vendredi, septembre 23, 2011

Technicité mystique & totalitarisme





Les occidentaux qui veulent apprendre à mieux gérer les possibilités de l'esprit et du corps sont convaincus que la maîtrise de techniques est indispensable. Or l'outillage des lamas pour conduire l'expérience mystique est impressionnant. Leurs innombrables méthodes permettraient de reproduire à volonté des états spirituels et de parvenir au contrôle des fameux pouvoirs qui fascinent l'Occident depuis presque un siècle. Dès 1929, le livre d'Alexandra David-Néel, Mystiques et magiciens du Tibet, popularise les techniques psychiques des Tibétains. Les lecteurs de la célèbre exploratrice française découvrent que des lamas utilisent des méthodes précises pour :

  • se réchauffer sans feu au milieu de la neige ;

  • parcourir, avec une rapidité extraordinaire, des distances considérables, sans se nourrir, ni prendre de repos ;
  • communiquer par la pensée, etc.

« Le secret de l'entrainement psychique, comme les Tibétains l'entendent, consiste à développer une puissance de concentration de pensée dépassant de beaucoup celle que possèdent, naturellement, les hommes même les mieux doués à cet égard », précise Alexandra David-Néel. Et elle ajoute :

« Les Tibétains affirment que par le moyen de cette concentration, des ondes d'énergie sont produites.

Le mot «onde» est de moi, bien entendu. Je l'emploie pour rendre l'explication plus claire et parce que, comme on le verra, il s'agit bien, dans la pensée des Tibétains, de courants de forces. Toutefois, ceux-ci emploient simplement le mot «énergie» . Cette énergie, enseignent-ils, est produite chaque fois qu'une action mentale ou physique a lieu. Action de l'esprit, du verbe ou du corps, d'après la classification bouddhiste. C'est de l'intensité de cette énergie et de la direction qui lui est donnée que dépend production des phénomènes psychiques.

Voici, d'après les maîtres magiciens du Tibet, différentes manières dont peut être utilisée l'énergie engendrée par une puissante concentration de pensée :

1° Un objet peut être chargé par ces ondes, à la façon d'un accumulateur électrique, et rendre, ensuite, l'énergie qu’il contient, sous la forme d'une manifestation quelconque. Par exemple : il augmentera la vitalité de celui qui entre en contact avec lui, lui communiquera de l'intrépidité, etc.

C'est en se basant sur cette théorie que les lamas préparent des pilules, de l'eau bénite et des charmes de diverses espèces, qui sont supposés protéger contre les accidents ou tenir en bonne santé.

Le lama doit premièrement se purifier par un régime alimentaire particulier et par la méditation dans la retraite ; ensuite, il concentre ses pensées sur les objets qu'il veut charger de force bienfaisante. Plusieurs semaines ou même plusieurs mois sont parfois consacrés à cette préparation. Cependant, quand il s'agit seulement d'écharpes ou de cordons charmés, ceux-ci sont souvent noués et consacrés en quelques minutes.

2° L'énergie transmise à l'objet infuse en lui une sorte de vie, et il devient capable de mouvement et peut accomplir des actes qui lui sont dictés par celui qui l'a animé.

L'on peut se rappeler ici l'histoire des gâteaux rituels (tormas) que le lama-sorcier de Trangloung envoya à travers les airs, dans les maisons des villageois qui lui désobéissaient. »

La technicité lamaïste est particulièrement bien accueilli par le Nouvel Age dont le but des méthodes est de reproduire à volonté les états mystiques comme s'il s'agissait d'objets de laboratoire. Dans son livre « L'idéologie du New Age », Michel Lacroix relève une contradiction du Nouvel Age :

« Voilà un mouvement qui part en guerre contre la société technicienne et contre le matérialisme, qui se proclame le défenseur des valeurs de l'esprit, qui veut promouvoir la civilisation de l'être. Or, le modèle de vie spirituelle qu'il préconise relève du plus pur technicisme. L'âme des « new-agers » est asservie à des procédés. L'un des livres à succès du Nouvel Age porte un titre qui a valeur de symbole : « L'Age d'être et ses techniques ». Un outillage pour conduire l'expérience mystique et spirituelle... La quête de l'être a donc besoin qu'on l'instrumentalise. Les animateurs de stages de transformation personnelle enseignent que, pour vivre pleinement, il faut apprendre à « mieux gérer les possibilités de son esprit et de son corps ». Ce langage technocratique est très révélateur. Pour connaître une vie pleine, il faut donc recourir à des techniques de gestion rationnelle. Il est d'ailleurs caractéristique de voir la place qu'occupe le concept fort ambigu de « gestion mentale » dans toutes sortes de techniques que le Nouvel Age reprend à son compte, telles la programmation neurolinguistique ou l'analyse transactionnelle. »

Le Nouvel Age intègre les disciplines orientales et les techniques de méditation dans le cadre de pratiques thérapeutiques et d'une inquiétante idéologie totalitaire. Et, en matière de totalitarisme, le lamaïsme n'a pas de leçons à recevoir. N'oublions pas que la dictature religieuse des lamas a duré jusqu'au milieu du XXe siècle. C'est seulement le 28 mars 1959 que le servage est aboli par les Chinois. L'institution des dalaï-lamas remonte au XIVe siècle. Le premier dalaï-lama se nommait Gedun Drup (1391-1474).

Chögyam Trungpa, né en 1939 au Tibet, est une exception dans la diaspora lamaïste, car il chercha à réformer le bouddhisme tibétain qui avait dégénéré. « Il ne gardait aucune nostalgie pour le Tibet de son enfance n'hésitant pas à affirmer que « plus personne ne pratiquait réellement, c'était une grosse arnaque. Pas étonnant que les communistes aient décidé de prendre le pouvoir, ils avaient raison de ce point de vue […]. En fait, je pense que la destruction du royaume du Tibet a été une grande chance pour le bouddhisme. », disait-il (Propos rapportés par Fabrice Midal, auteur du livre « La pratique de l'éveil de Tilopa à trungpa »). Ce lama, décédé prématurément en 1987, n'a pas vu que son travail de transplantation du bouddhisme en Occident a été dévoyé par le lamaïsme hiérarchique et féodal. En Occident, dans tous les centres dirigés par les lamas, il y a une version moderne du servage tibétain. En effet, les pauvres, qui ne peuvent payer le prix exigé pour participer aux enseignements et aux retraites, doivent travailler gratuitement et sont corvéables à merci.

On peut redouter le pire quand le lamaïsme hiérarchique et autoritaire rencontre le Nouvel Age porteur du projet de création de l'homme nouveau. Les deux travaillent sur la conscience, sur les émotions, sur les aspirations, sur les croyances... « Il y a là une tentation « fabricatrice » qui peut, le cas échéant, prêter la main à toutes les manipulations mentales », dit le Philosophe Michel Lacroix. Il précise sa pensée en ces termes :

« Le projet des régimes totalitaires du XXe siècle a été de changer l'homme. Le totalitarisme a posé en axiome la totale malléabilité, la réformabilité de la nature humaine, de sorte que l’homme a été littéralement mis en chantier. Il s'agissait de le reconstruite par l'éducation, par le conditionnement, par la propagande, par l'eugénisme... Ainsi s’est développé le fantasme de l’« homme nouveau », qui a légitimé une mainmise complète sur les individus. Le Nouvel Age ne s'inscrit-il pas dans cette filiation avec son projet de réforme radicale de l'homme ?

La transformation personnelle n'est-elle pas un avatar de ce funeste esprit « ingéniérial »? Les déclarations des formateurs sont très révélatrices à cet égard. Selon eux, il n'existe pas de nature humaine immuable, définissable une fois pour toutes : l'homme est quelque chose d'éminemment variable, reprogrammable, révisable. « L'homme, lit-on dans le prospectus d'un institut de développement personnel très prisé, doit se prendre comme un ouvrage entre ses mains. » Il faut qu'il sache démonter et remonter son moi comme un mécano. Ce sont, vous explique-t-on, vos «croyances » (c'est-à-dire « toute idée considérée comme vraie pour soi ») qui déterminent votre action ; or ces croyances peuvent être « créées ou décréées » facilement. Il vaut la peine de s'attarder sur ces quelques mots, qui sont lourds de sens. Ils veulent dire que les valeurs, les pensées, les convictions morales ou les religions - en un mot l'héritage culturel d'un individu - se laissent déprogrammer et recombiner à volonté. On vous assure qu'il est aisé de « gérer vos croyances », de les « modifier », de les éradiquer, de sorte que vous « maîtriserez ce que vous croyez ». En changeant votre système de croyance, vous aurez le sentiment de «créer délibérément votre vie », pour peu que vous ayez confié votre transformation personnelle à la méthode vantée par ledit prospectus, une méthode présentée comme particulièrement « puissante et efficace ». On imagine facilement le décapage mental qui permettra aux individus de se défaire de leurs cadres de pensée, si ces derniers sont jugés inadéquats.

Le Nouvel Age mobilise donc les sciences de l'homme et du cerveau ainsi que les techniques de la transformation pour ouvrir l'être intime à des demandes à caractère totalitaire. L'énigme de la personne et les secrets de l'âme sont investis par le technicisme et le scientisme. »

Photo :





Le plan dirigé contre l’Esprit

La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...