samedi, décembre 17, 2011

Lenoir & le daïmon







Philosophe et directeur du Monde des religion, Frédéric Lenoir écrit :

« Depuis plus de vingt-cinq ans, le Bouddha, Socrate et Jésus sont mes maîtres de vie. J'ai appris à les fréquenter, à me frotter à leur pensée, à méditer leurs actes, leurs différences et leurs convergences. Ces dernières m'apparaissent finalement plus importantes. Car, malgré la distance géographique, temporelle et culturelle qui les sépare, leurs vies et leurs enseignements se recoupent sur des points essentiels. Ce témoignage et ce message, qui m'aident à vivre depuis tant d'années, j'ai eu envie de les faire partager. Je suis convaincu qu'ils répondent aux questions et aux besoins les plus profonds de la crise planétaire que nous traversons.

Car la vraie question qui se pose à nous est la suivante : l'être humain peut-il être heureux et vivre en harmonie avec autrui dans une civilisation entièrement construite autour d'un idéal de l'«avoir» ? Non, répondent avec force le Bouddha, Socrate et Jésus. L'argent et l'acquisition de biens matériels ne sont que des moyens, certes précieux, mais jamais une fin en soi. Le désir de possession est, par nature, insatiable. Et il engendre frustration et violence. L'être humain est ainsi fait qu'il désire sans cesse posséder ce qu'il n'a pas, quitte à le prendre par la force chez son voisin. Or, une fois ses besoins matériels essentiels assurés — se nourrir, avoir un toit et de quoi vivre décemment —, l'homme a besoin d'entrer dans une autre logique que celle de l'« avoir» pour être satisfait et devenir pleinement humain : celle de l'«être». »

Mais « être » n'est pas toujours simple quand il existe un pluriel assez singulier, comme le rappelle Frédéric Lenoir en évoquant le daïmon qui « hantait » et conseillait Socrate :

« Socrate a-t-il connu son aîné Anaxagore ? Né à Clazomènes, celui-ci a la réputation d'avoir introduit la philosophie à Athènes. Une légende voudrait que Socrate ait dans un premier temps compté parmi les disciples d'Anaxagore, tenant de la théorie du Nous, intelligence physique, quasi mécanique, ordonnatrice de l'univers. Cette théorie lui vaudra d'ailleurs d'être condamné à mort pour athéisme : Anaxagore fuira alors Athènes pour finir ses jours à Milet, berceau des philosophes. Il est fort probable que les deux hommes se soient croisés dans les cercles de penseurs athéniens qu'ils fréquentaient l'un et l'autre. Le Phédon de Platon et les Nuées d'Aristophane laissent supposer que, dans un premier temps, Socrate s'est intéressé aux spéculations de la physique, qui constituaient l'essentiel de la réflexion de ces philosophes que l'on appelle aujourd'hui « présocratiques ». Néanmoins, Socrate ne tarde pas à chercher ailleurs une explication aux questions qu'il se pose : « La réputation que j'ai acquise vient d'une certaine sagesse qui est en moi. Quelle est cette sagesse ? C'est peut-être une sagesse purement humaine », lui fait dire Platon dans son Apologie (20d), laissant entendre que la démarche réflexive a toujours fait partie de sa quête. D'ailleurs, parmi ses premiers compagnons, certains se vivent déjà comme ses disciples, alors même qu'il n'a pas encore entamé sa carrière de philosophe errant — carrière que l'on pourrait comparer à celle des prédicateurs sillonnant au même moment les contrées éloignées de l'Indus et de la Mésopotamie.

Sa carrière commence véritablement avec un étrange épisode qui se situe vers 420 avant notre ère, rapporté notamment par Platon dans son Apologie. Socrate a alors environ cinquante ans. Chéréphon, l'un de ses amis d'enfance, se rend à Delphes pour consulter l'oracle de la pythie, le plus célèbre de toute la Grèce, qui lui affirme : « De tous les hommes Socrate est le plus sage (sophos).» Dubitatif, Socrate se rend auprès de l'homme qui passe pour le plus grand sage d'Athènes, un politicien dont il ne révèle pas le nom. Il en revient bouleversé « Je raisonnai ainsi en moi-même : je suis plus sage que cet homme. Il peut bien se faire que ni lui ni moi ne sachions rien de fort merveilleux; mais il y a cette différence que lui, il croit savoir, quoiqu'il ne sache rien. Et que moi, si je ne sais rien, je ne crois pas non plus savoir. » Il s'adresse ensuite aux poètes, aux artistes, à tout ce que la cité compte de personnalités réputées. Il en arrive à cette conclusion : il n'existe pas d'homme sage. À partir de ce moment, Socrate voit dans l'oracle de la pythie le signe d'une mission divine, un encouragement à enseigner. Et il fait désormais sienne la devise inscrite au fronton du temple d'Apollon: « Connais-toi toi-même ».

À plusieurs reprises, Socrate insiste sur l'existence en lui d'une « voix » intérieure, un daïmon, littéralement son « démon », un génie familier qu'il considère comme une émanation de la divinité. Celui-ci l'accompagne depuis que l'oracle de Delphes l'a désigné, l'arrêtant quand il faut ou le stimulant quand il est sur le point de manquer à sa mission, se substituant aux oracles pour lui faire parvenir le message des dieux. C'est cette voix qui l'aide à croiser le chemin de Phèdre pour se lancer avec lui dans un long dialogue sur l'amour. Socrate le reconnaît avec une simplicité déconcertante : « Lorsque j'étais, bon ami, sur le point de repasser la rivière, j'ai senti ce signal divin et familier qui m'arrête toujours au moment où je vais accomplir une action. J'ai cru entendre ici même une voix qui me défendait de partir avant de m'être astreint à une expiation, comme si j'avais commis quelque faute à l'égard de la divinité », rapporte-t-il à son compagnon (Phèdre, 242). Ses disciples ne savent trop qu'en penser : « Il disait avoir en lui un génie qui lui indiquait ce qu'il devait faire et ce qu'il devait éviter », commente sobrement Xénophon (Mémorables, 4, 8). Ils restent cependant stupéfaits face au très étrange état dans lequel Socrate peut tomber à l'improviste, état de catalepsie qui le maintient complètement immobile, sans même battre des paupières. Cela pouvait durer quelques minutes ou plusieurs heures, et il était alors complètement étranger à tout ce qui pouvait se produire autour de lui. Était-il abîmé dans une sorte de méditation ? En connexion avec son daïmon, avec lequel il entretenait une relation privilégiée ? Nul ne s'est hasardé à interpréter ces états extatiques. Platon en a fait une description factuelle dans Le Banquet : «Un matin, on l'aperçut debout, méditant sur quelque chose. Ne trouvant pas ce qu'il cherchait, il ne s'en alla pas, mais continua de réfléchir dans la même posture. Il était déjà midi. Nos gens l'observaient et se disaient avec étonnement que Socrate était là, rêvant depuis le matin. Vers le soir, les soldats apportèrent leurs lits de camp à l'endroit où il se trouvait, afin de coucher au frais (on était alors en été) et d'observer s'il passerait la nuit dans la même attitude. En effet, il continua à se tenir debout jusqu'au lever du soleil. Alors, après avoir fait sa prière au soleil, il se retira » (220 c-d).

La relation de Socrate avec son daïmon est évidemment bien embarrassante pour certains historiens de la philosophie qui font de lui le père du rationalisme occidental. On tente alors de réduire le fameux daïmon à la voix de la conscience, et on parle des extases de Socrate comme de crises d'épilepsie. Ainsi qu'on vient de le voir, ce n'est pas ce que disent les biographes de Socrate, visiblement eux-mêmes troublés par cet étrange phénomène que l'on retrouve pourtant de manière courante chez les chamanes des traditions premières, ou chez les mystiques de toutes les religions quand ils se sentent soudain possédés par la divinité et entrent, de ce fait, dans des états extatiques. Quoi qu'il en soit, que l'on croie ou non aux esprits et aux forces surnaturelles, il est évident que
Socrate s'est présenté et a été perçu par ses disciples à la fois comme un philosophe qui s'appuie sur la raison et comme un mystique qui se sent connecté à une force supérieure. » (Fréderic Lenoir, Socrate, Jésus, Bouddha, trois maîtres de vie.)

Fréderic Lenoir aurait-il été inspiré par un démon lamaïste – au demeurant fort nombreux – en terminant son livre Socrate, Jésus, Bouddha par l'apologie, une quasi canonisation, du dalaï-lama ?


Socrate, Jésus, Bouddha
Trois maîtres de vie

La crise que nous vivons n'est pas simplement économique et financière, mais aussi philosophique et spirituelle. Elle renvoie à des interrogations universelles : Qu'est ce qui rend l'être humain heureux ? Qu'est-ce qui peut être considéré comme un progrès véritable ? Quelles sont les conditions d'une vie sociale harmonieuse ? Contre une vision purement matérialiste de l'homme et du monde, Socrate, Jésus et Bouddha sont trois maîtres de vie. Une vie qu'ils n'enferment jamais dans une conception close et dogmatique. Leur parole a traversé les siècles sans prendre une ride, et par-delà leurs divergences, ils s'accordent sur l'essentiel : l'existence humaine est précieuse et chacun, d'où qu'il vienne, est appelé à chercher la vérité, à se connaître dans sa profondeur, à devenir libre, à vivre en paix avec lui-même et avec les autres. Un message humaniste et spirituel, qui répond sans détour à la question essentielle : pourquoi je vis ?

Chacun est un éveillé qui s’ignore

Le buffle représente notre nature propre, la nature de l’éveil,  la nature de Buddha, l’Ainsité (et la vacuité) Le Chemin de l’Eveil Le dres...