"Un million d’années avant JC", film de Don Chaffey (1966).
La
période de stabilité et d'harmonie écologique
Depuis
la plus lointaine origine de l'humanité jusqu'à l'aurore du
Néolithique, les hommes préhistoriques vécurent uniquement de la
chasse, de la pêche et du ramassage des plantes sauvages. Ils
vivaient en harmonie avec la nature sans plus perturber le milieu que
ne le faisaient les autres êtres. L'idéal des peuples chasseurs est
la stabilité. Parfaitement intégrés au milieu dans lequel ils
évoluaient, ils prenaient soin de limiter leur prélèvement aux
stricts besoins qui étaient les leurs.
Le
Paléolithique ancien et moyen est bien représenté dans le Midi de
la France où, malgré les érosions violentes qui dégradèrent les
dépôts quaternaires, on a pu étudier de nombreux gisements de ces
âges. Les industries sur éclat et les industries à bifaces se
rencontrent dans plusieurs cavités, mais aussi en plein air partout
où les sédiments de ces périodes sont conservés en place. Les
sites de plein air se rencontrent principalement sur les anciennes
terrasses fluviatiles en Languedoc et dans la zone orientale de la
Provence.
Pendant
toute cette longue période, pendant des dizaines de millénaires,
les hommes préhistoriques, chasseurs et cueilleurs, vécurent armés
mais paisibles. Dans leurs habitats, les restes de repas et leurs
industries montrent d'innombrables ossements d'animaux tués de leurs
armes efficaces, et ces mêmes armes recueillies par centaines, par
milliers. Et cependant, les tombes de ces chasseurs ne fournissent
aucune trace de guerre. On rencontre des blessures accidentelles,
telles que des fractures consolidées, mais jamais de blessures
occasionnées par ces belles pointes en silex. Il n'en sera pas de
même plus tard.
La
période de déséquilibre et de disharmonie écologique
Le
Néolithique ancien n'est pas une civilisation exclusivement agricole
en Provence. En effet, c'est surtout la domestication du mouton qui
semble être à l'origine de la sédentarisation dans la région.
Cette domestication commence à la fin du Castelnovien qui est un
véritable Mésolithique, mais dès la constitution d'un troupeau,
vérifiable à l'étude des ossements des animaux consommés, on voit
apparaître la première poterie et la première hache polie, indice
d'une agriculture primitive, confirmée par la présence de grains de
blé dès le Néolithique cardial moyen. Cependant, les restes de
cuisine, qui contiennent encore des ossements d'animaux de chasse,
indiquent une économie mixte où persistent les pratiques
traditionnelles à côté des innovations. A cette époque archaïque
du Néolithique, la population était encore très clairsemée et
donc paisible.
C'est à
partir du Néolithique moyen que l'équilibre va se rompre. En effet,
ce Néolithique est pleinement agricole, et les conditions de vie et
de nutrition vont favoriser la prolifération de l'homme. C'est la
période de l'édification de très nombreux villages chasséens dans
tout le Midi de la France d'abord, puis l'expansion vers le Nord
ensuite, et un peuplement d'une extrême densité à la fin du
Néolithique. Dès le Néolithique moyen, on commence à rencontrer
des tombes contenant un squelette comportant une flèche en silex
plantée dans un os. Mais à partir du Néolithique final, et surtout
du Chalcolithique, les nécropoles sont très nombreuses où des
squelettes portent encore profondément plantées plusieurs flèches
meurtrières, indice d'un acharnement certain.
Avant
l'établissement de l'économie pleinement agricole, alors que nos
lointains ancêtres ne vivaient que de chasse, de pêche, et de
ramassage de plantes sauvages et étaient fort peu nombreux, la
guerre n'existait pas. Les peuples chasseurs-pêcheurs-pasteurs
vivaient en harmonie avec la nature se gardant bien d'épuiser les
ressources naturelles et de perturber le milieu naturel qui était
leur unique source de vie. Tout au plus, le berger était-il obligé
de tuer les loups en surnombre pour protéger son troupeau.
L'agriculteur,
lui, est tenu, pour survivre, d'agir autrement. Il ne peut supporter
le troupeau qui anéantit son champ de blé. Il ne supporte pas non
plus les herbivores sauvages (cerf, chevreuil, sanglier, cheval,
etc.) qu'il extermine systématiquement. Il ne tolère pas non plus
l'extension de la forêt qui occupe toutes les bonnes terres. Il
extermine donc aussi les arbres. Alors que l'action des peuples
chasseurs-cueilleurs est équilibrante, l'activité des producteurs
est hétérogène, disharmonique, déséquilibrante. Les peuples
nomades étaient stables dans leur « activité non agissante ». Les
peuples producteurs qui eux, sont sédentaires, sont instables et
écologiquement plus agités qu'agissants, courant toujours après un
progrès qui leur échappe, défrichant et bâtissant pour abandonner
ensuite leurs installations et conquérir de nouvelles terres par la
guerre et le meurtre des hommes, des animaux, des arbres. D'une phase
homogène, l'humanité passe à un stade hétérogène.
L'agriculteur
primitif doit, pour survivre, prévoir la mauvaise récolte. Il est
donc obligé de constituer des réserves, d'accumuler des trésors.
Il attire donc la convoitise des moins favorisés ou de ceux qu'il a
ruinés en déséquilibrant la nature. Cela explique l'antagonisme
fondamental qui exista toujours entre les chasseurs-pasteurs et les
agriculteurs. Le récit biblique d'Abel le pasteur, et de Caïn
l'agriculteur, qui date de l'Age du cuivre, illustre bien cet état
de fait. Le cas des Peaux-Rouges d'Amérique en est un bon exemple
récent.
Avant
l'arrivée des agriculteurs-guerriers, les tombes des
chasseurs-pasteurs étaient des fosses ne contenant qu'un corps en
général. Aucune trace de blessure, aucune arme dans le corps n'est
perceptible. Dès l'installation des agriculteurs, on a des
nécropoles vastes et pleines, contenant des fosses collectives où
les corps sont souvent criblés de flèches. On a trouvé fréquemment
quatre ou cinq flèches dans le même corps. Certaines de ces flèches
sont encore profondément enfoncées dans les ossements humains
Le monde
actuel, héritier des civilisations agricoles des peuples
producteurs, est le résultat de la somme des déséquilibres et des
perturbations apportés par l'homme dans le milieu naturel, dans un
souci de domination sans limite. L'homme, lié indissolublement à la
nature, reçoit obligatoirement les réactions et les contre-coups
qui résultent du déséquilibre qu'il provoque dans son ignorance
des causes.
L'adaptation
constitue un progrès, certes, et les séries d'adaptations des
préhistoriques peuvent servir de leçon. Mais vouloir remplacer
l'adaptation harmonieuse par la domination qui ignore, sciemment ou
non, les lois naturelles a toujours conduit l'homme dans une voie
descendante qui ne fait que multiplier les causes de déséquilibre.
C'est la prise de conscience de ce déséquilibre qui conduit
l'homme, au cours des temps. à repenser périodiquement la notion de
civilisation et de progrès.
Pour le
peuple « prédateur », le progrès consiste à conserver le plus
possible et de façon la « plus parfaite » la stabilité
harmonieuse qui est source de vie. Les « progrès » d'un peuple
producteur le conduisent à déséquilibrer sans cesse la nature.
Comme la nature, pour garder son équilibre, comble les lacunes
produites par l'homme, il en résulte des réactions naturelles qui
n'avaient pas été prévues. L'homme est alors constamment obligé
de réviser ses méthodes, qui, toutes, sont entachées d'un principe
de changement, la disharmonie, dont la modalité la plus visible est
le déséquilibre sériel : c'est l'évolution culturelle.
L'évolution
conduit l'homme à courir après le progrès qui lui apparaît
toujours comme un inaccessible futur. C'est pour cela que l'histoire
de l'homme des temps préhistoriques, mais aussi historiques, nous
apparait en mode cyclique : chaque civilisation a une naissance, une
croissance et une maturité, puis une vieillesse, une décadence,
enfin une mort.
Les
naissances des civilisations ne se réalisent jamais dans un retour
en arrière ce qui serait d'ailleurs infaisable, sinon impossible,
mais dans un « retour aux sources ». Au cours des temps anciens,
nous avons vu un grand nombre de fois les hommes se regrouper après
la mort de la civilisation épuisée, dans le but de repartir sur des
bases plus naturelles et plus harmonieuses. Chaque fois, les éléments
culturels et cultuels reflètent non pas la simple stabilité
écologique, mais la stabilité intellectuelle de l'homme face à un
milieu naturel dans lequel il ne cherche à représenter qu'un des
éléments de l'équilibre universel.
C'est à
chaque naissance de civilisation que l'homme réalise un progrès.
Mais ce progrès n'est que son retour à l'Harmonie universelle dont
il s'était illusoirement exclu par sa faute.
Conclusion
Chez la
plupart des peuples, l'origine mythique de l'homme se situe dans un
paradis où règne la paix. Et il est clair que la paix ne règne que
parce qu'il n'y a qu'un seul homme...
On
constate en tout cas que depuis la plus lointaine origine de l'homme
proprement dit, jusqu'au développement de l'agriculture et de
l'économie de production en général, nos lointains ancêtres ne
pratiquaient pas la guerre. Cela ne veut point dire qu'ils étaient
meilleurs que nous. Cela signifie tout simplement que les causes de
la guerre n'existaient pas, car ils étaient fort peu nombreux. La
notion de « territoire » était donc atténuée, et l'agressivité
utilisée exclusivement pour la recherche de la nourriture en grande
abondance pour tout le monde.
A partir
de l'époque du grand changement écologique du cycle de l'homme,
c'est-à-dire de la période Atlantique pour l'Europe (vers 4000 ans
av. J.C.), commence l'explosion démographique. Ce débordement de
l'espèce humaine engendra la notion de la propriété agressive car
le territoire de l'individu ne cesse d'être menacé et rogné à
chaque nouvelle augmentation de la population. Peu après, commence
l'époque des mouvements des peuples et des invasions, ce qui
accentue encore les désordres. Toute la suite de cette triste mais
édifiante histoire de l'humanité n'est que le résultat logique de
la première rupture de l'équilibre entre l'espèce humaine et le
milieu.
Ainsi
naquit la guerre, du déséquilibre écologique entre une terre non
extensible et l'espèce humaine en débordement démographique. La
cause première de la guerre n'est pas sociologique, elle est
écologique, biologique : c'est la réaction naturelle d'une espèce
active en cours de prolifération excessive - trop excessive.
Max
Escalon de Fonton
Raquel Welch, "Un million d’années avant JC" de Don Chaffey (1966). « Si les femmes de la préhistoire ressemblaient à Raquel Welch, alors nous avons beaucoup régressé ! » avait déclaré Harryhausen, le responsable des effets spéciaux, dans une interview publiée dans le livre Stop-motion.