Camarades
de misère, quand, énervés
par un long chômage, quand, désespérés par des privations de
toutes sortes, vous en arriverez à maudire votre situation et à
réfléchir aux moyens de vous en assurer une meilleure,
attaquez-vous aux vraies causes de votre misère,
à l'organisation capitaliste qui fait de vous les machines des
machines ; mais ne maudissez pas cet outillage qui vous affranchira
des forces naturelles, si vous savez vous affranchir de ceux qui vous
exploitent. C'est lui qui vous donnera le bien-être... si vous savez
vous en rendre les maîtres. […]
Trop
longtemps les sociétés ont été détournées de leur but ; elles
doivent revenir au rôle pour lequel elles ont été instituées :
apporter plus de bien-être, plus de facilités au développement des
individus, plus de liberté en diminuant le temps consacré à la
lutte pour l'existence.
Pour
arriver à cette société, résultat de l'entente libre des
intéressés, nous voulons que tout ce qui est le sol, le
sous-sol, immeubles, outillage, tout ce qui est le produit de la
nature et du travail des générations passées soit enlevé à ceux
qui se les sont appropriés indûment et reviennent à la libre
disposition de ceux qui auront à les mettre en œuvre, qu'ils ne
soient plus accaparés par des individus ou des groupes les
exploitant à leur profit. L'outillage, surtout, ne devant être
ni social, compris dans le sens de propriété d'une entité sociale
quelconque, ni corporatif, nous voulons qu'il soit à la disposition
de qui en a besoin pour produire et le mettre en œuvre par lui-même,
soit en tant qu'individu, soit en groupe.
Nous
voulons, partout, l'abolition du salaire, puisque chacun aura la
libre disposition des produits de son travail ; nous voulons
également l'abolition de la monnaie ou de tout autre valeur
d'échange, la répartition des produits devant s'opérer directement
entre producteurs et consommateurs groupés par besoins et affinités
où l'échange des produits ne sera plus qu'un échange mutuel de
services.
Nous
voulons la disparition de l'État, de tout gouvernement, quel
qu'il soit, centralisé ou fédératif, dictatorial ou parlementaire,
basé sur un suffrage plus ou moins restreint, plus ou moins élargi
par une soi-disant représentation des minorités. Tous les
groupements placés au-dessus des individus ayant une tendance fatale
à les dominer, à se développer au détriment de leur liberté.
Nous
voulons la disparition des armées permanentes parce qu'elles
n'ont d'autre objectif que la défense des privilégiés, qu'elles ne
sont que des écoles de débauche, d'avilissement et d'abaissement et
une menace perpétuelle de guerre entre les peuples.
Nous
voulons que les groupes et individus se tenant en relations
constantes entre eux règlent eux-mêmes, sans suffrages ni
délégations, les questions d'intérêt général, comme ils
auront su régler, au sein de leurs groupes, les questions d'intérêts
privés. [...]
Nous
voulons l’affranchissement complet, intégral de l’individu. Nous
voulons son affranchissement économique le plus absolu.
Jean
Grave, Ce que nous voulons.
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gratuitement Résistances, le journal du refus de la misère :
Fils
d’un communard blanquiste, Jean Grave (1854-1939) travaille très
jeune comme cordonnier à Paris : fréquentant les cercles
ouvriéristes, proche d’Élisée Reclus et de Pierre Kropotkine, il
a crée Les
Temps nouveaux en
1895, qui devient la tribune pour ses idées.
En 1914, celui qui déploie depuis plus de trente ans une « propagande de brochures » fait paraître Ce que nous voulons, manifeste du projet libertaire, condensé virulent de l’idéal anarchiste : « Nous voulons l’affranchissement complet, intégral de l’individu. Nous voulons son affranchissement économique le plus absolu. »
Dans
la « société future » seront abolis le salaire, la monnaie, la
propriété individuelle, l’armée, la démocratie représentative,
l’État et ses gouvernements. Dans trois textes antérieurs, Grave
détaille sa critique du régime de la IIIe république et de la
société industrielle : le machinisme (1898), la colonisation (1912)
et préconise l’usage de la révolution (1898).