D'abord le fascisme de lion : banal, classique, entré dans les livres d'histoire, il suppose la communauté nationale mystique qui ingère et digère visiblement les individualités au profit d'un corps mystique transcendant — la Race, le Peuple, la Nation, le Reich... La vie privée disparaît dans l'athanor en fusion de la collectivité toute-puissante. La propagande envahit tous les domaines et détermine à lire, penser, consommer, s'habiller, se conduire d'une manière précise, déterminée et unique. Tout discours alternatif est rendu difficile, fustigé, dénigré, voire interdit. La raison compte pour rien, on la présente d'ailleurs comme un facteur de décadence, un ferment de décomposition pour lui préférer l'instinct national, la pulsion populaire, l'énergie irrationnelle des masses sollicitée avec force discours et techniques de sujétion médiatique. La mise en forme de cette déraison pure suppose le chef charismatique, le grand organisateur, le principe de cristallisation.
Ensuite, le fascisme de renard : il tire les leçons du passé et suppose des arrangements formels, des révolutions de signifiants. Car le libéralisme, lui, est plastique, voilà d'ailleurs sa force. Le coup d’État n'est pas populaire : trop visible, trop indéfendable en ces heures de médiatisation planétaire et de plein pouvoir des images. Mauvais genre... D'où la mise à l'écart de la violence du lion machiavélien au profit du renard appartenant au même bestiaire mais célèbre pour sa ruse, sa rouerie, sa filouterie. Le lion recourt à la puissance de l'armée, le goupil à la force des agencements discrets.
Pour le contenu, les choses changent peu : il s'agit toujours de réduire le divers à l'un et de soumettre les individualités à une communauté qui les transcende ; on recourt à la pensée magique, aux instincts plus qu'à la raison ; on intimide ; on justifie la terreur par la lutte contre des ennemis transformés en bouc émissaire; on contraint moins par corps qu'on ne subjugue les âmes ; on ne maltraite pas les chairs, mais on matraque l'esprit; on ne lâche pas la troupe ; on formate les intelligences à ne pas ou plus penser : rien de bien neuf, sinon l'emballage...
Le succès de l'entreprise se confirme : dans les zones à domination libérale — l'Europe maastrichtienne en faisant bien sûr partie —, l'édition et la presse servent le même brouet insipide ; les politiciens au pouvoir, droite et gauche confondues, défendent un même programme sous de fausses différences orchestrées pour le spectacle ; la pensée dominante célèbre la pensée des dominants ; le marché fait la loi sur la totalité des secteurs — éducation, santé, culture, bien sûr, mais aussi armée et police ; partis, syndicats, parlements participent de l'oligarchie reproduisant le social à l'identique ; on déconsidère l'usage public de la raison critique au profit de logiques irrationnelles de communication — savamment théâtralisées et scénographiées par des consortiums financiers en situation de monopole ; on manipule quotidiennement les masses par un usage adducteur de la télévision ; on empêche tout projet constructeur un tant soit peu consistant au profit d'une religion consumériste, etc.
Ce fascisme de renard est micrologique, car il se manifeste dans des occasions infimes et minuscules. Leçon de Michel Foucault : le pouvoir est partout. Donc dans les intervalles, les interstices, l'entre-deux du réel. Ici, là, ailleurs, sur de petites surfaces, dans des zones étroites. Mille fois dans la journée, cette renardie produit des effets.
Autre leçon magistrale, celle de La Boétie : il affirme dans son Discours de la servitude volontaire que tout pouvoir s'exerce avec l'assentiment de ceux sur lesquels il se manifeste. Ce micro-fascisme ne vient donc pas du haut, mais il irradie sur le mode rhizomique avec des passeurs — potentiellement, chacun de nous... — qui deviennent des conducteurs, au sens électrique, de cette énergie mauvaise. Ce constat constitue le premier temps nécessaire à une logique de résistance. Savoir où est l'aliénation, comment elle fonctionne, d'où elle provient, permet d'envisager la suite avec optimisme.
Michel Onfray, La puissance d'exister.
Ce fascisme de renard est micrologique, car il se manifeste dans des occasions infimes et minuscules. Leçon de Michel Foucault : le pouvoir est partout. Donc dans les intervalles, les interstices, l'entre-deux du réel. Ici, là, ailleurs, sur de petites surfaces, dans des zones étroites. Mille fois dans la journée, cette renardie produit des effets.
Autre leçon magistrale, celle de La Boétie : il affirme dans son Discours de la servitude volontaire que tout pouvoir s'exerce avec l'assentiment de ceux sur lesquels il se manifeste. Ce micro-fascisme ne vient donc pas du haut, mais il irradie sur le mode rhizomique avec des passeurs — potentiellement, chacun de nous... — qui deviennent des conducteurs, au sens électrique, de cette énergie mauvaise. Ce constat constitue le premier temps nécessaire à une logique de résistance. Savoir où est l'aliénation, comment elle fonctionne, d'où elle provient, permet d'envisager la suite avec optimisme.
Michel Onfray, La puissance d'exister.