jeudi, mars 08, 2012

La religion





Le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) estime stupéfiante la déclaration de François Fillon. Le Premier ministre avait proposé de revenir sur les traditions d'abattage rituel des animaux. 
Ce qui est stupéfiant, c'est que les religieux peuvent institutionnaliser impunément la cruauté envers les animaux dans un État laïque qui proscrit la souffrance animale.

L'égorgement rituel remonte à Abraham qui accepta de sacrifier son propre fils sur l'ordre de Dieu. Le revirement de « Dieu », qui envoya au dernier moment un mouton pour remplacer l'enfant, symbolise probablement une révolte contre la cruauté des prêtres qui furent contraints d'épargner les vies humaines et d'assouvir leur instinct sanguinaire sur les animaux. De nos jours, « le respect des religions » interdit de dénoncer la vieille barbarie religieuse qui est responsable de trop de souffrances.

Respecter les religions

Un sondage indique que 45% des Français pensent qu'il ne faut pas critiquer les religions. Pourquoi est-on passé du respect des personnes à celui de leurs croyances et de leurs manières de vivre ? Parce qu'à la différence de l'idéal des droits de l'homme qui fondait la valeur du respect sur l'égalité générale des individus, nous avons de plus en plus de mal à séparer une personne de ce par quoi elle se manifeste. Cette abstraction est pourtant indispensable pour assurer un véritable universalisme des valeurs (lequel ne fait pas acception des personnes) mais elle a été dénoncée comme une abstraction, justement, c'est-à-dire un oubli de l'humanité concrète.

Si, comme le soutiennent ceux qui voudraient le voir garanti par les codes, le respect des religions est un devoir impératif, alors l'athéisme et l'agnosticisme sont des transgressions flagrantes qu'il conviendrait de sanctionner. Mais la notion de respect des religions tombe dans cette évidente contradiction : toutes les religions actuelles sont elles-mêmes issues de religions antérieures qu'elles ont pour la plupart repoussées avec la plus grande sévérité : le bouddhisme (exception non-violente) fut au départ une branche dissidente du brahmanisme, le christianisme fut d'abord une secte juive, quant à l'islam, il constitua la plus formidable OPA symbolique de l'Histoire puisqu'il intégra une bonne partie du judaïsme (le Coran est décalqué de la Bible, Jérusalem, qui n'avait aucune espèce de relation avec le monde arabe, a été élevée au rang de troisième ville sainte de l'islam après La Mecque et Médine, etc.) et en même temps refoula le judaïsme par les moyens les plus radicaux (voir l'extermination par Mahomet de la tribu juive des Qurayza). S'il y eut des forces qui ont avec acharnement manqué de respect à l'égard des religions, ce sont les religions elles-mêmes : le Dhammapada manque de respect à l'endroit des Vedas, les Évangiles ne respectent pas la Thora, le Coran manque de respect envers la religion juive.

En fait, derrière ce beau mot de « respect » s'abritent tous les fanatismes et toutes les sottises qui croient avoir trouvé ainsi un paravent. Ainsi pensent-ils interdire tout examen, toute critique et même toute étude (demandez à un imam basique ce qu'il pense de l'étude philologique et historique du Coran et des hadith !).

Comme toutes les inventions humaines, mais plutôt plus que les arts et les sciences (qui ont déployé un génie autrement plus libre), les religions ne sont en soi dignes d'aucun respect. Dans ce chantage au religieux auquel nous sommes aujourd'hui presque tous pris, rappelons-nous l'esprit de Voltaire, la formidable leçon d'irrespect vis-à-vis des enfantillages qui devraient tous nous secouer d'un rire homérique (ah ! ces histoires de vierges au paradis qui attendent le martyr !) et surtout vis-à-vis de certaines pratiques qui devraient susciter notre inlassable indignation (lapidation des femmes — pas des hommes, nuance ! — adultères !).

Pour voir un peu plus clair dans le brouillard qui se lève, il conviendrait de commencer par faire la distinction entre le non-respect et l'irrespect, la simple absence de respect et l'attitude qui s'oppose explicitement à celle du respect. Si la religion fut source de sublime, en art particulièrement, elle fut aussi d'une insondable bêtise. Et ce n'est pas manquer de respect vis-à-vis d'une personne que de dénoncer l'ineptie de ses croyances. Bien à l'inverse : c'est faire preuve d'un respect autrement profond et sûr de lui que de pouvoir lui dire : un être libre comme toi, tu ne peux raisonnablement pas croire à de telles sornettes ! Et si tu cherches des compensations aux échecs que tu as subis dans ton existence, sache qu'il y a dans le trésor des civilisations des choses autrement belles et intelligentes auxquelles tu pourrais te raccrocher ! Seulement, voilà, nous n'avons plus de théorie de l'aliénation, et donc plus de théorie de l'aliénation religieuse. Ce n'est pas seulement Voltaire qui nous manque, Marx aussi nous manque.

L'avenir du religieux

Nietzsche s'exclamait : « Deux mille ans, et pas un seul nouveau dieu ! ». L'invention humaine en matière de religion semble en effet s'être tarie depuis Mahomet. Et si la phrase de Malraux s'avère juste «Le XXIe siècle sera religieux — variante : spirituel — ou ne sera pas ! », ce ne pourra être que sur le mode de l'inertie ou du pastiche.

En fait, la religion n'a aucun avenir : tous les développements des sciences, des techniques, et de l'économie vont en effet dans un sens qui ne peut être que directement contraire aux valeurs que le religieux estime fondamentales : le sacré, la transcendance, le mystère, l'âme, le salut...

Certes, bien des groupes seront tentés de brandir la religion (celle, imaginaire, de leurs pères) comme un étendard dans leurs luttes mais il ne s'agira que de signes vidés de leurs contenus, des fétiches creux comme ces slogans répétés par des générations de communistes alors même que le communisme n'était jamais entré dans les faits.

Le retour du religieux

Corollaire du lieu commun de l'avenir de la religion, celui du retour qui impliquerait pour le moins qu'il y a eu un moment d'éloignement ou de disparition. Il est vrai que la plupart des grands penseurs du XIXe siècle, d'Auguste Comte à Nietzsche en passant par Marx, eussent été fort étonnés devant le spectacle de ces millions de fidèles continuant à suivre, du moins en apparence, les préceptes des anciens dieux.

Seulement, en ce domaine comme dans les autres, il convient de se méfier des apparences. Ce n'est pas parce que l'on se dit chrétien qu'on l'est ; ce serait même plutôt mauvais signe pour le christianisme — au Moyen Âge où tout le monde était chrétien en Europe, personne évidemment ne se disait tel, tant la chose allait de soi. Ce n'est pas parce qu'un abruti se fait sauter le ventre bardé d'explosifs dans une rue après avoir fait sa prière et rasé ses couilles de près que son acte est à mettre au compte de la religion musulmane. Les despotismes d'Europe de l'Est, sous la coupe de Moscou, s'appelaient démocraties populaires d'abord parce qu'ils n'étaient pas démocratiques et ensuite parce qu'ils n'étaient pas populaires. Ne nous en laissons pas trop conter par ces protestations/professions de foi d'autant plus douteuses qu'ardentes, et d'autant plus ardentes que douteuses. Ce que l'on appelle le « retour du religieux » est une formation réactionnelle contre la fin du religieux qu'elle manifeste par là même. L'activisme des responsables musulmans vient d'abord du fait que des millions de musulmans d'Occident se laissent gagner à d'autres séductions que l'islam. La foi est soluble dans la consommation et l'érotisme, la liberté personnelle et l'égalité entre les hommes et les femmes — et c'est cela qui rend certains aussi enragés (inconsciemment ils savent que leur partie est déjà perdue : le voile ne sera pas l'avenir de la femme).

Il y a aujourd'hui en France trois fois plus d'athées que de musulmans mais tout se passe comme s'ils n'existaient pas : l'important, c'est de participer ! Tous les indicateurs du religieux — que ce soit la croyance en l'existence de Dieu, l'importance de la foi dans la vie quotidienne, la pratique de la prière, sont à la baisse. Ce n'est pas le déclin de la joie de vivre qui explique la disparition des fêtes comme on le croit volontiers, mais bien celui de la religion. Dieu est mort : le corps a remplacé l'âme et la santé, le salut. Plus aucune transcendance ne nous surplombe. Le peuple américain a beau se dire dans sa grande majorité croyant, la dimension religieuse ne joue plus dans son existence de rôle fondamental (aucun banquier américain chrétien n'a poussé sa foi jusqu'à accepter le remboursement d'un emprunt dans l'au-delà !). Religio, le mot latin qui a donné notre « religion » était l'attention scrupuleuse avec laquelle on fait quelque chose. Notre âge est sans religion en ce sens d'abord qu'il est sans attention scrupuleuse. Réduits à l'état de signes ou de fétiches, les dieux et les objets s'achètent et s'échangent dans ce marché global qui a imposé à l'ensemble de l'humanité son culte : la consommation. Un fond de sauce chrétien, une pincée de bouddhisme et un peu de cabale pour pimenter le tout. C'est amusant, folklorique, mais cela ne saurait constituer un retour du religieux. Ailleurs, si la religion était à ce point dominante, comme le dit, les hommes croiraient-ils autant au bonheur un peu partout dans le monde ?

Christian Godin, Petit lexique de la bêtise actuelle.



Le plan dirigé contre l’Esprit

La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...