à la limite du supportable ont modifié ma vision de la civilisation et de la mondialisation. La mondialisation qui ne profite qu'à des cartels de prédateurs. Des multinationales et des banques imposent une vision politique inique à beaucoup de pays. Dans ces pays, les pauvres et les faibles sont considérés comme des citoyens de seconde zone. Jean Ziegler dénonce l'empire de la honte et le féodalisme économique qui réduit des milliards d'êtres humains à la paupérisation, à la précarité, à la faim, au servage... De nos jours, selon l'organisation international du travail, dans le monde, plus de 12 millions de personnes vivent dans des conditions d'esclavage.

Où va l'humanité ? Pourquoi acceptons-nous de nous soumettre à des politiciens ou à des religieux qui trahissent notre confiance et exploitent notre crédulité ? La sagesse orientale peut-elle nous aider à améliorer notre condition ?

J'ai tout quitté pour aller en Orient. Du Népal à Taïwan, de l'Indonésie au Tibet, de la Thaïlande à la Chine, j'ai cherché des réponses à ces questions. En Inde, j'ai revêtu les habits de pèlerin hindou pauvre. Sous cet aspect misérable, qui permet d'être délaissé par les personnes qui s'intéressent à l'argent des touristes occidentaux, je suis arrivé au monastère de Menri, dans l'Himachal Pradesh, un État situé au nord de l'Inde. Ce monastère appartient à la tradition tibétaine Bönpo qui dominait au Tibet avant l'arrivée du bouddhisme.

Le Bön était la religion du royaume du Zhang-zhung, annexé au 8ème siècle par les armées d'un roi du Tibet converti au bouddhisme. Cette religion a intégré des enseignements et des traditions de Chine, d'Inde, de Perse... Le Bön est une sorte de musée de la spiritualité où confluent le chamanisme, le mazdéisme, le taoïsme, le tantrisme, l'enseignement d'un Bouddha nommé Tonpa Sherab qui aurait vécu bien avant le Bouddha indien... La philosophie de Tonpa Shenrab est similaire à la philosophie bouddhiste. Les quelques différences justifient des joutes philosophiques entre les lamas Bönpo et les lamas Guélougpa (l'école bouddhiste des Dalaï-lamas). Un divertissement qu'affectionnent les érudits tibétains.

Les Guélougpa sont considérés comme les représentants les plus orthodoxes du Vajrayana (bouddhisme tibétain). Toutefois, les fresques du temple secret du 5ème Dalaï-lama (chef des Guélougpa) sont inspirées par une philosophie différente du bouddhisme : le Dzogchen. Le Dzogchen est l'enseignement ultime des Nyingmapa. L'école Nyingma est la première école du bouddhisme tibétain. Les Bönpo enseignent également le Dzogchen, qui est aussi au sommet de leurs doctrines. Or le Dzogchen (Bön et Nyingma) a beaucoup d'affinités avec une sorte de bouddhisme libertaire, le Chan. Le Chan, venu de Chine, est imprégné de l'anarchisme taoïste que l'on trouve dans les écrits de Tchouang-tseu datant du 3ème siècle avant notre ère. C'est un maître chinois de l'école Chan qui a déclaré :

"Je vous le dis : il n'y a pas de Bouddha, il n'y a pas de Loi ; pas de pratiques à cultiver, pas de fruits à éprouver. Que voulez-vous donc tant chercher auprès d'autrui ? Aveugles qui vous mettez une tête sur la tête ! Qu'est ce qui vous manque ?" (Lin-ji)

Le Chan rejette les méditations fabriquées, les techniques et les artifices spirituels. Il préconise une spontanéité qui s'oppose aux méthodes graduelles des lamas. En revanche, les maîtres lamaïstes prétendent que l’Éveil n'est pas possible sans les techniques dont ils ont le secret et qu'ils acceptent de révéler contre de l'argent ou de l'or. Un cycle d'enseignements secrets se nomme « Le Dharma d'or » pour cette raison.

La propagation du Chan au Tibet risquait d'ébranler l'institution gradualiste des lamas et d'affranchir le peuple des croyances religieuses qui permettaient au clergé d'avoir une position dominante dans la société. Le Chan fut donc proscrit au terme du Concile de Lhassa, au 8ème siècle. Toutefois, il a discrètement survécu dans le Dzogchen des Bönpo et des Nyingmapa, et le Mahamudra des Kagyupa.

Mon intérêt pour le Dzogchen des Bönpo m'a fait répondre positivement quand le 33ème Abbé de Menri m'a proposé de rejoindre la communauté monastique. L'ordination m'a aussi permis de découvrir certains aspects du monde tibétain qui échappent habituellement aux touristes spirituels. Des adeptes occidentaux de la spiritualité tibétaine sont souvent aveuglés par une euphorie de la soumission. La soumission leur procure l'impression d'être reliés à la supposée divinité du gourou. Ils sont persuadés que cette relation maître-disciple les transforme en élus, en initiés supérieurs au commun des mortels. L'arrière pensée du disciple se résume ainsi : « Mon maître est extraordinaire, ne suis-je pas moi, élève soumis et fidèle, un être extraordinaire aussi ? »

Dans le cadre du Dzogchen, le moine est une sorte de philosophe indépendant très différent du religieux ritualiste ou du dogmatiste pointilleux. Malheureusement, même dans un monastère où l'on trouve des textes issus d'une tradition philosophique libertaire, l'institution religieuse n'hésite pas à exploiter les faibles et à punir impitoyablement ceux qui ne se plient pas à la discipline.

Au monastère, je découvre que les petits orphelins, sales et en haillons, travaillent durement à l'agrandissement du temple. Par ailleurs, ces orphelins sont utilisés pour apitoyer les donateurs occidentaux. Quand deux enfants, accusés de vol, sont séquestrés et battus, je m'insurge. Mais ne trouve personne pour m'aider à faire libérer les enfants. L'autre moine français traverse une crise mystique qui le transforme en imbécile heureux. Une ethnologue allemande ne songe qu'à son mémoire sur les danses sacrées des Bönpo. Le petit groupe d'occidentaux, qui participe à un stage de tcheu, ne veut pas savoir que le féodalisme tibétain perdure en Inde. Cette vérité gâcherait leur précieuse recherche de la grande béatitude tantrique.

Profondément écœuré, je quitte le monastère après avoir déclaré que je rejoins la voie des moines solitaires.

Chacun est un éveillé qui s’ignore

Le buffle représente notre nature propre, la nature de l’éveil,  la nature de Buddha, l’Ainsité (et la vacuité) Le Chemin de l’Eveil Le dres...