vendredi, janvier 27, 2012

Si vous rencontrez un Bouddha, tuez le Bouddha !






L'enseignement de Lin-tsi représente l'aboutissement presque parfait d'une évolution à laquelle Hui-neng, sixième patriarche du Tchan (Ch'an), avait donné une impulsion décisive. Hui-neng détruisant les soutras, les "Évangiles" bouddhiques, a inspiré des artistes (illustration ci-dessus). L'humanité se porterait-elle plus mal si tous les livres « saints » étaient envoyés au pilon ?

Lin-tsi déclara :

« Adeptes, voulez-vous voir les choses conformément à la Loi ? Gardez-vous seulement de vous laisser égarer par les gens. Tout ce que vous rencontrez, au-dehors et (même) au-dedans de vous-mêmes, tuez-le. Si vous rencontrez un Bouddha, tuez le Bouddha ! Si vous rencontrez un patriarche, tuez le patriarche ! Si vous rencontrez un Arhat, tuez l'Arhat ! Si vous rencontrez vos père et mère, tuez vos père et mère ! Si vous rencontrez vos proches, tuez vos proches ! C'est là le moyen de vous délivrer, et d'échapper à l'esclavage des choses ; c'est là l'évasion, c'est là l'indépendance ! »

Commentaire de John Wu :

« Toutes ces résonances meurtrières ne doivent alarmer personne. Pour Lin-tsi la seule chose importante était la recherche de la Vérité et de la conscience de soi ; et il était compréhensible qu'il considérât comme un obstacle à balayer sans pitié toute chose ou toute personne qui s'y opposait. Pour lui, le problème de la vie est véritablement Être ou ne pas être et c'est seulement lorsque l'on est libéré de l'attachement envers toutes choses hormis le Nec plus ultra que l'on peut commencer à être. […]

Le point central de sa vision philosophique est l'Homme Véritable inconditionné (l'homme vrai sans situation). Il ne se lassait jamais d'insister sur la confiance en le soi propre ; or ce soi n'est pas l'individu provisoire, soumis à toutes les contingences de la vie, mais le soi véritable qui, n'étant jamais né, ne meurt pas, qui se situe au-delà du temps et de l'espace et qui est un avec le Tao. Tant qu'un homme s'identifie au seul soi temporaire, il demeure esclave. Une fois éveillé à l'Homme Véritable qui est en lui, il arrive à sa véritable personne et devient libre.

Montant en salle, il dit : « Sur votre conglomérat de chair rouge, il y a un homme vrai sans situation, qui sans cesse sort et entre par les portes de votre visage. Voyons un peu, ceux qui n'ont pas encore témoigné ! » Alors un moine sortit de l'assemblée et demanda comment était l'homme vrai sans situation. Le maître descendit de sa banquette de Dhyâna et, empoignant le moine qu'il tint immobile, lui dit : « Dis-le toi-même ! Dis ! » Le moine hésita. Le maître le lâcha et dit : « L'homme vrai sans situation, c'est je ne sais quel bâtonnet à se sécher le bran. » Et il retourna à sa cellule.

La signification de ce dialogue sera claire si l'on se souvient que le moine qui avait posé la question pensait encore à l'homme véritable comme à un étranger et qu'il était donc loin d'avoir conscience de sa personne. Homme libre par essence, il restait esclave en s'identifiant à son moi temporaire, se rabaissant ainsi à l'état d'un objet sans vie et sans valeur tel un bâtonnet à se sécher le bran.

Il existe une curieuse coïncidence entre l'idée de l'« homme véritable » de Lin-tsi et celle du « Soi primitif » d'Emerson. Comme Lin-tsi, Emerson préconisait l'appui sur soi ou la confiance en soi, et il insistait sur le fait que le soi en lequel il faut placer sa confiance n'est pas l'ego individuel, mais un soi fondamental. »


Note de Paul Demiéville :

Je ne sais quel bâtonnet à se sécher le bran : toute définition de l'« homme vrai » ne peut être qu'impropre (au sens propre), vile, ordurière, puisqu'il est par définition ce qui échappe à toute définition. [...]. En Inde, où il n'y avait pas de papier, on s'essuyait avec des bouts de bois, ainsi que le prescrivent les codes disciplinaires, et les moines chinois avaient adopté cet usage. Le Bouddha lui-même est parfois défini dans le Tchan comme un « bâtonnet à se sécher le bran ».

Chacun est un éveillé qui s’ignore

Le buffle représente notre nature propre, la nature de l’éveil,  la nature de Buddha, l’Ainsité (et la vacuité) Le Chemin de l’Eveil Le dres...