lundi, janvier 30, 2012

La franc-maçonnerie





Mélenchon est bien franc-maçon, c'est confirmé dans « Mélenchon le plébéien », le livre biographique des journalistes Lilian Alemagna et Stéphane Alliès consacré au tribun du prolétariat.

L'information ne surprend pas le conspirationniste Richard Pellegrin qui depuis quelques mois prophétise l'arrivée au pouvoir d'une coalition trotskiste-communiste, télécommandée par une inquiétante « élite de la franc-maçonnerie » œuvrant secrètement au contrôle du monde. Au XXe siècle, le spectre du communisme et le complot judéo-maçonnique étaient les thèmes de prédilection de l'extrême-droite.

Dès 1738, le pape Clément XII s'inquiétait de la prolifération de « certaines sociétés, assemblées, réunions [...] de francs-maçons dans lesquels des hommes de toute religion [...] s'engagent par un serment prêté sur la Bible, et sous les peines les plus graves, à cacher par un silence inviolable tout ce qu'ils font dans l'obscurité du secret ». Le Vatican condamne alors une première fois une société qui connaît depuis peu un essor considérable en Europe. Un an plus tôt, dans la France de Louis XV, les indiscrétions d'un membre de la fraternité sur les réunions clandestines de son ordre ont éveillé les soupçons du pouvoir royal. On raconte que dans ces assemblées, qu'on appelle des « loges », des hommes de conditions différentes — des bourgeois aux membres de la plus haute aristocratie, en passant par des ecclésiastiques — se côtoient et conversent ensemble de sujets variés selon des usages étranges, maniant des symboles et un langage hermétiques aux non-initiés. Pire encore, ces loges accueilleraient non seulement des catholiques, mais aussi des protestants, des juifs et même des « mahométans » ! En outre, des personnages illustres, souvent critiques de la société de leur temps, en font partie : Montesquieu, Choderlos de Laclos, La Fayette et même Voltaire. En ce siècle des Lumières, la franc-maçonnerie ne laisse pas indifférent.

La tolérance plutôt que la querelle religieuse

Cette fraternité pourtant est récente, née au XVIIe siècle dans un royaume d'Angleterre ravagé par des guerres de religion. C'est dans ce contexte que des hommes épris de tolérance fondent des espaces de libre parole ouverts à toutes les confessions. Pour des raisons encore difficiles à élucider, les fondateurs emploient le vocabulaire et les usages des anciennes corporations de maçons, dont les plus doués savaient jadis tailler la pierre tendre que l'on appelle free stone ; on les nommait les free stone masons ou freemasons, « francs-maçons ». Maniant la pensée et la parole plutôt que le marteau et le burin, les nouveaux maçons donnent naissance à une franc-maçonnerie non plus opérative mais spéculative, fondée sur des valeurs d'humanisme, de tolérance et de fraternité. Officiellement, l'acte fondateur de la franc-maçonnerie moderne date de 1717, lorsque quatre loges anglaises décident de fonder une Grande Loge d'Angleterre qui fédère toutes les loges du royaume. Quelques années plus tard, en 1723, le nouvel ordre se dote de constitutions encore en usage de nos jours, garantes d'un universalisme maçonnique.

Le Temple inachevé

Comme toute société initiatique, la franc-maçonnerie dispose d'un récit fondateur : c'est la légende d'Hiram présidant à la construction à Jérusalem du Temple de Salomon destiné à recevoir les tables de la Loi. Sur le chantier, les ouvriers étaient divisés en trois groupes selon leurs qualifications apprentis, compagnons ou maîtres. L'architecte du Temple, Hiram, avait pour habitude de parcourir quotidiennement son chantier et fut un jour surpris par trois compagnons qui cherchaient à lui arracher les secrets de la maîtrise. Devant son refus, ils le tuèrent et enterrèrent son corps. Depuis lors, le Temple demeure inachevé et les maçons sont censés travailler à son parachèvement constant, recherchant la parole perdue du maître. Les pères fondateurs de la franc-maçonnerie moderne ont revendiqué l'héritage de tous les maçons qui les auraient précédés, depuis les constructeurs de pyramides jusqu'aux bâtisseurs de cathédrales. Ils ont alors élaboré un parcours initiatique menant du grade d'apprenti à celui de maître, proposant les outils d'une possible amélioration de soi.

« Ici tout est symbole »

La franc-maçonnerie se pare d'une profusion de symboles, lesquels doivent permettre à des hommes et des femmes de se comprendre par-delà les barrières sociales. Si nombre de ces symboles sont hérités de la kabbale ou de l'hermétisme, le cœur du corpus symbolique provient des outils des tailleurs de pierre. Ainsi l'équerre et le compas sont-ils omniprésents : la première est associée à la rectitude morale tandis que le second fait référence à la mesure que tout maçon doit adopter dans son comportement. La truelle, le fil à plomb, le niveau viennent compléter ce tableau des outils opératifs. L'inspiration biblique de la maçonnerie est rappelée par les deux colonnes qui ornent l'entrée des loges, elles renvoient au Temple de Salomon, tandis que le plafond, peint en bleu, souligne son inachèvement et incite chaque maçon à travailler sur lui-même comme s'il était une pierre dans l'édifice de la fraternité humaine. D'autres symboles apparaissent : le soleil et la lune, car les maçons travaillent « de midi à minuit » ; le triangle, dont la forme ternaire invite au dépassement des contraires. Surmonté d'un œil, il fait référence à la connaissance et parfois au Grand Architecte de l'Univers, principe organisateur du monde auquel certains maçons donnent le nom de Dieu.

L'initiation et le travail maçonnique

L'initiation est le processus par lequel un profane (pro fanum, litt. « devant le Temple ») devient un initié (in itium, litt. « sur le chemin »). L'impétrant est reçu avec un bandeau sur les yeux et subit les épreuves de la terre, de l'eau, du vent et du feu avant de mourir symboliquement pour renaître franc-maçon : il est alors apprenti. Durant cette phase qui peut durer de quelques mois à plusieurs années, il doit conserver le silence afin de comprendre les règles de fonctionnement de la loge. Devenu compagnon, il exerce pleinement son droit de parole. Enfin, maître, disposant désormais de tous les outils symboliques nécessaires, il approfondit son engagement.

Le travail en loge constitue le moment fort de la vie maçonnique. Deux fois par mois, les maçons se réunissent lors de « tenues » durant lesquelles l'un d'eux présente un exposé ou « planche ». Les sujets directement politiques ou religieux sont généralement proscrits au bénéfice de l'analyse d'un symbole ou d'une valeur maçonniques. L'exposé est complété par une discussion. Après la clôture des travaux, les maçons se retrouvent souvent de façon moins formelle autour d'une table, lors des « agapes ».

Grades et hauts grades

Dès le XVIIIe siècle, il a semblé à certains francs-maçons que la stricte hiérarchie des trois grades était insuffisante. Par réel souci initiatique parfois, mais aussi par goût des titres, ils l'ont enrichie d'une pyramide de hauts grades. Ainsi, le Rite Écossais Ancien et Accepté, formalisé au début du XIXe siècle, et, désormais, le plus pratiqué dans le monde, comprend-il trente-trois grades : de l'apprenti (1er degré) au « souverain grand inspecteur général » (33e) en passant par le « grand élu de la voûte sacrée ou sublime maçon » (30e). Au-delà de ces qualificatifs ronflants, la création de degrés nouveaux a permis d'intégrer un certain nombre d'éléments étrangers à la maçonnerie des origines ; ainsi, nombre de titres évoquent-il les Templiers (« grand commandeur du Temple » au 27e degré) ou les Rose-Croix (« chevalier Rose-Croix » au 18e degré). Ces titres sont des emprunts, s'ils n'attestent d'aucune autre filiation que légendaire, ils ont néanmoins enrichi le patrimoine maçon-nique en références savantes ou illustres.

Entre complots et satanisme

En essaimant sur le continent au cours du XVIIIe siècle, la franc-maçonnerie s'est diversifiée, et dans la France des Lumières par exemple, les rituels maçonniques s'imprègnent de l'imaginaire chevaleresque très en vogue. En terre protestante, les rois et les princes n'hésitent pas à intégrer des loges, tandis que dans les pays catholiques, l'opposition farouche de la papauté dresse bientôt l'Église contre les maçons, et partout elle est perçue comme une entreprise suspecte.

Dans ses Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme, paru en 1797, l'abbé Augustin Barruel, ancien franc-maçon, affirme que la Révolution française résulte d'un complot maçonnique. Or, les réactions des maçons ont été très diverses en 1789, allant d'un soutien franc à la monarchie absolue jusqu'aux idées démocratiques les plus avancées. S'il est vrai que certaines loges maçonniques ont été le laboratoire d'une sociabilité relativement ouverte et le véhicule d'idées libérales, la maçonnerie dans son ensemble n'a fomenté aucun complot. D'ailleurs, la plupart des loges cessent de se réunir durant la Révolution. L'ouvrage de Barruel a contribué toutefois à ancrer dans les esprits l'idée que les frères conspirent à l'abri du secret. Paradoxalement, la thèse de Barruel est reprise au milieu du XIXe siècle par Louis Blanc, homme politique, historien et franc-maçon, dans son Histoire de la Révolution française. Les maçons d'alors, en plein combat pour la démocratie contre le second Empire, s'enorgueillissent ainsi du supposé engagement révolutionnaire de leurs prédécesseurs. La contrevérité a été érigée par les deux camps en version officielle !

En 1885, un dénommé Léo Taxil, ancien franc-maçon, anticlérical fraîchement converti au catholicisme, publie des révélations fracassantes. Dans son livre les Frères Trois-points, il soutient que la maçonnerie est d'essence satanique, que le diable en personne présiderait à certaines réunions tandis que les maçons se livreraient à des messes noires... Succès énorme ! Or, l'affaire tourne court lorsque l'auteur révèle trois ans plus tard que ses écrits tenaient tout bonnement du canular. Il n'empêche, les accusations de satanisme perdurent. C'est à la même époque que paraissent les Protocoles des Sages de Sion, un document forgé de toutes pièces par la police tsariste pour justifier les pogroms commis en Russie. C'est dans cet ouvrage que pour la première fois apparaît nettement l'idée du « complot judéo-maçonnique ». Les francs-maçons seraient les jouets d'une gigantesque conspiration orchestrée par les Juifs. Ces thèses, reprises tout au long du XXe siècle, serviront de prétexte aux gouvernements des États totalitaires pour persécuter les uns et les autres.

Une société dans son siècle

S'ils suscitent tant de suspicion — voire de haine — c'est que les francs-maçons n'ont pas manqué de s'engager dans le débat politique de leur temps et de se fondre parfois dans les sphères du pouvoir. Discrets pendant la Révolution, ils connaissent en France un vif regain durant l'Empire. Si Napoléon ne fut sans doute jamais initié, ses frères le seront, et Joseph Bonaparte devient en 1805 grand maître du Grand Orient, qui accueille aussi nombre de maréchaux et de ministres. Au XIXe siècle, les francs-maçons français sont majoritairement anticléricaux et participent aux combats de la République pour l'école, la laïcité, et sont très présents dans le personnel politique de gauche. La maçonnerie fait alors corps avec la politique laïque d'un Jules Ferry ou les mesures anticléricales d'un Émile Combes. Le poids de la franc-maçonnerie est tel que l'on considère que dans les rang du parti radical, trois sénateurs sur quatre et près de la moitié des députés sont frères. Cet engagement républicain explique la défiance dont les francs-maçons feront l'objet. Ainsi le parti communiste interdit-il en 1922 à ses membres d'être franc-maçon. De son côté, l'Église catholique réitère ses excommunications qui ne seront levées qu'en... 1983. Quant au régime de Vichy, montant en épingle les élucubrations d'un Léo Taxil, il lance une virulente campagne antimaçonnique et ordonne dès juin 1940 la dissolution des obédiences maçonniques françaises.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les rangs de la franc-maçonnerie sont décimés, et plusieurs décennies lui seront nécessaires pour se reconstituer. On estime aujourd'hui à plus de six millions ses effectifs, dont la grande majorité aux États-Unis. En France, les loges maçonniques rassemblent plus de cent vingt mille maçons et maçonnes fédérés en différentes obédiences : le Grand Orient, de tendance laïque, la Grande Loge, plus spiritualiste, la Grande Loge féminine ou encore le Droit humain, obédience mixte la plus importante. La Grande Loge nationale française, plus proche de la maçonnerie anglaise, se distingue par un esprit plus traditionaliste et conservateur.

À l'égard de cette société qui se veut discrète bien plus que secrète, la suspicion demeure. Perçue comme un vaste réseau d'entraide, elle suscite critiques et fantasmes autant que curiosité et fascination, le moindre dérapage de l'un de ses membres étant fortement médiatisé. Sans doute certains ont-ils cru pouvoir l'utiliser comme un club d'influence politique ou économique, mais si des réseaux existent bel et bien et si des frères ont eu maille à partir avec la justice, c'est que la franc-maçonnerie, profondément ancrée dans son temps, est en partie le reflet de celui-ci.

Les sociétés secrètes, ouvrage collectif.


Les sociétés secrètes



Dessin :

Chacun est un éveillé qui s’ignore

Le buffle représente notre nature propre, la nature de l’éveil,  la nature de Buddha, l’Ainsité (et la vacuité) Le Chemin de l’Eveil Le dres...