François Hollande rencontrera
Angela Merkel le 15 mai. Tiendra-t-il sa promesse de renégocier le
pacte budgétaire ?
Depuis qu'existe la République, les
candidats se sont présentés aux élections avec un échantillonnage
de projets qu'ils ont été incapables de mener à terme. Leur
sincérité et leur bonne volonté n'ont jamais été en cause. Ils
viennent avec le scrutin sonner à notre porte pour présenter leurs
marchandises. Qui résisterait à ces merveilles enchâssées dans
leur écrin et toutes plus rutilantes les unes que les autres! Si
nous nous enquérons du prix à payer, ils nous assurent d'un crédit
total et illimité, assorti d'une remise si nous prenons tout le
stock. Nous achetons, bien entendu, trop heureux d'avoir été
choisis pour expérimenter ces produits nouveaux. Hélas, ils ne
résistent pas au temps. Les dorures disparaissent au lavage, les
aciers trempés cassent comme du verre, et les dentelles faites à la
main ne sont que de vulgaires plastiques. Quant au prix.., il est au
minimum le double de celui qu'on vous avait annoncé, et si vous
tardez à payer une traite, l'huissier sonne à votre porte pour
exiger son dû. L'aventure n'est pas nouvelle. Aucun électeur n'a
jamais reconnu dans la décision d'un gouvernement les promesses
faites naguère par les candidats.
« Français, vous avez la mémoire
courte », disait un vénérable vieillard dans ses moments de
lucidité. Plût au ciel qu'il s'en fût tenu à cet aphorisme et
qu'il ait fait retraite sur l'Aventin après l'avoir prononcé. C'est
en effet l'un des fruits majeurs du caractère français. Nous
commettons la même erreur depuis cent quatre-vingt-cinq ans, sans
que jamais les expériences passées nous soient profitables. Nos
grands-parents se sont fait prendre, nos pères les ont imités avec
délectation et nous avons enchaîné dans la meilleure tradition
vaudevillesque dû cocu éternel.
La règle s'énonce ainsi : « Aucun
gouvernement n'applique le programme pour lequel il a été élu, et
même il s'en écarte rapidement pour faire le contraire. » Il
existe plusieurs explications à ce phénomène étrange. La plus
courante est qu'un gouvernement se croit assuré définitivement du
soutien de son électorat. Comme il est en général élu à un
faible écart de voix, il essaie de conquérir une partie de
l'électorat adverse en lui faisant des petits cadeaux qui
entretiennent l'amitié. Ses adversaires acceptent les présents sans
sourciller en ricanant qu'il faut être bien naïf pour s'imaginer
qu'on peut les corrompre à si bas prix, en revanche, ses partisans
enragent de voir qu'on flatte ainsi l'ennemi et crient à la
trahison. Le résultat est toujours affiché. Le gouvernement ne
gagne pas une voix dans le camp opposé, mais en perd dans le sien. A
la consultation suivante, il est renvoyé dans ses foyers où il peut
à loisir méditer sur l'ingratitude des électeurs. Une autre
hypothèse s'appuie sur la rigidité du programme électoral qui
trace un itinéraire précis, semblable à celui qu'un automobiliste
maniaque étudie à l'avance avant de prendre la route.
Sur le papier, tout est parfait. A 90
km/h, en quittant Paris à midi, il entrera à Orléans à 13 h 35,
et en sortira à 13 h 50. Il faudrait être d'une mauvaise foi crasse
pour contredire la logique de cette prévision. Une fois sur la
route, le conducteur s'aperçoit qu'entre le plan établi et la
réalité, il y a l'imprévu. Il n'avait envisagé ni la file
d'attente au péage, ni le ralentissement pour travaux, ni les nappes
de brouillard. Il arrive à Orléans avec quarante minutes de retard.
S'il a gardé ses calculs de moyenne pour lui, personne ne lui fera
de réflexion, mais s'il a, par fanfaronnade, annoncé les horaires à
sa famille, il aura droit aux quolibets. Les promesses électorales
ne tiennent jamais compte des contretemps.
C'est ainsi qu'il pèse sur la France
une étrange fatalité. Les gouvernements de droite finissent
toujours par faire une politique de centre-gauche, et ceux de gauche
une politique de centre-droit. Comme la nuance est infime entre les
deux, les contribuables-citoyens ont l'impression qu'ils sont allés
voter pour rien. La méthode idéale est d'aller à la bataille
électorale sans programme, afin de ne pas avoir la tentation de le
trahir. On oublie trop souvent cette évidence : un gouvernement qui
s'installe n'est jamais qu'un coureur de relais qui prend le témoin,
et il est tributaire du parcours effectué par le coureur précédent.
Carl Lewis peut remonter un handicap de cinq mètres mais tout
champion olympique qu'il est, il finira dernier si on lui transmet le
témoin avec vingt mètres de retard. Un septennat est amené à
subir tant de crises et d'orages qu'avant de lever l'ancre, il vaut
mieux dire aux passagers : « Nous allons essayer d'arriver à bon
port. Comment ? A quelle heure ? Par où ? On verra ça en fonction
des vents et des courants. Nous allons naviguer à vue en essayant de
vous secouer le moins possible, et tout ce qu'on peut vous promettre,
c'est de vous tenir au courant tous les matins de ce qui vous attend
dans la journée. »
Les catastrophes ayant la fâcheuse
habitude de ne jamais annoncer leur venue, un gouvernement doit
comptabiliser l'imprévisible dans la colonne des débits, faute de
quoi, il sera obligé de mettre les promesses au placard des objets
inutiles. Promettre le meilleur relève de l'irréel et promettre le
pire, du masochisme. Le mieux est donc de ne rien promettre du tout
et de s'en tenir à la formule de sagesse : « On va faire ce qu'on
peut avec ce qu'on a ! »
Cette devise étant celle de quelques
millions d'électeurs, il y a toutes les chances pour qu'ils y soient
sensibles, eux qui chaque matin considèrent comme une excellente
nouvelle le fait de ne pas en avoir appris de mauvaises.
Jean Amadou, Heureux les
convaincus, 1985.
Le plan de bataille des financiers