dimanche, décembre 25, 2011

Sigmund Freud contre Wilhelm Reich



« L'histoire de la formation des idéologies montre que tout système social, de façon consciente ou non, utilise l'influence sur les enfants afin de s'enraciner dans la structure humaine. Si nous suivons ce processus d'ancrage dans son évolution de la société matriarcale à la société patriarcale, nous nous apercevons que l'éducation sexuelle est le noyau de ce processus d'influencement. Dans la société matriarcale, fondée sur l'ordre social du communisme primitif, les enfants jouissent d'une liberté sexuelle complète. Et dans la mesure même où le patriarcat se développe économiquement et socialement, nous voyons se développer une idéologie ascétique relative à l'éducation des enfants. Ce changement a pour fonction de créer une structure interne de type autoritaire au lieu de la structure antérieure non-autoritaire. Dans le matriarcat, il y a une sexualité collective des enfants, qui correspond à une vie collective en général ; c'est-à-dire que l'enfant n'est pas contraint par quelque règle à une forme de vie sexuelle prédéterminée.

La sexualité libre de l'enfant constitue une base structurale solide pour son adaptation volontaire à la collectivité et pour la discipline volontaire du travail.

Avec le développement de la famille patriarcale, la répression sexuelle chez l'enfant va croissant. Le jeu sexuel devient interdit, la masturbation punie. Le récit de Roheim sur les enfants Pitchentara montre clairement de quelle façon tragique tout le caractère de l'enfant est changé lorsque sa sexualité naturelle est réprimée. Il devient timide, plein d'appréhension, redoutant l'autorité, et développe des impulsions sexuelles non-naturelles, telles que les dispositions sadiques. Le comportement libre, non-craintif, est remplacé par l'obéissance et la dépendance. »
Wilhelm Reich, La révolution sexuelle.


« En 1931, Reich crée une Association pour une politique sexuelle prolétarienne connue sous le nom de Sexpol. Elle fédère environ quatre-vingts organisations de politiques sexuelles et regroupe dans une même structure trois cent cinquante mille membres. Reich y tient un discours assimilable à notre Planning familial : favoriser l'accès aux contraceptifs ; abolir les lois qui interdisent l'avortement ; aider à l'IVG ; promouvoir des aides financières et médicales aux femmes pendant la grossesse et l'allaitement; supprimer les distinctions entre mariés et célibataires ; bannir l'usage du mot « adultère » ; banaliser le divorce ; éradiquer la prostitution par l'éducation ; éduquer à l'hygiène sexuelle ; mettre sur pied un programme politique proposant l'épanouissement de la vie sexuelle, mais également économique; diffuser l'éducation sexuelle auprès des jeunes, puis de tous les publics ; ouvrir des centres de soins gratuits ; former des éducateurs, des médecins, des pédagogues, des travailleurs sociaux dans les domaines de l'hygiène sexuelle ; remplacer la répression policière et judiciaire des crimes sexuels par un authentique travail de prévention des causes de cette délinquance ; protéger les enfants et les adolescents des avances sexuelles des adultes.

La même année, à Düsseldorf, le premier congrès réunit vingt mille représentants. Quelques mois plus tard, Sexpol rassemble près de quarante mille membres. A chacun de ses meetings, Reich se retrouve devant deux à trois mille auditeurs. Il y investit de l'argent personnel, utilise sa voiture pour transporter le matériel, participe aux rassemblements de chômeurs, milite dans des organisations antinazies. En 1932, il crée une maison d'édition et imprime à ses frais des brochures diffusées gratuitement par ses soins. Au contraire de Freud, Reich ne tourne pas le dos à l'histoire, il évolue dans l'histoire...

On comprend combien cette position contredit radicalement la théorie pessimiste de Freud pour qui : la civilisation se crée, se nourrit, dure et perdure avec le renoncement de chacun à l'exercice libre de sa sexualité ; la libération sexuelle est inimaginable, impensable et de toute façon insouhaitable. Sur la question de la relation entre sexualité et névrose, libération de la libido et disparition des pathologies, Freud triomphe en conservateur, voire en réactionnaire ; Reich en révolutionnaire... Pour vivre malgré la pression de la société sur la sexualité, le premier propose une discrète « infidélité conjugale» (VIII, 211) pour ceux qui le peuvent (voir La Morale sexuelle « culturelle » et la nervosité moderne) et le divan comme horizon libérateur ; le second, une révolution politique — à gauche. Je souscris à cette hypothèse politique constitutive d'une psychanalyse non freudienne.

Pour sa part, pendant que Reich milite à gauche pour promouvoir la libération sexuelle et lutter concrètement contre le nazisme, Freud envoie Max Eitingon négocier avec l'émissaire de l'Institut Göring, Felix Boehm, pour que la psychanalyse puisse continuer à exister sous le régime national-socialiste ! La psychanalyse ? Plutôt : sa psychanalyse... Car Freud manifeste moins une prévention de principe contre le fascisme de Mussolini ou celui de Dollfuss, sinon le nazisme, que contre le bolchevisme (abondamment critiqué dans Malaise dans la civilisation et L'Avenir d'une illusion) : le marxisme de Reich l'insupporte, son militantisme en faveur des pauvres, des chômeurs, des ouvriers, des employés, son bénévolat, tout cela le conduit à fomenter son exclusion des instances psychanalytiques viennoises et internationales.

De plus, dans Le Caractère masochiste (1932) Reich critique la conception freudienne d'une pulsion de mort biologiquement inscrite dans les cellules et mystérieusement puissante comme une force naturelle — un «principe de nirvana » en vertu duquel le vivant tendrait à l'état d'avant le vivant, autrement dit au néant. La vie voudrait donc naturellement la mort. Reich met la pulsion de mort en relation avec les conditions de vie économiques des individus. Il oppose donc sa lecture sociologique et politique à la lecture métapsychique et phylogénétique de Freud.

La Société psychanalytique de Vienne met Reich en demeure de ne plus s'exprimer dans des assemblées de gauche. L'auteur de La Révolution sexuelle refuse et demande qu'on lui signifie cette interdiction par écrit. Les freudiens n'enverront aucune lettre. Anna Freud confie à Ernest Jones le 27 avril 1933 que son père souhaite l'éviction de Reich de l'association. Sigmund Freud lui-même écrit le 17 avril 1933 (Hitler est au pouvoir...) à l'émissaire nazi du futur Institut Giring, Felix Boehm, alors à la tête de la Société psychanalytique allemande : « Débarrassez-moi de Reich ! » Un vœu satisfait par les nazis en 1934...

Avec Wilhelm Reich, le freudo-marxisme voit le jour de cette manière : cette association de mots et d'idées annihile le pire du freudisme, son anhistorisme, et le pire du marxisme, son totalitarisme, au profit d'un inconscient inscrit dans l'histoire et d'une révolution libertaire dont l'économie ne constitue pas le fin mot. D'une part l'histoire concrète de la psyché matérielle du sujet; d'autre part l'histoire concrète de l'époque. Reich propose pour ce faire l'analyse caractérielle, un premier temps dans un mouvement qui, avec l'analyse existentielle de Binswanger, la psychanalyse concrète de Politzer et la psychanalyse existentielle de Sartre, balise un chemin pour sortir du freudisme engoncé dans son monde nouménal. Un chemin au bout duquel se trouve aujourd'hui notre proposition de psychanalyse non freudienne. »

Michel Onfray, Apostille au Crépuscule.






Écoute, Petit Homme !
Wilhelm Reich



Ils t'appellent "petit homme", "homme moyen", "homme commun" ; ils annoncent qu'une ère nouvelle s'est levée, "l'ère de l'homme moyen".

Cela, ce n'est pas toi qui le dis, petit homme ! Ce sont eux qui le disent, les vice-présidents des grandes nations, les leaders ouvriers ayant fait carrière, les fils repentis des bourgeois, les hommes d'état et les philosophes. Ils te donnent ton avenir mais ne se soucient pas de ton passé. Tu es l'héritier d'un passé horrible. Ton héritage est un diamant incandescent entre tes mains. C'est moi qui te le dis !

Un médecin, un cordonnier, un technicien, un éducateur doit connaître ses faiblesses s'il veut travailler et gagner sa vie. Depuis quelques années, tu as commencé à assumer le gouvernement de la terre. L'avenir de l'humanité dépend donc de tes pensées et de tes actes. Mais tes professeurs et tes maîtres ne te disent pas ce que tu penses et ce que tu es réellement ; personne n'ose formuler sur toi la seule critique qui te rendrait capable de prendre en main ta propre destinée. Tu n'es "libre" que dans un sens bien déterminé : libre de toute préparation à la maîtrise de ta propre vie, libre de toute autocritique.

Jamais je n'ai entendu dans ta bouche cette plainte : "Vous prétendez faire de moi mon propre maître et le maître du monde, mais vous ne me dites pas comment on peut se maîtriser, vous ne me révélez pas mes erreurs dans ma façon de faire, de penser et d'agir !"

Tu t'en remets au puissant pour qu'il exerce son autorité sur le "petit homme". Mais tu ne dis rien. Tu confies aux puissants ou aux impuissants animés des pires intentions le pouvoir de parler en ton nom. Et trop tard tu t'aperçois qu'une fois de plus on t'a trompé.

Je te comprends. D'innombrables fois je t'ai vu nu, physiquement et psychiquement, sans masque, sans carte de membre d'un parti politique, sans ta "popularité". Nu comme un nouveau-né, comme un feld-maréchal en caleçon. Tu t'es lamenté devant moi, tu as pleuré, tu m'as parlé de tes aspirations, de ton amour et de ton chagrin. Je te connais et te comprends. Je vais te dire comment tu es, petit homme, car je crois sérieusement en ton grand avenir. Il est à toi, sans doute ! Ainsi, ce qu'il faut en premier lieu, c'est te regarder toi-même. Regarde-toi comme tu es réellement. Écoute ce que te disent tes führers et tes représentants :

"Tu es un petit homme moyen !" Réfléchis bien au double sens de ces deux mots, "petit" et "moyen"...

Ne te sauve pas. Aie le courage de te regarder toi-même !

"De quel droit voulez-vous me donner une leçon ?" Je vois poindre cette question dans ton regard craintif. Je la vois sur ta bouche arrogante, petit homme ! Tu as peur de te regarder, tu as peur de la critique, petit homme, tout comme tu as peur, de la puissance qu'on le promet. Tu n'as aucune envie d'apprendre comment utiliser cette puissance. Tu n'oses pas t'imaginer que tu pourrais un jour ressentir autrement ton Moi; que tu puisses être libre et non plus comme un chien battu, franc et non plus tacticien ; que tu puisses aimer au grand jour et non plus clandestinement, à la faveur de la nuit. Tu te méprises toi-même, petit homme. Tu dis: "Qui suis-je pour avoir une opinion personnelle, pour décider de ma vie, pour déclarer que le monde m'appartient ?" Tu as raison : Qui es-tu pour être le maître de ta vie ? Je vais te dire qui tu es :

Tu te distingues par un seul trait des hommes réellement grands : le grand homme a été comme toi un petit homme, mais il a développé une qualité importante : il a appris à voir où se situait la faiblesse de sa pensée et de ses actions. Dans l'accomplissement d'une grande tâche il a appris à se rendre compte de la menace que sa petitesse et sa mesquinerie faisaient peser sur lui. Le grand homme sait quand et en quoi il est un petit homme. Le petit homme ignore qu'il est petit et il a peur d'en prendre conscience. Il dissimule sa petitesse et son étroitesse d'esprit derrière des rêves de force et de grandeur, derrière la force et la grandeur d'autres hommes. Il est fier des grands chefs de guerre, mais il n'est pas fier de lui. Il admire la pensée qu'il n'a pas conçue, au lieu d'admirer celle qu'il a conçue. Il croit d'autant plus aux choses qu'il ne les comprend pas, et il ne croit pas à la justesse des idées dont il saisit facilement le sens. (…)

Télécharger gratuitement le livre de Reich Écoute, Petit Homme !



Apostille au Crépuscule

"Socrate a raison : mieux vaut subir l'injustice que la commettre... Je n'ai donc pas répondu aux injures ayant accompagné la sortie de mon Crépuscule d'une idole, sous-titré L'affabulation freudienne, un livre accueilli par la haine d'un petit milieu et l'emballement du public qui a transformé cet ouvrage en succès de librairie. On a fait de ce gros ouvrage à peine feuilleté un "brûlot contre la psychanalyse". Or la psychanalyse freudienne n'est pas toute la psychanalyse, mais sa formule la plus universellement médiatisée...
Cette Apostille se propose d'examiner les conditions d'une psychanalyse non freudienne avant Freud, pendant lui, après lui. Avec "l'analyse psychologique" de Pierre Janet, un philosophe doublé d'un psychologue clinicien pillé, insulté et sali par Freud ; avec le "freudo-marxisme" de Wilhelm Reich persécuté par les freudiens et les marxistes ; avec la "psychologie concrète" de Georges Politzer, philosophe communiste et résistant fusillé par les nazis ; avec la "psychanalyse existentielle" de Sartre, retrouvons la voie du matérialisme psychique contre l'idéalisme de l'inconscient freudien ; restaurons le réel concret contre le déni freudien de l'histoire ; inscrivons la psychanalyse dans une logique progressiste contre le pessimisme freudien ontologiquement conservateur ; réhabilitons le corps immanent contre la parapsychologie viennoise. Cet immense chantier exige un "intellectuel collectif". ce livre pourrait en être le manifeste..."
Michel Onfray

Un choc des cultures au cœur de l'Amérique

En 1987, le professeur de journalisme Stephen Bloom, un libéral typique, a voulu explorer ses racines juives en rejoignant la communauté Hab...