jeudi, janvier 12, 2012

Maria de Naglowska, le plaisir satanique





« Seul celui qui a dépassé ce rite (la pendaison initiatique) peut s'unir utilement à une femme correctement instruite parce que, connaissant l'indicible bonheur du plaisir satanique, il ne peut pas se noyer dans la chair d'une femme, et s'il accomplit avec son épouse le rite de la terre, il le fera pour s'enrichir et non pour se diminuer. »
Maria de Naglowska


Les amateurs d'orgies effrénées pourraient, à première vue, s'enthousiasmer pour les théories et la personnalité de Maria de Naglowska. L'érotisant qui se contenterait de lire le titre des œuvres de « la prêtresse de Vénus », qui se contenterait de quelques bribes de l'enseignement qu'elle dispensait non sans volubilité, estimerait avoir trouvé sa voie et sa longueur d'onde. Des titres comme La lumière du sexe, Magia sexualis, ou Le rite sacré de l'amour magique ont de quoi mettre l'eau à la bouche des minorités libidineuses. L'énoncé de sa devise, « Vers la connaissance à travers l'amour », pourrait également tromper l'amateur. De fait, quelque sensuelles que ses théories pussent sembler à première vue, Maria de Naglowska n'a jamais cessé d'être une grande mystique incomprise. Tous ceux qui l'ont approchée, écoutée avec attention, comprise dans toutes ses nuances, s'ingénient à louer son honnêteté foncière. Il est vrai qu'on louangeait aussi la sincérité de Crowley !

Maria de Naglowska prétendait descendre d'une famille princière du Caucase. Son union avec un noble polonais justifierait son nom de famille. Spoliée par la révolution russe de 1917, elle affirma avoir connu Raspoutine qui lui aurait prodigué tout son enseignement. L'hypothèse est actuellement battue en brèche. Une vie errante la mena en Égypte, en Italie et, enfin, à Paris, dans le quartier Montparnasse. Ce fut là, dans de petits bars sans prétention, devant des cafés-crème et des croissants, qu'elle enseigna sa révolution sexuelle psychique. Au physique, la prêtresse de Vénus n'avait d'ailleurs rien d'une bacchante : « C'était alors une femme frêle, blonde, aux traits ingrats, mais au regard magnétique. Il se dégageait de toute sa personne une impression de profonde sincérité. Elle parlait un français châtié, avec un fort accent slave. Elle était accompagnée, au Dôme comme à la Coupole, d'un grand benêt, son fils, que les discours-fleuves de sa mère semblaient prodigieusement ennuyer. » (Cité dans le Dictionnaire des sociétés secrètes.)

Ses premiers disciples, à quelques exceptions près les seuls qu'elle eût jamais, se révélèrent aussi bohèmes et aussi faméliques qu'elle. Dans la suite, elle recruta des amateurs quelque peu plus fortunés, mais qui ne comprirent pas tout ce que la doctrine voulait receler de sérieux et de spirituel.

Maria de Naglowska faisait dériver la plupart de son enseignement des théories de Paschal Berverley Randolph, dont elle adapta l’œuvre principale en français. Selon Randolph, Il était possible de capter l'énergie dégagée au cours de l'acte sexuel, doctrine qui se rapproche de celle des tantristes tibétains. L'acte d'amour revêt une portée mystique qui permet de pénétrer dans le domaine de l'au-delà et, partant, de la vie éternelle. Maria affirmait d'ailleurs que : « Eve est l'arène où la vie et la mort se livrent un combat sans merci. »

Avec de pareilles théories, même si on les prétend pures, il n'était pas étonnant de réunir un certain nombre d'adeptes mus par des sentiments un rien moins purs et un peu plus intéressés. Maria réunissait ses disciples pour des offices collectifs qui attirèrent fort rapidement l'attention de la police. Les cérémonies ne s'en interrompirent pas pour autant, mais elles se déroulèrent désormais dans le plus grand secret. A notre époque, il semblerait que, sous l'impulsion du tantrisme récemment remis à la mode en Europe, l'enseignement de Maria de Naglowska eût retrouvé pas mal d'enthousiasme, sincère ou non, parmi la faune des bohèmes de Montparnasse ou des snobs de Passy.

René Thimmy parle assez longuement d'une certaine Véra de Pétrouchkha, Slave initiée aux plus singuliers rites de la magie. On ne peut douter qu'il s'agisse de Maria de Naglowska. Tout concorde : les titres des œuvres, les théories abracadabrantes et rien moins que claires, la spiritualité exacerbée et incomprise, l'exploitation sensuelle des théories abstraites. Les réflexions de Thimmy rejoignent d'ailleurs les impressions générales que peut connaître un curieux mal au courant des véritables préceptes de Maria : « J'avais toutes les raisons de croire que j'allais me trouver en face d'une de ces bacchantes enfiévrées, de ces ardentes prêtresses d’Éros et de Sapho qui ramènent tout, dans la vie, aux plus basses questions sexuelles. » Pas du tout : il se dégageait en quelque sorte une atmosphère de pureté, de chasteté, de cette petite femme tranquille, sagement assise, parlant peu, gesticulant moins encore, et dont la conduite dans la vie paraissait quasiment ascétique. Son ordinaire consistait dans des cafés-crème, avec des croissants ou même des petits pains. Elle ne buvait pour ainsi dire jamais d'alcool, et sa seule débauche, c'étaient quelques cigarettes très ordinaires, pas même des cigarettes de luxe, qu'elle fumait avec délices. »

Quelques-unes de ses déclarations recelaient des interprétations dangereuses dont ses ennemis firent des gorges chaudes. Elle déclara de la sorte : « Redresse-toi, deviens raide comme la flèche. C'est ainsi que tu te lanceras dans la bonne direction en entraînant avec toi tes semblables. » En faisant abstraction de toutes ses périphrases et digressions verbeuses, on pouvait à peu près résumer la théorie de Maria de Naglowska comme suit : la grande prêtresse — Maria, comme de bien entendu — était une sorte d'immense réceptacle capable, par une force psychique exceptionnelle, de capter l'influx émanant du désir érotique. Son champ de bataille préféré comportait donc un groupe entier mû par la passion sensuelle. Recueillant bon nombre d'énergies perdues pour les autres, elle devenait une véritable batterie susceptible d'agir en retour sur ses semblables.

Thimmy a décrit une réunion tenue par Maria de Naglowska. La soirée devait se tenir chez une Américaine « gagnée aux idées de Véra beaucoup plus par curiosité et par une vague perversité sexuelle que par l'amour désintéressé de la magie ». Il semblerait que Maria de Naglowska profitât elle-même de ses profiteurs puisque, d'une part, elle pouvait s'emparer de leur fluide érotique et que, d'autre part, elle cherchait avant tout à réunir une certaine somme pour mener à bien ce qu'elle appelait sa « messe d'or », au cours de laquelle l'acte charnel accompli dans la plus grande pureté constituerait la prière suprême.

La soirée se déroula dans un salon très fin de siècle, où un Villiers de l'Isle-Adam ou un Jean Lorrain eussent pu subir, non sans volupté, leurs crises de délectation morose et d'érotisme malsain. En fait d'étreintes mystiques, le champagne coula à flots, et les participants se sentaient plus intéressés par l'art du lutinage que par les manifestations ésotériques de la prêtresse. Pendant que Maria formait, avec une participante, une mystique équerre magique, suscitant de la sorte une formidable tête de feu visible pour elle seule, les assistants se laissaient aller à d'autres étreintes qui, pour être plus terrestres, n'en étaient pas moins délectables. Thimmy conclut : « Et, mon Dieu ! ce qui se passa chez la belle Gladys est fort conforme à la nature et ne me semble présenter absolument rien de magique. A l'exception de l'hiérophantide qui emmagasinait précieusement les effluves de tous ces corps mélangés, spectateurs et spectatrices connaissaient des extases rien moins que mystiques. »

Par Maria de Naglowska, il est possible de glisser, mine de rien, vers d'autres sectes érotico-surnaturelles avec lesquelles elle sembla en relations étroites. La plus importante est celle de quelques apprentis satanisants qui, sous le couvert de théories assez filandreuses, se livraient à de mémorables soirées orgiatiques au cours desquelles intervenait la strangulation érotique. On sait que la pendaison engendre généralement une érection due au brutal afflux sanguin dans les membres inférieurs. Cette constatation est fort rassurante pour les semi-impuissants qui se strangulent partiellement afin de retrouver une virilité sans défaillance.

Ces pratiques, Lord F... et ses membres les appliquaient pour tenter, juraient-ils, de parvenir au troisième terme de l'initiation satanique. Après la pendaison, la cérémonie tournait d'ailleurs à la grivoiserie : « Lorsque le maître les dépend, il les allonge nus, généralement évanouis et privés de connaissance, sur le dos. Une femme alors, qui a suivi un entraînement rituel des plus sévères, rejette également ses vêtements et, complètement nue elle aussi, s'étend sur le corps inerte de telle sorte que son visage soit à hauteur du bas-ventre de l'homme tandis que sa ceinture repose sur la tête de l'expérimentateur. » Et lorsqu'un petit futé en vient à demander ce qu'il résulte de pareille position, il s'entend répondre : « Une amélioration spirituelle, un éblouissement extraordinaire, la contemplation subite et immédiate de Satan, c'est-à-dire du mal régénéré. »

Libre à chacun d'en croire ce qu'il désire ou de ricaner comme bon lui semble. Inutile de préciser les dangers de pareilles cérémonies. On prétend que Gérard de Nerval est mort, rue de la Vieille Lanterne, après avoir tenté de se livrer à des activités érotiques par la pendaison. L'affirmation est discutée. Elle l'est beaucoup moins en ce qui concerne Lord F... que l'on ne dépendit pas à temps, un beau jour. Il agonisa dans un dernier spasme satanique. Cette mort semblait d'ailleurs fort affecter Maria de Naglowska qui, d'un autre côté, affichait le plus profond mépris pour la secte tout entière.

Jacques Finné





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Le buffle représente notre nature propre, la nature de l’éveil,  la nature de Buddha, l’Ainsité (et la vacuité) Le Chemin de l’Eveil Le dres...