mercredi, décembre 28, 2011

Les contes pour enfants malpolis





J'ai trouvé, au cours de mon enquête (Les gros mots des enfants), une remarquable pérennité des thèmes, des variantes, et même du vocabulaire employés. Concrètement, je connaissais la majorité des mots, histoires ou comptines proposés par les enfants d'aujourd'hui. Cela semble largement confirmé par les références historiques proposées dans le livre de Gaignebet (Le Folklore obscène des enfants) Celui-ci s'appuie en particulier sur un ouvrage de Van Gennep, qui prend sa documentation à partir de 1937, ainsi que sur une enquête de Baucomont, datée de 1931. Il va même chercher des textes beaucoup plus avant dans l'histoire, jusqu'au XVIe siècle et en deçà. Or on s'aperçoit, à travers les sources les plus anciennes, que les thèmes du folklore enfantin demeurent étonnamment stables : le pet, le loup, la merde. En fin de compte, ce n'est d'ailleurs pas si étonnant que ça, si on considère la place de la fantasmatique anale dans la structuration de la personnalité.

A coup sûr, les parents et grands-parents d'aujourd'hui ont chanté les mêmes choses que leurs rejetons, et s'ils l'ont oublié c'est parce qu'ils ne veulent pas s'en souvenir, pour des raisons évidentes de dénégation pédagogique.

On perçoit cependant quelques légers glissements que je voudrais souligner, pour proposer quelques hypothèses explicatives. Ne m'appuyant pas sur une étude approfondie de textes, je formule seulement mes cogitations, et je prie qu'on ne s'offusque pas si elles se révèlent simplettes aux yeux des spécialistes.
Il y avait jadis une participation beaucoup plus grande des enfants à la vie de la communauté adulte, comme on le voit particulièrement à l'occasion des grandes festivités, dont les origines païennes sont d'ailleurs assez claires (carnaval, fête de la Saint-Jean, etc.). Le jeu de « pet en gueulle », par exemple, que Gaignebet repère dans Rabelais (Gargantua, chap. XXII) ne produisait ni censure ni dénégation de la part des adultes, comme le prouve une abondante iconographie. Les enfants jouaient à péter, et les adultes aussi !

La prééminence du rôle du loup, qui semble nettement décroître dans le folklore actuel, tient sans doute à l'évolution des conditions culturelles. Non pas tant à la disparition réelle des loups dans nos régions, alors qu'il était dangereusement présent dans les campagnes jusqu'au siècle dernier, qu'à la disparition des contes le mettant en scène.

Ou, plus exactement, ce qui a disparu récemment, c'est la fonction des grands-pères raconteurs d'histoires à toute la maisonnée, remplacés par la toute-puissance abêtissante de la télévision. Il y a des histoires de loup dans mes souvenirs d'enfance ; je n'en ai pas trouvé chez les enfants d'aujourd'hui.

Contrairement à l'opinion courante actuelle, les contes « pour enfants » ne s'adressaient nullement à ceux-ci de manière spécifique, mais bien à l'ensemble de la communauté familiale, parents et autres adultes compris. La fantasmatique à l'œuvre n'était donc absolument pas cloisonnée, et les mêmes sujets faisaient rire petits et grands. On en voit une illustration dans le film italien L'Arbre aux sabots, où la vie paysanne réunit à la veillée toutes les familles du village, qui écoutent avec délices des contes effrayants.

N'oublions pas non plus que le travail de Perrault, qui a consisté à mettre par écrit toute une littérature populaire orale, n'est pas adressé aux enfants en tant que tels. Le Petit Chaperon rouge est explicitement destiné, par l'auteur, aux jeunes filles en âge de se marier, pour qu'elles ne se laissent pas séduire par n'importe quel rôdeur. Nous en sommes loin, dans les versions modernes ! Cela pour dire que les interprétations actuelles, y compris celle de Bettelheim qui prétend parler en psychanalyste (Psychanalyse des contes de fée), sont radicalement fausses. Appuyées sur la notion historiquement aberrante d'un message moral adressé aux enfants, elles oublient dans le même mouvement le contexte imaginaire sur lequel s'appuyaient les contes, et qui concernait les vieux comme les jeunes.

Prenons l'histoire des Trois Petits Cochons. Bettelheim prétend que la leçon en est la prééminence du principe de réalité sur le principe de plaisir : le petit cochon qui construit sa maison en pierre, au prix d'un dur travail, résistera au loup. Alors que les deux autres, qui ont bâti la leur à la hâte et sans réfléchir, en s'amusant, sont mangés. Conclusion : faut être sérieux dans la vie, et ne pas penser qu'à rigoler. Manque de chance, c'est archifaux... tout simplement parce que l'histoire originelle est complètement différente. Si Bettelheim y avait regardé de plus près, il se serait aperçu que le principe de plaisir et le principe de réalité n'ont rien à voir dans l'affaire. Tout tourne autour du pet : fantasme d'absorption/défécation, extrêmement répandu dans la tradition orale, et où le loup tient une place de premier choix, comme avaleur universel, et péteur-chieur. On retrouve d'ailleurs de nombreux exemples, chez Gaignebet, de loup qui pète et qui chie.

Pour revenir aux Trois Petits Cochons, dans les versions anciennes, le loup PETE sur les maisons, et il les détruit toutes les trois. Ensuite, il rend les petits cochons, également EN PETANT. C'est donc sur un contresens énorme que se fonde « l'interprétation » de Bettelheim. En réalité, ce conte comme beaucoup d'autres ne met pas l'accent sur l'opposition plaisir/réalité, mais bien sur une AUTRE REALITE DU PLAISIR, à dimension fortement marquée socio-historiquement : le plaisir de bouffer, et le plaisir de péter, signe qu'on a bien bouffé.

Voilà pourquoi on trouve souvent, dans les histoires, une polarité de la tête et du cul ; cela ne tient pas seulement à une similitude de forme.
Patrick Boumard



Les gros mots des enfants

Les gros mots : interdit d'en prononcer dans la famille ; interdit aussi dans la salle de classe. Les petits enfants ne disent-ils pas de gros mots ? Les adultes, parents et pédagogues, répondront sans doute qu'ils n'utilisent pas «ces mots-là». Et pourtant, si l'on se donne la peine de les écouter, on entend tout autre chose : les enfants, même les tout-petits, adorent dire des gros mots.

Après avoir laissé parler des mômes de 3 à 8 ans, Patrick Boumard montre que l'usage des gros mots est général, utile et même nécessaire : tous les enfants en disent, ils structurent leur personnalité en jouant — verbalement — avec la merde ; ils répondent par ce moyen collectif aux commandements et contraintes des adultes. Ce livre plein de trouvailles linguistiques est, de plus, fort drôle. Il «pète» de santé enfantine. Et le mortel sérieux des adultes et des pédagogues en prend un sacré coup. Tous les parents, tous les « profs », tous les «instits », tous ceux qui aiment les enfants et qui ne sont pas confits d'hypocrisie auront à cœur de le lire.








« Ah, ce qu'on s'marre merde de Dieu de caca boudin »

Chacun rêve plus ou moins, dans un coin de sa tête, de pouvoir faire un petit retour en enfance. J'ai vaguement l'impression d'y être plus ou moins parvenu, en suivant les sentiers rieurs qui font la trame de ce livre.

Oh ! bien sûr, quand on parle de l'enfance, on fait généralement allusion à l'innocence, à la pureté, au doux confort du cocon maternel. Le contraire des vicissitudes du réel.

Ce n'est pas du tout en ce sens que je parle de retour en arrière. J'y ai plutôt retrouvé le foisonnement, la gaieté, l'éclatement même des enfants qui se défendent remarquablement contre la grande machine à normaliser qu'on nomme éducation.

Ils font comme ils peuvent, et souvent s'en sortent mal, car l'agression est féroce et permanente ; mais du moins ils se démènent comme de beaux diables. Et je les ai admirés.

Le plaisir de jouer avec les mots, le difficile travail de la transgression, le sens de l'humour sans méchanceté, la jubilation de rouler les adultes qui n'y comprennent rien et sont toujours à côté de la plaque, c'est tout cela que les enfants m'ont donné à apercevoir. Le formidable déferlement de rires qu'occasionnent les jeux avec la merde m'a semblé infiniment riche et plein de vie.

En face de cette exubérance, j'ai trouvé bien pâles et misérables les histoires salaces des adultes. Les blagues de régiment, les obscénités tristes des cartes postales cochonnes, les plaisanteries vaseuses des phallocrates minables qui dévisagent les filles, affalés autour de leur pastis, tout ça m'a paru assez méprisable. Les obscénités des adultes sont presque toujours les projections pathologiques d'une sexualité agressive et humiliante. Et ce sont les mêmes qui sont les pères, éducateurs des mômes qu'ils s'efforcent autant qu'ils peuvent d'écrabouiller, par des insultes ou par des claques, de façon à se persuader qu'au moins dans leur famille ils sont les chefs !

Vraiment, les gros mots des petits sont bien plus rigolos, et leurs histoires plus amusantes.

Devant l'élaboration de la fantasmatique du caca boudin, indispensable à la structuration de la personnalité, on ne répond que par la répression. Dérisoire ! Mais les mioches sont plus malins : le trésor collectif de l'enfance s'accumule, hors de la vue des adultes. Toujours le même, dans tous les lieux, dans toutes les couches sociales, à travers les générations. Une sorte de mot de passe propre à la classe d'âge des petits. C'est tout cela que les adultes ont fait semblant d'oublier, et que j'ai retrouvé en écoutant les enfants — les délices des chansons, les clins d’œil des comptines. Tout y était, une génération plus tard.

Seule manquait la dimension de création : c'est sans doute trop loin, et, de toute façon, les inventions sont immédiatement réinjectées dans le groupe, devenant propriété collective. A voir les enfants poètes, j'ai ressenti comme un manque ce qui est irrémédiablement perdu : cette capacité de transformation ludique de la réalité. Je sais bien, il n'y a pas que les gros mots qui soient source d'inspiration ! Mais le pied de nez aux adultes est tellement sympathique...

Restons-en là, dans ce rêve du temps retrouvé, celui des poètes du caca boudin.

J'espère vaguement que les parents, à la lecture de ces pages édifiantes, laisseront un peu leurs enfants jouer avec les mots, comprendront qu'il leur est important de se raconter entre eux leurs blagues et leurs chansons, recevront les insultes de leur progéniture comme le signe d'une révolte, bien souvent légitime. Et peut-être même qu'ils auront envie de vivre, en participant à leurs plaisanteries, une complicité radicalement antipédagogique. En tout cas, moi, je me suis bien marré, merde de Dieu de caca boudin !  


Patrick Boumard, docteur en Sciences de l'Éducation.





Chacun est un éveillé qui s’ignore

Le buffle représente notre nature propre, la nature de l’éveil,  la nature de Buddha, l’Ainsité (et la vacuité) Le Chemin de l’Eveil Le dres...