Un
village français
En
France, de plus en plus souvent, le travailleur étranger est
considéré comme un sous-prolétaire méprisable ; réduit au
chômage, il est désigné comme l'ennemi intérieur.
Scène
vécue ce week-end :
Monsieur
est un bourgeois dédaigneux, un français de souche, qui habite à
Nouhant en Creuse. Peu habitué à se salir les mains, il est
incapable d'ouvrir un vieux portail rouillé. Heureusement, des
voisins compatissants, dont un ouvrier péruvien qui intervient avec
sa disqueuse et n'hésite pas à sacrifier 2 ou 3 disques pour
tronçonner une grosse pièce métallique oxydée, solutionnent le
problème. Et bien, au terme de l'opération, le bourgeois ne propose
même pas un café. Il considère sans doute qu'un travailleur pauvre
et de surcroît étranger se doit de lui offrir temps et outillage.
Dominique
Manotti, spécialiste de l'histoire économique, a déclaré sur
France Inter : « Marx va revenir à la mode ».
« Il
est vrai, écrit Karl Marx, le vieux monde appartient au philistin.
Mais nous ne devons pas le traiter en épouvantail dont on se
détourne craintivement. Nous devons, au contraire, le regarder bien
en face. Ce maître du monde, il vaut la peine de l'étudier.
Maître
du monde, il l'est, certes, mais seulement en ce qu'il emplit le
monde de sa société, tels les vers emplissant un cadavre. La
société de ces messieurs n'a donc besoin que d'un certain nombre
d'esclaves, et les propriétaires des esclaves peuvent ne pas être
libres. Si, possédant terres et gens, ils sont appelés maîtres au
sens éminent du terme, ce n'en sont pas moins des philistins tout
comme leurs gens. […]
Le monde
des philistins est le monde d'animaux politiques, et si nous sommes
obligés d'en reconnaître l'existence, il ne nous reste qu'à donner
simplement raison au statu quo. Des siècles barbares l'ont produit
et façonné, et il se dresse maintenant devant nous, tel un système
cohérent, dont le principe est le monde déshumanisé. »
Vers
un monde nouveau
« Les
ennemis du philistin, c'est-à-dire tous les hommes qui pensent et
tous ceux qui souffrent, sont arrivés à une entente pour laquelle
autrefois tous les moyens leur manquaient ; même le système passif
de procréation des vieux sujets enrôle chaque jour des recrues pour
le service de l'humanité nouvelle. Toutefois, le système de
l'industrie et du commerce, de la possession et de l'exploitation des
hommes conduit plus rapidement encore que l'accroissement de la
population à une rupture au sein de la société actuelle, rupture
que l'ancien système est incapable de guérir, ne pouvant rien
guérir et rien créer, car il ne fait qu'exister et jouir.
L'existence de l'humanité souffrante qui pense, et de l'humanité
pensante qui est opprimée, deviendra nécessairement impossible à
absorber et à digérer pour le monde animal des philistins qui
jouissent passivement et stupidement. C'est notre rôle de mettre
complètement à nu l'ancien monde et de donner une forme positive au
monde nouveau. Plus les événements laisseront à l'humanité
pensante le temps de se recueillir et à l'humanité souffrante le
temps de s'unir, et plus parfait naîtra le produit que le présent
porte dans son sein.
Ce qui
constitue justement l'avantage de la tendance nouvelle, c'est que
nous ne voulons pas anticiper le monde dogmatiquement, mais trouver
seulement le monde nouveau par la critique du monde ancien [...] Si
la construction de l'avenir et l'achèvement pour tous les temps
n'est pas notre affaire, nous savons d'autant plus certainement ce
que nous avons à réaliser dans le présent : la critique
impitoyable de tout l'ordre existant, impitoyable également dans le
sens d'une critique qui ne craint ni ses résultats ni les conflits
avec les puissances existantes.
Je ne
voudrais donc pas que nous arborions un drapeau dogmatique, bien au
contraire. Nous devons tâcher d'aider les dogmatiques pour qu'ils
comprennent leurs propres thèses. C'est ainsi notamment que le
communisme est une abstraction dogmatique. Ce disant, je ne vise pas
un communisme quelconque imaginaire et virtuel, mais le communisme
réellement existant, tel que le préconisent Cabet, Dezamy,
Weitling, etc. Ce communisme n'est lui-même qu'une manifestation
particulière du principe humaniste, infectée de son antipode, la
propriété privée. Abolition de la propriété privée et
communisme ne sont donc nullement identiques, et le communisme a vu
naître en face de lui, non pas par hasard, mais par nécessité,
d'autres doctrines socialistes telles que celles de Fourier,
Proudhon, etc., parce qu'il n'est lui-même qu'une réalisation
particulière, unilatérale, du principe socialiste.
Et comme
tel le principe socialiste n'est encore qu'un seul aspect, celui qui
concerne la réalité du véritable être humain. Nous devons nous
occuper tout autant de l'autre aspect, de l'existence théorique de
l'homme, donc faire de la religion, de la science, etc., l'objet de
notre critique [...].
Rien ne
nous empêche de rattacher notre critique à la critique de la
politique, et de prendre parti pour une politique, donc de participer
à des luttes réelles et de nous identifier à elles. Nous ne nous
présentons pas alors au monde en doctrinaires avec un nouveau
principe : voici la vérité, agenouillez-vous ! Nous développons
pour le monde des principes nouveaux que nous tirons des principes du
monde. Nous ne lui disons pas : renonce à tes luttes, ce sont des
bêtises, et nous te ferons entendre la vraie devise du combat. Nous
ne faisons que montrer au monde pourquoi il lutte en réalité, et la
conscience est une chose qu'il doit acquérir, quand même il s'y
refuserait.
La
réforme de la conscience consiste uniquement à rendre le monde
conscient de lui-même, à le sortir de l'état de rêve qui le
trompe sur lui-même, à lui expliquer ses propres actions. Tout
notre but ne peut consister, comme c'est d'ailleurs le cas dans la
critique de la religion de Feuerbach, qu'à donner une forme humaine
consciente aux questions religieuses et politiques.
Notre
devise sera donc : la réforme de la conscience non par des dogmes,
mais par l'analyse de la conscience mystique, obscure à elle-même,
qu'elle se manifeste dans la religion ou dans la politique. On verra
alors que, depuis longtemps, le monde possède le rêve d'une chose
dont il lui manque la conscience pour la posséder réellement. On
verra qu'il ne s'agit pas de faire un grand trait entre le passé et
l'avenir, mais d'accomplir les idées du passé. On verra enfin que
l'humanité ne commence pas une nouvelle œuvre, mais réalise son
ancien travail en connaissance de cause.
Nous
pouvons, par conséquent, formuler la tendance de notre revue (Les
Annales franco-allemandes) en un seul mot : prise de
conscience (philosophie critique) de notre époque sur ses luttes et
ses aspirations. C'est là une tâche pour le monde et pour nous. Ce
ne peut être que l’œuvre de forces réunies. Il s'agit d'une
confession, de rien d'autre. Pour se faire absoudre de ses péchés,
l'humanité n'a qu'a les reconnaître comme tels. »
Karl
Marx
Illustration :
All
human beings are born free and equal in dignity and rights.