Les
propositions du Forum social mondial
Luttes
contre l'accaparement de terres, contre l'« extractivisme », pour
des normes comptables transparentes et le désarmement nucléaire :
tour d'horizon - forcément incomplet - des idées qui ont émergé
au Forum social mondial de Dakar.
Depuis
dix ans, les forums sociaux mondiaux (FSM) ont pris corps en imposant
dans le débat quelques idées phare, comme la taxe Tobin,
l'abolition de la dette du tiers monde ou la fin des paradis fiscaux.
Dix ans après, quelles sont les propositions qui émanent du FSM qui
s'est tenu à Dakar, au Sénégal, du 6 au 11 février 2011 ? La
forme « forum » interdit toute déclaration finale ou prise de
décision au sein du FSM, mais cela n'empêche pas quelques
propositions clés d'émerger. La plupart des participants ayant en
tête la notion de justice climatique, leurs revendications combinent
les luttes à la fois écologiques et sociales.
Empêcher
les accaparements de terres
Le FSM
de Dakar a accordé une large place au problème de l'accapare-ment
des terres arables. Menace directe contre la souveraineté
alimentaire, les cessions de terres à grande échelle, qui se
multiplient essentiellement en Afrique, sont facilitées par la
fragilité des droits de propriété du foncier.« Avec la hausse des
prix agricoles, relate Ambroise Mazal, chargé de mission sur la
souveraineté alimentaire au CCFD-Terre solidaire, on a assisté
ces dernières années à une véritable ruée sur les terres des
pays en voie de développement. On parle ici d'achats ou de locations
à long terme de dizaines de milliers d'hectares, par des États ou
des multinationales. D'après la Banque mondiale, on est passé de 4
millions d'hectares cédés par an en moyenne au cours de la dernière
décennie à 45 millions en 2009 : le phénomène a plus que décuplé
»
Or ces
utilisations de terres, majoritairement destinées à l'exportation,
entrent en concurrence avec d'autres usages à destination des
populations locales et fragilisent la sécurité alimentaire de ces
dernières. Les débats très vifs qui ont eu lieu lors du Forum ont
débouché sur un « Appel de Dakar contre les accaparements de
terres », qui demande aux gouvernements l'arrêt des cessions de
terres à grande échelle à des acteurs étrangers, le temps de
négocier un encadrement des investissements dans l'agriculture
paysanne, des lois foncières protectrices des usagers et un partage
équitable des plus-values entre pays hôtes et multinationales.
Sortir
de l'« extractivisme »
De
nombreux mouvements sociaux latino-américains plaident depuis
quelques années pour interdire l'exploration et l'exploitation de
nouvelles ressources énergétiques fossiles. Une proposition qui
avait déjà été large-ment discutée en avril 2010 lors du Sommet
des peuples de Cochabamba, en Bolivie. « Leave the oil in the
soil » (« Laissez le pétrole dans le sol ») est un mot
d'ordre international, notamment porté par les Amis de la Terre et
popularisé par l'initiative équatorienne Yasuni-ITT, dans laquelle
mouvements sociaux et indigènes, avec le président de la République
Rafael Correa, proposent de renoncer à l'exploitation d'un gisement
pétrolifère situé dans un parc naturel en échange de subventions
internationales.
Avec la
hausse du prix des hydrocarbures, expliquent les partisans du
moratoire, de nombreuses sources d'énergie peu accessibles,
extrêmement polluantes (comme les sables bitumineux, huiles et gaz
de schiste et autres hydrocarbures non conventionnels) ou très
chères deviennent attrayantes pour les investisseurs. « Le
principe serait de conserver les exploitations actuelles, sans en
démarrer de nouvelles, explique Maxime Combes, militant
altermondialiste de l'Association internationale de techniciens,
experts et chercheurs (AITEC). En attendant de redéfinir un
schéma énergétique mondial de production et de consommation dans
chaque pays, d'amorcer un processus de transition énergétique
mettant fin à la surconsommation au Nord qui cohabite avec la
sous-consommation au Sud. » Un moratoire de ce type faciliterait
la limitation des émissions de gaz à effet de serre, inciterait au
développement des économies d'énergie et des énergies
renouvelables et préserverait les écosystèmes menacés par les
projets de l'industrie extractive.
Imposer
un reporting pays par pays aux multinationales
Hormis
dans les discours magiques de Nicolas Sarkozy, l'abolition pure et
simple des paradis fiscaux, du jour au lendemain, semble hors
d'atteinte. Pour obtenir toutefois une victoire partielle, le Tax
Justice Network (Réseau pour la justice fiscale) a lancé à Dakar
une campagne mondiale pour que les entreprises transnationales
établissent une comptabilité pays par pays, permettant de connaître
le montant des profits réalisés et des impôts payés sur chaque
territoire. Les entreprises qui, pour se dérober à l'impôt,
localisent artificiellement des activités et des profits dans leurs
filiales domiciliées dans des paradis fiscaux auraient ainsi du mal
à justifier leurs écritures comptables.
«
Les 50 plus grandes entreprises européennes comptent plus de 20 % de
leurs filiales dans des territoires non coopératifs et opaques,
explique Mathilde Dupré, chargée de mission sur les paradis fiscaux
au CCFD-Terre solidaire. Disposer de leurs comptes pays par pays
permettrait donc de leur demander ce qu'elles font dans ces
territoires. Ce n'est pas un souci en soi d'avoir une activité
réelle dans un de ces territoires, mais il ne faut pas que cela soit
une manière de délocaliser artificiellement des profits réalisés
ailleurs. » Première avancée d'envergure : le Congrès
américain a instauré, dans le cadre de la loi de régulation
financière Dodd-Frank de juillet 2010, une obligation pour les
industries extractives cotées aux États-Unis de déclarer ce
qu'elles versent à chaque État. Pas sûr pour autant que le G20
pousse la curiosité jusqu'à généraliser et améliorer cette
mesure.
Abolir
les armes nucléaires
A
première vue, l'abolition des armes nucléaires a tout d'une utopie.
A l'heure de la prolifération nucléaire, un monde sans armes
atomiques est une perspective lointaine. Mais les mouvements
pacifistes qui le promeuvent mettent l'accent sur les premières
étapes à franchir, très réalistes, pour y parvenir
progressivement et éloigner le danger d'une guerre nucléaire. Et ce
tout en économisant des ressources sur les dépenses d'armement. La
société civile pacifiste, à travers la Campagne internationale
pour l'abolition de l'arme nucléaire ou l'initiative Global Zero, a
proposé un calendrier en plusieurs étapes, approuvé par 127 pays à
l'initiative de la Malaisie et du Costa Rica.
« La
priorité, c'est de supprimer l'état d'alerte, en vertu duquel 5 000
armes sont prêtes à être mises à feu dans le monde en moins de
trente minutes ! », explique Pierre Villard, coprésident
du Mouvement de la paix. Les étapes suivantes consisteraient en un
rapatriement par les Etats de leurs armes sur leur territoire, puis
en une réduction de l'arsenal possédé par les Etats-Unis et la
Russie (20 000 armes à eux deux), avant un retrait des ogives
nucléaires de leurs vecteurs, une neutralisation des ogives, un
retrait des charges et, enfin, un placement sous contrôle
international des matières fissiles.
Manuel
Domergue
Alternatives
économiques
Pour
en savoir plus :
L'appel
de Dakar contre les accaparements de terres est disponible sur
Le site
de la campagne Stop paradis fiscaux : www.endtaxhavensecrecy.org
Le site
de la campagne pour l'abolition des armes nucléaires et de
l'initiative Global Zero : www.icanw.org
et www.globalzero.org