vendredi, octobre 12, 2012

Le secret des Pythagoriciens




IVe siècle après Jésus-Christ. En Égypte, la brillante philosophe Hypatie tente de préserver les connaissances accumulées depuis des siècles. Elle sera lapidée par des moines chrétiens sur l'ordre de saint Cyrille, évêque d'Alexandrie .

Les Égyptiens, qui avaient inventé la géométrie, se souciaient peu des mathématiques. Pour eux, ce n'était qu'un outil afin de compter l'écoulement des jours et de délimiter des parcelles de terrain. Les Grecs eurent une attitude différente : les nombres et la philosophie étaient inséparables, et ils prenaient les deux terriblement au sérieux. On peut dire que les Grecs se livraient à des débordements lorsqu'on parlait nombres...

Hippase de Métaponte se tenait sur le pont du bateau, se préparant à la mort. Autour de lui étaient rassemblés les membres d'un culte, une fraternité secrète qu'il avait trahie. Hippase avait révélé un secret qui pouvait être mortel pour la pensée grecque, un secret qui tendait à faire écrouler toute la philosophie que la fraternité avait échafaudée. Parce que Hippase avait révélé ce secret, le grand Pythagore lui-même l'avait condamné à la mort par noyade. Pour protéger sa philosophie des nombres, la secte allait tuer. Pourtant, aussi grave que fût le secret révélé par Hippase, il n'était rien par rapport au danger du zéro.

Le chef du groupe était Pythagore, un personnage fondamental de l'Antiquité. D'après la plupart des sources, il est né au VIe siècle avant J-C. à Samos, une île grecque au large des côtes de Turquie, célèbre pour son temple à Héra et pour son excellent vin. Même jugées à l'aune des standards des superstitieux Grecs anciens, les croyances de Pythagore étaient extravagantes. Il était fermement convaincu d'être la réincarnation de l'âme d'Euphorbe, un héros troyen. Ce qui encourageait Pythagore à penser que toutes les âmes — y compris celle des animaux — passaient dans de nouveaux corps après la mort. Pour cette raison, il était strictement végétarien. Les haricots, toutefois, étaient tabous, car ils causent des flatulences et ressemblent aux appareils génitaux.

Pythagore était sans doute un penseur New Age de l'Antiquité, mais il était aussi un narrateur exceptionnel, un chercheur renommé, et un enseignant charismatique. On dit qu'il a rédigé la Constitution destinée aux Grecs vivant en Italie. Les étudiants venaient vers lui en grand nombre et il se retrouva rapidement à la tête d'une flopée de disciples qui voulaient profiter de l'enseignement du maître.

Les Pythagoriciens vivaient conformément aux diktats de leur chef. Ils croyaient, entre autres, qu'il était préférable de faire l'amour aux femmes en hiver plutôt qu'en été ; que tout malaise était causé par une indigestion ; qu'il fallait manger de la nourriture crue, boire uniquement de l'eau et éviter de porter de la laine. Mais, au cœur de leur philosophie, le point le plus important tenait dans cette révélation : tout est nombre.

Les Grecs avaient hérité leurs nombres des géomètres égyptiens. Avec pour résultat que, dans les mathématiques grecques, il n'y avait pas de distinction nette entre les figures et les nombres. Pour les philosophes mathématiciens grecs, c'était à peu près la même chose. Aujourd'hui encore nous avons des nombres carrés et des nombres triangulaires, selon leur composition. A cette époque, démontrer un théorème mathématique se réduisait à l'exécution d'un élégant dessin ; les outils n'étaient pas la plume et le papier - c'était la règle et le compas. Et pour Pythagore le lien entre les figures et les nombres était profond et mystique. Chaque forme de nombre avait un sens caché, et les plus belles étaient sacrées.

Le symbole mystique du culte pythagoricien était naturellement le pentacle, une étoile à cinq branches. Cette simple figure ouvre sur l'infini. Blotti à l'intérieur des lignes de l'étoile, on décèle un pentacle. Si l'on relie par des traits les coins de ce pentacle, se dessine une petite étoile inversée qui a exactement les mêmes proportions que l'original. Cette étoile, à son tour, contient un pentacle encore plus petit qui contient une étoile plus petite avec son petit pentacle et ainsi de suite.

Aussi intéressant que cela soit, pour les Pythagoriciens la propriété la plus importante du pentacle ne résidait pas dans son auto-reproduction, mais était cachée dans les côtés de l'étoile. Ils contenaient ce qui était le symbole ultime de la conception pythagoricienne de l'univers : le nombre d'or.

Le nombre d'or vient d'une découverte de Pythagore peu connue. Dans les écoles modernes, les enfants entendent citer Pythagore pour son fameux théorème : le carré de l'hypoténuse d'un triangle rectangle est égal à la somme des carrés des deux autres côtés. Cela n'avait rien de nouveau. On le savait plus de mille ans avant Pythagore. Dans la Grèce antique, Pythagore devait sa célébrité à une autre découverte : la gamme musicale.

Un jour, selon la légende, Pythagore jouait sur un monocorde, une boîte sur laquelle était tendue une corde. En faisant coulisser de haut en bas une pièce placée à cheval sur la corde, une espèce de capodastre, Pythagore changeait les notes que l'instrument émettait. Il découvrit vite que les cordes ont chacune un comportement particulier, quoique prévisible. Quand vous pincez la corde sans poser de capodastre, vous obtenez une note pure, appelée fondamentale. Poser le capodastre sur le monocorde change les notes que l'on joue. Quand vous placez le capodastre exactement au milieu du monocorde, chaque moitié de la corde émet la même note : une note exactement d'une octave supérieure à la note fondamentale. En faisant glisser légèrement le capodastre pour obtenir d'un côté trois cinquièmes de la corde et de l'autre deux cinquièmes, Pythagore remarqua qu'en pinçant les deux segments, on obtenait deux notes qui créaient une quinte juste, dont on dit qu'elle est le rapport musical le plus évocateur et le plus puissant. Des proportions différentes donnaient des tonalités différentes, qui pouvaient être plaisantes ou désagréables. (Le discordant tritone, par exemple, fut baptisé « le diable dans la musique » et écarté par les musiciens médiévaux.) Étrangement, lorsque Pythagore posait le capodastre à un endroit qui ne divisait pas la corde en une fraction exacte, les notes pincées sonnaient mal. Le son était alors dissonant et parfois pire. Souvent la note hoquetait comme un ivrogne de haut en bas de la gamme.

Pour Pythagore, jouer de la musique était un acte mathématique. Comme les carrés et les triangles, les droites étaient des figures-nombres, aussi diviser une corde en deux parties relevait de la même idée qu'établir un rapport entre deux nombres. L'harmonie du monocorde était l'harmonie des mathématiques — et l'harmonie de l'univers. Pythagore en conclut que des règles gouvernent non seulement la musique mais également tout ce qui est beau. Pour les Pythagoriciens, les proportions et les ratios ordonnent la beauté musicale, la beauté physique, et la beauté mathématique. Comprendre la nature devient aussi facile que comprendre les proportions en mathématiques.

Cette philosophie — l'interchangeabilité de la musique, des mathématiques et de la nature — conduisit au premier modèle pythagoricien du système planétaire. Pythagore avança que la Terre était au centre de l'univers, et que le Soleil, la Lune, les planètes tournaient autour, dans des sphères successives. Les proportions entre les sphères étaient harmonieuses et régulières et lorsqu'elles bougeaient, elles émettaient de la musique. Les planètes les plus à l'extérieur, Jupiter et Saturne, avaient le déplacement le plus rapide et émettaient les notes les plus haut perchées. Les planètes intérieures, comme la Lune, émettaient des notes plus graves. Les planètes toutes ensemble créaient une « harmonie des sphères » et les cieux étaient un merveilleux orchestre mathématique. C'est ce que Pythagore sous-entendait lorsqu'il proclamait : « Tout est nombre. »

Pour comprendre la nature, les mathématiciens grecs pythagoriciens et leurs successeurs consacrèrent beaucoup d'études aux proportions qui en étaient les clés. Finalement ils les classèrent en dix catégories, sous le nom de : la table d'harmonie. L'un de ses résultats donnait le nombre le plus beau du monde : le nombre d'or. Pour trouver ce nombre bienheureux, il faut diviser une droite d'une certaine façon, de manière à ce que le rapport entre la petite part et la grande part soit le même qu'entre la grande part et le tout. Décrit ainsi, cela n'a rien d'extraordinaire, mais les figures auxquelles s'appliquent ces proportions sont les plus belles. Aujourd'hui encore, les artistes et les architectes savent intuitivement que les objets dont la longueur et la largeur respectent cette proportion sont les plus esthétiques, et que le nombre d'or est à la base de quantité d'œuvres d'art et d'architecture. Certains historiens et mathématiciens avancent que le Parthénon d'Athènes fut construit entièrement sur cette base. La nature elle-même semble dessiner ses plans avec le nombre d'or. Comparez les proportions entre deux anneaux successifs d'un nautile, ou celles des écailles d'un ananas allant dans le sens des aiguilles d'une montre et celles allant dans le sens opposé, et vous venez que ces proportions tendent vers le nombre d'or. [...]

Les Pythagoriciens avaient tenté d'étouffer un concept dérangeant — l'irrationnel. Cette notion apportait la première mise en cause des conceptions pythagoriciennes, et la confrérie tenta de la garder secrète. Lorsque le secret s'échappa, le culte tourna à la violence.

Le concept de l'irrationnel était dissimulé comme une bombe à retardement dans les mathématiques grecques. En raison de la dualité nombre-forme, compter revenait à peu près pour les Grecs à mesurer un segment. Ainsi la proportion entre deux nombres n'était que la comparaison entre deux segments de différentes longueurs. Toutefois, pour effectuer n'importe quelle mesure, vous avez besoin d'un étalon pour comparer la longueur des lignes. A titre d'exemple, prenez une ligne longue d'un pied. Faites une marque, disons à cinq pouces et demi d'une extrémité, divisant ainsi le pied en deux parts inégales. Les Grecs représenteraient la fraction en divisant la droite en petits espaces, d'un demi-pouce chacun. Un segment en contient 11, l'autre 13. Le rapport entre les deux segments est donc de 11 à 13.

Pour que tout dans l'univers soit gouverné par des ratios, comme le souhaitaient les Pythagoriciens, tout ce qui règle l'univers doit pouvoir être ramené à une proportion exacte et agréable. Cela doit être, littéralement, rationnel. [...]

Le carré, l'une des figures les plus simples de la géométrie, était dûment révéré par les Pythagoriciens. (Il avait quatre côtés, un pour chaque élément : le symbole de la perfection des nombres.) Mais l'irrationnel est niché dans la simplicité du carré. Si vous tracez la diagonale - une droite joignant un angle à l'angle opposé - l'irrationnel apparaît. Pour un exemple concret, prenez un carré d'un pied de côté. Tracez la diagonale. Un peuple obsédé de proportion comme les Grecs ne pouvait manquer de s'interroger : quel est le rapport entre les deux droites ?

La première chose à faire est, à nouveau, de créer un instrument de mesure banal, peut-être une minuscule règle d'un demi-pouce de long. La deuxième est d'utiliser cette règle pour diviser chaque droite en segments d'égale grandeur. Avec cette mesure d'un demi-pouce, nous pouvons diviser le côté long d'un pied en 24 segments. Que se passe-t-il lorsque nous mesurons la diagonale ? Avec la même règle, nous trouvons que la diagonale fait.., allons, presque 34 segments, mais ce n'est pas absolument exact. Le trente-quatrième segment est un tout petit peu trop court ; la règle d'un demi-pouce déborde légèrement de l'angle du carré. Faisons mieux. Divisons la droite en segments encore plus courts, en utilisant une règle de 1/6e de pouce de long. Le côté du carré est découpé en 72 segments, alors que la diagonale se révèle être de plus de 101, mais moins de 102 segments. De nouveau, la mesure ne donne pas un résultat exact. Que se passe-t-il lorsque nous essayons avec des segments vraiment plus petits, en mesurant en éléments d'un millionième de pouce ? Le côté du carré fait 12 millions d'éléments, et la diagonale atteint un nombre inférieur à 16 970 563. De nouveau notre règle ne réussit pas à mesurer exactement les deux droites. Et quelque règle que nous prenions, notre mesure ne tombera pas juste.

En fait, aussi minuscule que soit la base de mesure, aucune ne permettra de mesurer parfaitement le côté et la diagonale. La diagonale est incommensurable avec le côté. Donc, avec un étalon banal, il est impossible d'exprimer un rapport entre les deux droites. Ceci signifie que nous ne pouvons choisir des nombres a et b tels que la diagonale s'exprime comme « a/b ». La diagonale de ce carré est irrationnelle - et aujourd'hui nous savons que ce nombre est la racine carrée de deux.

Voilà bien des soucis pour la doctrine pythagoricienne ! Comment la nature pouvait-elle être gouvernée par des rapports et des proportions si quelque chose d'aussi simple qu'un carré mettait à mal ce système ? L'idée était difficile à admettre, mais elle était incontournable — une conséquence des lois mathématiques que les Pythagoriciens appréciaient tant. L'une des premières preuves mathématiques de l'histoire permit d'établir l'incommensurabilité et l'irrationalité de la diagonale du carré.

L'irrationalité éveillait des dangers pour Pythagore, car elle sapait la base de son univers. Pour ajouter l'insulte à la blessure, les Pythagoriciens découvrirent bientôt que le nombre d'or, l'ultime symbole de la beauté et de la rationalité, était un nombre irrationnel. Pour empêcher ces horribles nombres de miner la doctrine, ils furent tenus secrets. Tous les membres de la communauté pythagoricienne avaient déjà l'habitude de tenir leur langue - personne n'avait même le droit de prendre des notes - et l'incommensurabilité de la racine carrée de deux devint le secret le mieux gardé, le mieux enfoui, des Pythagoriciens.

Toutefois, les nombres irrationnels, contrairement au zéro, ne pouvaient pas être facilement ignorés par les Grecs. Les irrationnels se présentaient et se représentaient dans toutes sortes de constructions géométriques. Il était difficile de tenir l'irrationnel secret face à une population obsédée de géométrie et de fractions. Quelqu'un allait un jour dévoiler le secret. Ce fut Hippase de Métaponte, mathématicien pythagoricien. Le secret des irrationnels lui porta malheur.

Les récits rapportant la trahison et le destin d'Hippase sont flous et contradictoires. Aujourd'hui encore, les mathématiciens évoquent le sort de l'homme infortuné qui révéla au monde le secret de l'irrationnel. Certains prétendent que les Pythagoriciens le jetèrent par-dessus bord et le noyèrent, comme juste punition pour avoir miné une magnifique théorie. Des sources anciennes racontent sa mort en mer, et d'autres que la fraternité pythagoricienne le bannit et lui construisit un sépulcre afin de l'exclure du monde des humains. Mais quel que fût le destin réel d'Hippase, il fut certainement maudit par ses frères. Le secret qu'il révéla ébranla les fondations de la doctrine de Pythagore, mais en traitant l'irrationnel comme une anomalie, les Pythagoriciens pouvaient empêcher les nombres irrationnels de mettre à bas tout leur édifice. Pourtant, les Grecs finirent à regret par admettre les irrationnels au royaume des nombres. Ce ne sont pas toutefois les irrationnels qui tuèrent Pythagore, mais les haricots.

Les légendes qui courent sur la fin de Pythagore sont aussi brumeuses que celles sur le meurtre d'Hippase. Elles sont cependant unanimes à attribuer au maître une fin étrange. Certaines versions prétendent que Pythagore se laissa mourir de faim, mais les plus répandues établissent que ce sont des haricots qui lui furent fatals. Un jour sa maison fut incendiée par ses ennemis (furieux de n'avoir pas été jugés dignes d'être reçus par le maître), et tous les disciples présents dans la maison tentèrent de s'échapper et s'enfuirent de tous côtés. Les attaquants tuaient Pythagoricien après Pythagoricien. Il ne restait plus rien de la communauté. Pythagore lui-même se sauva et il aurait peut-être réussi sa fuite s'il ne s'était soudain trouvé en plein dans un champ de haricots. Il s'arrêta et déclara qu'il préférait être tué plutôt que de traverser le champ de haricots. Ses poursuivants le prirent au mot et lui tranchèrent la gorge.

Même si la communauté s'était éparpillée et si son chef était mort, l'essentiel des enseignements de Pythagore survivait. Cela formerait bientôt la base de la philosophie la plus influente sur l'histoire occidentale — la doctrine aristotélicienne qui perdurerait pendant deux millénaires.

Charles Seife, Zéro, la biographie d'une idée dangereuse.



Inventé par les Babyloniens, rejeté par les Grecs, encensé par les Hindous, le zéro est au cœur des polémiques, des luttes, des spéculations des mathématiciens, des physiciens et des théologiens de toutes les époques. Le zéro est puissant parce qu'il triomphe des autres chiffres, rend folles les divisions et est le frère jumeau de l'infini. Les plus vertigineuses questions de la science et de la religion se posent autour du rien et de l'éternité, du vide et de l'infinité. Des débats passionnés et souvent violents autour du zéro ébranlèrent les fondations de la philosophie, de la science, de la religion.

De Pythagore à Aristote, qui renièrent son existence, des chrétiens qui le craignirent jusqu'aux musulmans qui le réintroduisirent en Occident, Charles Seife raconte avec clarté l'histoire extraordinairement mouvementée de ce chiffre, de ce concept qui est aujourd'hui une des clefs de la physique quantique, de la compréhension des trous noirs et de la naissance de l'Univers.

Chacun est un éveillé qui s’ignore

Le buffle représente notre nature propre, la nature de l’éveil,  la nature de Buddha, l’Ainsité (et la vacuité) Le Chemin de l’Eveil Le dres...