mercredi, août 22, 2012

Peut-on encore changer le monde ?





Centrisme révolutionnaire

Peut-on encore changer le monde ?

De toute façon y renoncer ne l'empêcherait pas de changer, mais reviendrait à laisser à d'autres, en particulier aux forces de régression, le soin de déterminer la nature de ce changement.

Le monde change et changera, malgré nos démissions, mais dans le sens désiré par ceux qui y investiront, eux, le plus de volonté, de fanatisme ou de rage. […]

Tandis que même d'ex-révolutionnaires reculent devant toute remise en cause de l'ordre existant, les contre-révolutionnaires, eux, n'hésitent pas à organiser partout un retour à l'ordre ancien.

Changer le monde signifie, d'abord, en redéfinir le principe de centralité. C'est ce que fit Galilée en ce qui concerne le système solaire. Et cela changea, effectivement, le monde.

Au centre, quoi ? Selon que, dans le passé, on répondit le totem, la horde, la tribu, les dieux ou dieu, le pape ou les pasteurs, Rome ou Byzance, le roi ou le parlement, l'aristocratie ou la bourgeoisie, on participa de cette restructuration du monde que l'on appelle une « révolution ».

Substituer le profit industriel à la rente foncière en tant que principe économique central, remplacer le papier par l'écran au centre du système de production culturelle, décentraliser le masculin au bénéfice du féminin en matière sociétale, constituèrent, en ce sens, autant d'authentiques révolutions.

Au centre, quoi ? Certains y placèrent l’État Léviathan, d'abord réparateur et égalisateur, mais vite devenu totalitaire par négation collectiviste de tout domaine privé. Des révolutions en chaîne, de Moscou à Prague, en passant par Varsovie et Bucarest, permirent de renverser, puis de changer ce monde-là.

D'autres voudraient, à la place de l’État, « centraliser » le profit, c'est-à-dire la recherche systématique et généralisée d'une appropriation et d'une concentration privée des richesses collectives. De Rio à Calcutta, de Johannesburg au Caire, de Stockholm à Marseille, on rêve de changer ce monde-là.

Pour le reconstruire autour de quel centre ? C'est ici que l'acceptation passive du cours des choses devient criminelle. Car, à notre soumission, répond alors l'activisme militant de ceux qui répondent : à la place du profit-centre, à la place de l'État-centre, réinstallons Dieu, la race, la tribu, la terre !

Et, dans ce concert de colères, de vindictes et d'imprécations exacerbées, on n'entend même plus la voix de ceux qui, là où l'État Moloch matraque son pouvoir, là où le profit impérial canonne ses « avoirs », veulent installer l'être, le sujet libre, la personne, c'est-à-dire l'homme démiurge qui, dans le passé, sut non seulement évangéliser les égoïsmes et dompter l'État, mais aussi transcender la tribu et mettre Jupiter à genoux.

En ce sens, c'est être véritablement « centriste » que de poser la question de la centralité — tout en récusant à la fois le terrorisme des bureaucraties centrales et la dictature du capital accumulé —, que refuser un monde de renards muselés et de poulaillers grillagés, mais aussi celui du renard libre dans le poulailler libre, que n'accepter ni que l'on étatise jusqu'à nos neurones ni que l'on privatise jusqu'à nos gènes.

Puisqu'une révolution pour renverser l'État mis à la place de l'individu fut jugée légitime, le serait tout autant une révolution destinée à bousculer le système de l'argent mis au cœur de tout et devenu âme de tout.

La question n'est finalement pas : « peut-on encore changer ce monde-là ? », car les malheurs qu'il génère ne sont contrebalancés que par la désespérance qu'il encourage ou les fureurs qu'il suscite ; mais : « qui le changera ? Et dans quelle perspective ? »

Dit autrement : renoncer aux révolutions pour le meilleur, c'est laisser le champ libre aux révolutions pour le pire : « centrisme révolutionnaire » ou radicalité contre-révolutionnaire : tel est le choix en quelque sorte.

Hier, ce fut au nom de cinq aspirations fondatrices que l'on parvint à changer le monde : l'aspiration humaniste, l'aspiration démocratique, l'aspiration nationale, l'aspiration sociale, l'aspiration libérale.

Il s'agit, aujourd'hui, de repenser et de refonder ces cinq dynamiques-là :

l'aspiration humaniste face aux nouveaux obscurantismes cléricaux ;

l'aspiration démocratique afin d'arracher aux nouvelles nomenklaturas, y compris celles de l'argent, ce que l'on restituera aux citoyens ;

l'aspiration sociale qui doit être opposée à la contre-réforme régressive générée par un néo-capitalisme anthropophage ;

l'aspiration nationale — fût-elle européenne — face au nouvel impérialisme hégémonique ;

l'aspiration libérale, enfin, qui, en rupture avec ce néocommunisme privatisé qu'instaure peu à peu un ultracapitalisme planétaire de monopole, permettra de restaurer la diversité, la pluralité, la concurrence, le libre accès au marché, et le véritable esprit d'entreprise.

Oui, on peut encore changer le monde. On le doit !

Jean-François Kahn


Dessin :

Chacun est un éveillé qui s’ignore

Le buffle représente notre nature propre, la nature de l’éveil,  la nature de Buddha, l’Ainsité (et la vacuité) Le Chemin de l’Eveil Le dres...