jeudi, octobre 13, 2011

Ni Dieu ni maître, le clash entre Léo Ferré et Claude Nougaro





En 1968, Michel Lancelot crée l'émission vedette d'Europe n° 1, Campus, où il a l'occasion d'aborder tous les grands problèmes de notre civilisation.

Au cours d'un Campus spécial intitulé « 30-40-50 » qui réunissait trois générations de chanteurs-auteurs (Bontempelli, Nougaro, Ferré), nous avons abordé le concept de la violence. Nombre de jeunes révolutionnaires ont dû trouver, ce soir-là, l'écho de leurs méditations dans les propos de Léo Ferré :

« Je pense que la violence pour un écrivain est une chose qui va de soi, dit-il en substance. Surtout à l'époque où nous vivons. A partir du moment où l'on n'est pas d'accord sur quelque chose, et qu'on le dit, on est forcément violent.

La violence est une façon de vivre. Elle n'est pas seulement coups de poing, matraques et rafales de mitraillette, bien évidemment. Elle est surtout l'idée qui fait des petits dans la tête des gens qui n'ont pas le temps d'y penser. »

Mais, curieusement, tout comme Brassens, Léo Ferré pense qu'il vaut bien mieux balayer devant sa porte que de passer l'aspirateur dans le monde. « Quand on parle de la guerre des autres, dit-il, il faut partir et aller la faire. Pour cette raison, je n'ai jamais employé le mot Vietnam ou le mot Biafra. Et puis, nous qui chantons, ne sommes-nous pas installés dans notre petite vie bourgeoise, avec nos cigarettes, nos petites femmes, notre réfrigérateur et notre chauffage central ? »

« En fait, ajoutait-il, je n'aime pas les gens qui agitent des idées dans des bureaux, sans être des opérants de ces idées. Un jour, on est venu pour me faire signer le tract des 121. J'aurais été le 122ème mais j'ai refusé. Les idées généreuses autour d'une table ne sont pas aussi généreuses que cela. »

Mais revenons a cette émission « 30-40-50 ». Trois générations d'hommes. Trois générations d'artistes. On peut entendre Léo Ferré y raconter mai 1968 :

« Il y a eu une explosion de romantisme extraordinaire dans les nuits de mai, commença-t-il. On a coupé les ailes à ces jeunes au cours de ces nuits qui n'étaient pas celles de Musset. Mais à présent, regrettait-il, ces jeunes gens s'en vont doucement dans la brume du vieillissement, ils vont entrer dans un bureau, dans un garage. Ils vont faire un métier, se marier, avoir des mômes, avoir besoin d'argent. Alors, je suis tenté de leur tendre la main, au nom du souvenir du romantisme de mai...

Mais il faudrait en sortir de ce romantisme-là. »

Ce romantisme de mal 1968, Nougaro l'ayant lui, au contraire, exalté en ces termes :

« C'était une bouffée vers le ciel, un Besoin d'absolu, une sorte de romantisme métaphysique, disait Claude. Je croyais qu'on allait fabriquer une violence, mais une violence mentale, compte tenu qu'on ne cesse de s'entre-massacrer depuis des siècles. Je croyais que nous allions sortir de cette baignoire de sang... » Et finalement, dans Paris Mai, il n'y a qu'une solitude terrible. Cette chanson ne fait que souligner la pénurie spirituelle qui règne actuellement... « J'espérais que l'on allait se battre enfin avec des mots, de vrais mots, et non pas faire des omelettes à l'intérieur du casque des C.R.S., ce qui, à mon avis, ne marque aucun progrès. Ce fut la pagaille. La cour des miracles qui hélas, n'en furent pas. »

Nougaro avait à peine terminé que débuta la plus belle engueulade radiophonique de ma carrière. Léo commença par affirmer :

- « L'important n'est pas ce que nous pensons de mai 1968. L'important est de savoir que l'on ne peut pas se battre avec un pavé contre une mitrailleuse. Il faut lutter avec une mitrailleuse contre une mitrailleuse. C'est tout.

Les jeunes veulent casser la gueule aux vieux, et ils ont raison. On me dira que je suis vieux. Eh bien, s'ils me cassent la gueule, tant pis !

Et que l'on ne me dise pas que je fais de la politique. C'est un mot, faux. Les politiciens sont des gens malhonnêtes qui essaient, du premier jusqu'au dernier, d'avoir leur « cacheton » à l’Assemblée nationale.

Quant à la gauche, poursuivit Léo Ferré, apostrophant quelque invisible adversaire, la gauche est une bâtarde. Une salle d'attente en attendant d'être à droite.

L'anarchie, voilà ce vers quoi il faut tendre. L'anarchie, ce n’est pas détruire, C'est d'abord la solitude. C'est endosser ses responsabilités. Tout seul. C'est décider une fois pour toutes : quel-que-soit-le-gouvernement-en-place-je-ne-veux- pas-prendre-des-coups-de-pied-dans-le-cul ! C'est ça l'anarchisme. »

« Et pour mettre quoi à la place de l'homme qu'on va détruire ? s'interposa Nougaro, qui, lui aussi, commençait à pâlir. L'homme encore, le même, sous une étiquette différente, avec d'autres idées... Les mêmes finalement. Tout régime fabrique ses C.R.S. et ses FLICS. »

- « Mais ce sont les régimes qu'il faut foutre en l'air ! s'exclama Léo Ferré. Il faut tuer, chaque jour, un chef d’État. Pendant six semaines. Pendant six mois. »

- « Mais, objecta de nouveau Nougaro, dis-moi pourquoi ? Ils vont être remplacés par la même graine. Ce qu'il faut analyser, c'est justement la graine de l'homme. Il faut se pencher sur lui comme un géologue se penche sur une coupe de terrain, avec des épaisseurs de schiste, de calcaire, d'argile, etc. ; comme sur un insecte... »

- « C'est sans doute pour cela que tu as une tête d'entomologiste, répliqua Ferré sèchement. »

Il y a, ce soir-là, « deux têtes de lard » dans le studio. Et, naturellement, la conversation s’envenime :

- « Je suis allé t'entendre chanter à Bobino, reprend alors Nougaro. D'abord Ni Dieu ni Maître, je déteste cette formule. Le grand pari, c'est de prouver que Dieu existe au lieu de lui arracher des poils de barbe ! De plus, eh bien, à mesure que tu chantais, l'atmosphère de la salle devenait rouge. Tu fabriquais du sanglant. Tu fabriques une violence physique qu'un jour tu vas recevoir en boomerang sur la gueule ! Il y a dans ton message un fanatisme, un aveuglement qui pour moi portent les couleurs du sang, et par conséquent de l'horreur ! Et je suis parti furieux, à la fin du spectacle... »

- « Tu exagères, dit Ferré qui a retrouvé son calme. Dans ce tour de chant, je dis des anarchistes qu'ils ont des couteaux pour trancher le pain de l'amitié et des armes rouillées...

Ce que les membres de la Fédération anarchiste m'ont reproché d'ailleurs, parce qu'ils estiment qu'ils n'ont pas que des armes rouillées. Je les crois. Mais qu'ils les sortent !

Ailleurs, je dis Ni Dieu ni Maître, c'est merveilleux. C'est une parole fantastique.

Un peu plus loin, je chante : « Et si vraiment Dieu existait, il faudrait s'en débarrasser! » N 'est-ce pas mieux que de dire comme ça, au flan, « Dieu n'existe pas ». Mais si vraiment il existe, on va lui dire merde. On va le suriner. Et puis après, on meurt. C'est pas merveilleux ?

Cela dit, je fais un tour de chant insurrectionnel. Bon, d'accord. Qui m'aime me suit. Quant à toi, Claude, sors de ton angélisme, sors de ton cocon ! »

Quelques minutes plus tard, l'émission terminée, Nougaro parti, Ferré me parlait de lui avec la plus, grande tendresse. Il avait déjà oublié l'algarade. Aucune amertume, aucune agressivité dissimulée dans ses propos. Pas un brin de rancune. Léo, tout comme Claude, s'était exprimé franchement, sur le coup de la colère. Mais c'était déjà du passé...

A propos de l’Église et de Dieu, Ferré a l'habitude de ne pas être tendre, contrairement à Brassens. Un jour, au Maroc, avec Maurice Frot, son copain, ils ont dit aux musulmans, désignant le muezzin « qui gueulait une prière du haut de sa tour » : « C'est à celui-là qu'il faut casser la gueule ! »

Pour Léo Ferré, un gouvernement tient le peuple par la flicaille dans la rue et par des idées et des injonctions religieuses. Si Léo Ferré éprouve une haine, c'est, autant que j'ai pu en juger, envers tous les clergés du monde.

« La plus grande escroquerie qui ait jamais existé, m’a-t-il affirmé un jour, c'est le Christ. Et le plus grand imprésario, c'est le Vatican. Et le spectacle dure depuis deux mille ans ! »

Je n'ai jamais vu, dans l'univers du show business français, un personnage animé d'une telle fureur de vivre et de parler. Une sorte de fébrilité intérieure, un appétit féroce de ce qui est neuf, de ce qui bouscule, de ce qui dérange. « Je suis de demain matin », dit-il volontiers.

Oscillant entre les névroses issues de son enfance et les ambitions phénoménales d'un adulte de cinquante ans, bourré de contradictions attachantes, Léo s'agite, hurle, insulte, crie, crée des chansons admirables, prend parti pour l'un, attaque l'autre ; fidèle dans ses amitiés (j'ai pu le constater personnellement), il trimballe sa dégaine de vieil adolescent avec insolence.

« On ne choisit pas, dit-il. Il ne faut pas choisir, sinon, on est piégé, on est foutu. Il faut vivre libre de soi et des autres. La liberté, c'est le seul mot digne après le mot amour. Il faut éviter, échapper à la fourmilière qu'on nous prépare, et qui a déjà commencé.

Puisque les maîtres existent, il faut leur cracher à la gueule. Il faut être indiscipliné. Il faut se forcer à être solitaire et digne, quitte à se donner des coups de pied dans le cul ! »

Léo Ferré crie tout cela. Mais il dit aussi des mots tendres. L'amour malheureux, l'amour caché, l'amour volé, l'amour appris, l'amour inventé au coin de la rue, l'amour défendu par des millénaires d'injonctions et d'impératifs moraux, l'amour et la femme, l'amour et la mère. Et nous, qui sommes les enfants. Et cette femme, qui est un être « à la fois extraordinaire et dangereux ». Toutes ces actions interdites et profanées, c'est aussi l'univers de Ferré.

Obsession de l'amour des hommes et des femmes. « Le drame de l'amour, c'est quand on dort, dit-il. Il ne faudrait jamais dormir à côté de celle que l'on aime. Le sommeil est une mort figurée. Pourquoi mourir ensemble ? » Obsession qui, dans ses propos, frôle parfois un délire fascinant. « Quoi de plus extraordinaire que l'amour adultère que l'on châtie depuis des siècles... C'est la plus belle fleur de l'amour, que l'on cherche à tâtons, avec une lanterne... Le péché d’Ève, ce n'est pas une pomme, c'est une pomme cuite... Mais, j'aime les pommes cuites... Je ne trouve rien de plus beau qu'une femme enceinte, plastiquement. Le mariage : abominable; le côté administratif de l'amour, le côté état civil, le côté de l'anthropométrie. On signe et nous voilà parqués. On va chez M. le Maire et M. le Machin après... Et la femme, toute seule, fait son enfant. Et elles nous le font bien savoir... Nous autres, nous ne sommes que des passants. De déplorables passants. »

Ni Dieu, ni Maître, ni Épouse ; il reste aux hommes l'amitié. Demain, avec un peu de chance, ils trouveront la fraternité.

Michel Lancelot, Campus.


La guerre contre l’Islam est-elle une phase de la guerre ultime : la Guerre contre le Christ ?

La doctrine de la « démocratie libérale et des droits de l’homme » est une crypto-religion, une forme extrême, hérétique de judaïsme christ...