lundi, décembre 12, 2022

La naissance de la guerre et la fin du monde des chasseurs-cueilleurs



"Un million d’années avant JC", film de Don Chaffey (1966).


La période de stabilité et d'harmonie écologique

Depuis la plus lointaine origine de l'humanité jusqu'à l'aurore du Néolithique, les hommes préhistoriques vécurent uniquement de la chasse, de la pêche et du ramassage des plantes sauvages. Ils vivaient en harmonie avec la nature sans plus perturber le milieu que ne le faisaient les autres êtres. L'idéal des peuples chasseurs est la stabilité. Parfaitement intégrés au milieu dans lequel ils évoluaient, ils prenaient soin de limiter leur prélèvement aux stricts besoins qui étaient les leurs.

Le Paléolithique ancien et moyen est bien représenté dans le Midi de la France où, malgré les érosions violentes qui dégradèrent les dépôts quaternaires, on a pu étudier de nombreux gisements de ces âges. Les industries sur éclat et les industries à bifaces se rencontrent dans plusieurs cavités, mais aussi en plein air partout où les sédiments de ces périodes sont conservés en place. Les sites de plein air se rencontrent principalement sur les anciennes terrasses fluviatiles en Languedoc et dans la zone orientale de la Provence.

Pendant toute cette longue période, pendant des dizaines de millénaires, les hommes préhistoriques, chasseurs et cueilleurs, vécurent armés mais paisibles. Dans leurs habitats, les restes de repas et leurs industries montrent d'innombrables ossements d'animaux tués de leurs armes efficaces, et ces mêmes armes recueillies par centaines, par milliers. Et cependant, les tombes de ces chasseurs ne fournissent aucune trace de guerre. On rencontre des blessures accidentelles, telles que des fractures consolidées, mais jamais de blessures occasionnées par ces belles pointes en silex. Il n'en sera pas de même plus tard.

La période de déséquilibre et de disharmonie écologique

Le Néolithique ancien n'est pas une civilisation exclusivement agricole en Provence. En effet, c'est surtout la domestication du mouton qui semble être à l'origine de la sédentarisation dans la région. Cette domestication commence à la fin du Castelnovien qui est un véritable Mésolithique, mais dès la constitution d'un troupeau, vérifiable à l'étude des ossements des animaux consommés, on voit apparaître la première poterie et la première hache polie, indice d'une agriculture primitive, confirmée par la présence de grains de blé dès le Néolithique cardial moyen. Cependant, les restes de cuisine, qui contiennent encore des ossements d'animaux de chasse, indiquent une économie mixte où persistent les pratiques traditionnelles à côté des innovations. A cette époque archaïque du Néolithique, la population était encore très clairsemée et donc paisible.

C'est à partir du Néolithique moyen que l'équilibre va se rompre. En effet, ce Néolithique est pleinement agricole, et les conditions de vie et de nutrition vont favoriser la prolifération de l'homme. C'est la période de l'édification de très nombreux villages chasséens dans tout le Midi de la France d'abord, puis l'expansion vers le Nord ensuite, et un peuplement d'une extrême densité à la fin du Néolithique. Dès le Néolithique moyen, on commence à rencontrer des tombes contenant un squelette comportant une flèche en silex plantée dans un os. Mais à partir du Néolithique final, et surtout du Chalcolithique, les nécropoles sont très nombreuses où des squelettes portent encore profondément plantées plusieurs flèches meurtrières, indice d'un acharnement certain.

Avant l'établissement de l'économie pleinement agricole, alors que nos lointains ancêtres ne vivaient que de chasse, de pêche, et de ramassage de plantes sauvages et étaient fort peu nombreux, la guerre n'existait pas. Les peuples chasseurs-pêcheurs-pasteurs vivaient en harmonie avec la nature se gardant bien d'épuiser les ressources naturelles et de perturber le milieu naturel qui était leur unique source de vie. Tout au plus, le berger était-il obligé de tuer les loups en surnombre pour protéger son troupeau.

L'agriculteur, lui, est tenu, pour survivre, d'agir autrement. Il ne peut supporter le troupeau qui anéantit son champ de blé. Il ne supporte pas non plus les herbivores sauvages (cerf, chevreuil, sanglier, cheval, etc.) qu'il extermine systématiquement. Il ne tolère pas non plus l'extension de la forêt qui occupe toutes les bonnes terres. Il extermine donc aussi les arbres. Alors que l'action des peuples chasseurs-cueilleurs est équilibrante, l'activité des producteurs est hétérogène, disharmonique, déséquilibrante. Les peuples nomades étaient stables dans leur « activité non agissante ». Les peuples producteurs qui eux, sont sédentaires, sont instables et écologiquement plus agités qu'agissants, courant toujours après un progrès qui leur échappe, défrichant et bâtissant pour abandonner ensuite leurs installations et conquérir de nouvelles terres par la guerre et le meurtre des hommes, des animaux, des arbres. D'une phase homogène, l'humanité passe à un stade hétérogène.

L'agriculteur primitif doit, pour survivre, prévoir la mauvaise récolte. Il est donc obligé de constituer des réserves, d'accumuler des trésors. Il attire donc la convoitise des moins favorisés ou de ceux qu'il a ruinés en déséquilibrant la nature. Cela explique l'antagonisme fondamental qui exista toujours entre les chasseurs-pasteurs et les agriculteurs. Le récit biblique d'Abel le pasteur, et de Caïn l'agriculteur, qui date de l'Age du cuivre, illustre bien cet état de fait. Le cas des Peaux-Rouges d'Amérique en est un bon exemple récent.

Avant l'arrivée des agriculteurs-guerriers, les tombes des chasseurs-pasteurs étaient des fosses ne contenant qu'un corps en général. Aucune trace de blessure, aucune arme dans le corps n'est perceptible. Dès l'installation des agriculteurs, on a des nécropoles vastes et pleines, contenant des fosses collectives où les corps sont souvent criblés de flèches. On a trouvé fréquemment quatre ou cinq flèches dans le même corps. Certaines de ces flèches sont encore profondément enfoncées dans les ossements humains

Le monde actuel, héritier des civilisations agricoles des peuples producteurs, est le résultat de la somme des déséquilibres et des perturbations apportés par l'homme dans le milieu naturel, dans un souci de domination sans limite. L'homme, lié indissolublement à la nature, reçoit obligatoirement les réactions et les contre-coups qui résultent du déséquilibre qu'il provoque dans son ignorance des causes.

L'adaptation constitue un progrès, certes, et les séries d'adaptations des préhistoriques peuvent servir de leçon. Mais vouloir remplacer l'adaptation harmonieuse par la domination qui ignore, sciemment ou non, les lois naturelles a toujours conduit l'homme dans une voie descendante qui ne fait que multiplier les causes de déséquilibre. C'est la prise de conscience de ce déséquilibre qui conduit l'homme, au cours des temps. à repenser périodiquement la notion de civilisation et de progrès.

Pour le peuple « prédateur », le progrès consiste à conserver le plus possible et de façon la « plus parfaite » la stabilité harmonieuse qui est source de vie. Les « progrès » d'un peuple producteur le conduisent à déséquilibrer sans cesse la nature. Comme la nature, pour garder son équilibre, comble les lacunes produites par l'homme, il en résulte des réactions naturelles qui n'avaient pas été prévues. L'homme est alors constamment obligé de réviser ses méthodes, qui, toutes, sont entachées d'un principe de changement, la disharmonie, dont la modalité la plus visible est le déséquilibre sériel : c'est l'évolution culturelle.

L'évolution conduit l'homme à courir après le progrès qui lui apparaît toujours comme un inaccessible futur. C'est pour cela que l'histoire de l'homme des temps préhistoriques, mais aussi historiques, nous apparait en mode cyclique : chaque civilisation a une naissance, une croissance et une maturité, puis une vieillesse, une décadence, enfin une mort.

Les naissances des civilisations ne se réalisent jamais dans un retour en arrière ce qui serait d'ailleurs infaisable, sinon impossible, mais dans un « retour aux sources ». Au cours des temps anciens, nous avons vu un grand nombre de fois les hommes se regrouper après la mort de la civilisation épuisée, dans le but de repartir sur des bases plus naturelles et plus harmonieuses. Chaque fois, les éléments culturels et cultuels reflètent non pas la simple stabilité écologique, mais la stabilité intellectuelle de l'homme face à un milieu naturel dans lequel il ne cherche à représenter qu'un des éléments de l'équilibre universel.

C'est à chaque naissance de civilisation que l'homme réalise un progrès. Mais ce progrès n'est que son retour à l'Harmonie universelle dont il s'était illusoirement exclu par sa faute.

Conclusion

Chez la plupart des peuples, l'origine mythique de l'homme se situe dans un paradis où règne la paix. Et il est clair que la paix ne règne que parce qu'il n'y a qu'un seul homme...

On constate en tout cas que depuis la plus lointaine origine de l'homme proprement dit, jusqu'au développement de l'agriculture et de l'économie de production en général, nos lointains ancêtres ne pratiquaient pas la guerre. Cela ne veut point dire qu'ils étaient meilleurs que nous. Cela signifie tout simplement que les causes de la guerre n'existaient pas, car ils étaient fort peu nombreux. La notion de « territoire » était donc atténuée, et l'agressivité utilisée exclusivement pour la recherche de la nourriture en grande abondance pour tout le monde.

A partir de l'époque du grand changement écologique du cycle de l'homme, c'est-à-dire de la période Atlantique pour l'Europe (vers 4000 ans av. J.C.), commence l'explosion démographique. Ce débordement de l'espèce humaine engendra la notion de la propriété agressive car le territoire de l'individu ne cesse d'être menacé et rogné à chaque nouvelle augmentation de la population. Peu après, commence l'époque des mouvements des peuples et des invasions, ce qui accentue encore les désordres. Toute la suite de cette triste mais édifiante histoire de l'humanité n'est que le résultat logique de la première rupture de l'équilibre entre l'espèce humaine et le milieu.

Ainsi naquit la guerre, du déséquilibre écologique entre une terre non extensible et l'espèce humaine en débordement démographique. La cause première de la guerre n'est pas sociologique, elle est écologique, biologique : c'est la réaction naturelle d'une espèce active en cours de prolifération excessive - trop excessive.

Max Escalon de Fonton


Photo :
Raquel Welch, "Un million d’années avant JC" de Don Chaffey (1966). « Si les femmes de la préhistoire ressemblaient à Raquel Welch, alors nous avons beaucoup régressé ! » avait déclaré Harryhausen, le responsable des effets spéciaux, dans une interview publiée dans le livre Stop-motion.

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