mercredi, mai 16, 2012

La démocratie est morte



La finance, la mondialisation et les multinationales ont instauré ce que Jean Ziegler appelle « l'ordre cannibale du monde ».

Vandana Shiva, physicienne nucléaire indienne, militante des droits de l'Homme et écologiste de rang international, n'hésite pas à déclarer : « Aujourd'hui, la démocratie est morte ». La scientifique indienne dénonce aussi les brevets sur le vivant :

« Le fait qu'il soit possible de breveter des formes de vie modifiées soulève de nombreuses questions politiques non résolues au regard de la propriété et du contrôle des ressources génétiques. En effet, en manipulant des formes de vie, on ne part pas de zéro, mais d'autres formes de vie qui appartiennent à des tiers, peut-être en vertu d'un droit coutumier. Deuxièmement, la manipulation génétique ne crée pas de nouveaux gènes, mais déplace simplement des gènes qui préexistent dans les organismes. En attribuant de la valeur à ces gènes à travers le système des brevets, on franchit un pas dangereux en matière d'accès aux ressources génétiques.

Donner de la valeur aux gènes en les brevetant est un non-sens du point de vue biologique. Des organismes complexes qui ont évolué au cours des millénaires dans la nature, grâce aussi aux efforts des paysans, nomades et guérisseurs du tiers monde sont décomposés en parties et traités comme de simples apports à la manipulation génétique. Breveter des gènes aboutit ainsi à la dévalorisation de formes de vie en les réduisant à leurs parties constitutives et en permettant leur possession répétée comme bien privé. Ce réductionnisme et cette fragmentation peuvent servir les intérêts commerciaux, mais ils violent l'intégrité de la vie au même titre que le droit de propriété collectif des peuples du tiers monde. Ce sont ces notions erronées en matière de ressources génétiques et de leur contrôle via la législation sur la propriété intellectuelle qui sont à l'origine des «bio-conflits» à la FAO et des guerres commerciales au GATT. Des pays comme les États-Unis utilisent le commerce comme un moyen pour imposer leur législation en matière de brevets et de propriété intellectuelle aux nations souveraines du tiers monde. Les États-Unis accusent les pays du tiers monde de «pratiques commerciales déloyales» dès que ceux-ci refusent d'adopter le droit américain en matière de brevets qui accorde des droits monopolistiques sur des formes de vie. Or, ce sont les États-Unis qui ont des pratiques commerciales déloyales au regard de leur utilisation des ressources génétiques du tiers monde. Les États-Unis ont pris librement la diversité biologique du tiers monde pour réaliser des bénéfices se chiffrant par millions de dollars sans rétrocéder le moindre dollar aux pays du tiers monde, propriétaires d'origine du plasma germinatif. Une variété sauvage de tomates (Lycopersicon chomrelewskii) prélevée au Pérou en 1962 a rapporté 8 millions de dollars par année au conserveries américaines grâce à une meilleure concentration en solides solubles. Or, aucun profit ou bénéfice n'a été partagé avec le Pérou, source originale du matériel génétique.

Selon Prescott-Allen, les variétés sauvages ont rapporté 340 millions de dollars par année entre 1976 et 1980 au secteur agricole américain. La contribution totale du plasma germinatif sauvage à l'économie américaine s'est montée à 66 milliards de dollars, soit une somme supérieure au total de la dette internationale combinée du Mexique et des Philippines. Ce matériel sauvage «appartient» aux États souverains et à des gens du pays.

La plupart des pays du tiers monde considèrent les ressources génétiques comme un patrimoine collectif. La majorité d'entre eux n'a pas inclus les animaux et les plantes dans le système des brevets jusqu'à ces derniers temps où l'avènement des biotechnologies a bouleversé la notion de propriété de la vie. Avec les nouvelles bio-technologies, la vie est un bien qu'on peut posséder. Le potentiel inhérent dans la manipulation génétique réduit l'organisme à ces composantes génétiques. Des siècles d'innovations sont totalement dévalorisées afin d'accorder des droits monopolistiques sur des formes de vie à ceux qui manipulent les gènes à l'aide de nouvelles technologies en plaçant leur contribution au dessus de tous les efforts intellectuels que des générations de paysans du tiers monde ont accomplis pendant plus de dix mille ans en matière de conservation, d'élevage, de domestication et de développement de ressources génétiques végétales et animales. Ainsi que Pat Mooney l'a dit «l'argument selon lequel la propriété intellectuelle est seulement reconnaissable lorsqu'elle s'exerce dans un laboratoire par des gens vêtus de blouses blanches est une vision fondamentale-ment raciste du développement scientifique.»

Deux préjugés sont inhérents à cet argument. Tout d'abord que le travail des paysans du tiers monde est sans valeur tandis que le travail des scientifiques occidentaux ajoute de la valeur. Deuxièmement, que la valeur ne se mesure que sur le marché. Or, il est admis que le changement total introduit par les paysans au cours des millénaires est infiniment supérieur à celui qui a résulté ces cent ou deux cents dernières années des efforts plus systématiques fondés sur la science. Les phytobiologistes ne sont pas les seuls producteurs d'utilité dans les semences.

Cette utilité des semences paysannes et tribales a une valeur sociale et écologique élevée, même si aucune valeur marchande ne s'y rattache. Les critères d'assignation de valeur propres à l'économie de marché ne sauraient justifier que l'on refuse d'accorder de la valeur aux semences produites par les paysans ou issues de la nature. Le procédé dénote davantage les failles de la logique du marché qu'il ne caractérise le statut des semences ou le niveau d'intelligence des paysans.

Aucune raison épistémologique ne justifie que l'on considère certains plasmas germinatifs comme étant sans valeur et appartenant au patrimoine commun alors que d'autres sont traités de biens marchands et de propriété privée. Cette distinction n'est pas fondée sur la nature du plasma germinatif, mais sur la nature du pouvoir politique et économique. »


Vandana Shiva


La vie n'est pas une marchandise
La dérive des droits de propriété intellectuelle

Jusqu'aux années 1980, seuls les déposants et les examinateurs d'une demande de brevet, ainsi que leurs avocats, se préoccupaient de la propriété intellectuelle des inventions, alors essentiellement des machines et des produits chimiques. Deux événements ont transformé la question des brevets en un enjeu politique crucial. Le premier a été la décision de la Cour suprême des États-Unis de traiter la vie comme une invention et, par conséquent, de permettre à l'Office des brevets de ce pays d'accorder des brevets sur le vivant. Le second a été l'insertion par les États-Unis des droits de propriété intellectuelle (DPI) dans l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Les brevets sur les formes de vie découlant de la biotechnologie ont engendré des conflits d'ordre moral, écologique, économique et politique. Très souvent, ce sont le savoir indigène et les innovations traditionnelles qui font l'objet de ces brevets détenus par des multinationales. Ces brevets servent de mécanisme de contrôle aussi bien des matières premières que des marchés du tiers-monde.


Vandana Shiva dirige la Fondation de recherches pour les sciences, la technologie et l'écologie. Parmi ses nombreux livres, mentionnons, traduits en français, La guerre de l'eau (Parangon), Le terrorisme alimentaire (Fayard) et La biopiraterie ou le pillage de la nature et de la connaissance (Alias etc.). Elle est également rédactrice en chef adjointe de la revue The Ecologist.

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La guerre contre l’Islam est-elle une phase de la guerre ultime : la Guerre contre le Christ ?

La doctrine de la « démocratie libérale et des droits de l’homme » est une crypto-religion, une forme extrême, hérétique de judaïsme christ...