« Il faut qu'il y ait une
bûche sur la table le soir de Noël. Une messe à minuit, même si
l'on n'est pas croyant. Des souliers au pied de l'arbre même si l'on
n'a pas d'enfant. Des cadeaux, même un seul bonbon si l'on n'a pas
d'argent. »
Jean-Pierre Coffe
Trop souvent, il serait préférable de
les avoir sur le pied, plutôt que sur l'estomac. Je parle évidemment
du gâteau, même si la bûche de Noël en question, toute lourde et
indigeste qu'elle soit, surtout après un repas particulièrement
calorique, est la transposition pâtissière de la bûche de bois qui
flambait avec tout un cérémonial dans les âtres de nos ancêtres,
la nuit de Noël.
Qu'on l'appelle « Sonco » en
Auvergne, « Queuche » en Lorraine, « Tronche » ou « Trugho » en
Gascogne, ou encore « Cosse de Nau » dans le Berry, elle est
toujours énorme : plusieurs hommes sont nécessaires pour la mettre
en place dans la cheminée, au moment où l'on sonne l'élévation de
la messe de Noël.
Elle doit provenir d'un chêne vierge
de tout élagage, abattu à minuit, quelques jours avant Noël. On la
décore de lierre et on l'asperge de vin et d'eau bénite, avant que
le maître de maison ne l'enflamme. En Provence, on choisit plutôt
le tronc d'un arbre fruitier, mais le cérémonial est comparable.
La bûche doit flamber au moins pendant
toute la nuit de Noël, pour « réchauffer l'enfant Jésus ». Au
mieux, elle dure trois jours. Les femmes déposent de petits cadeaux
dessus ou dessous les extrémités de la bûche ; les enfants qui
n'auront pas été autorisés à assister à la messe de minuit les
découvriront au matin. On en conserve les cendres d'une année à
l'autre, sous le lit du maître de maison : chaque fois que le
tonnerre se manifeste, une poignée de ces cendres jetées dans la
cheminée est censée éloigner la foudre de la maison.
Ces troncs d'arbre qui flambent ont
pour mission d'éloigner les mauvais esprits, car Noël correspond
depuis la plus haute Antiquité à la fête des Morts. De nombreuses
croyances dans nos campagnes sont attachées à cette nuit de Noël.
Les animaux se mettraient à parler, les menhirs bretons s'en iraient
à la mer, etc.
Jusqu'à la guerre de 1914-1918, avant
que ne se répande le chauffage à vapeur, fourni par une chaudière
à bois ou à charbon, ou électrique, la tradition des bûches était
bien vivante. A Noël, on allumait de grands bûchers sur les places
publiques, des sortes de feux de joie autour desquels on dansait et
on chantait. Les brandons du foyer servaient de flambeaux : ils
éclairaient l'église, ou encore le chemin pour aller et revenir de
la messe, en procession. Ces torches servaient aussi à allumer la
bûche de Noël dans la cheminée.
De même que les cheminées, les bûches
ont disparu de nos appartements. Il semble évident que la bûche
pâtissière a remplacé avantageusement (surtout pour le
tiroir-caisse desdits pâtissiers) la bûche en bois de nos
traditions. Elle les prolonge, comme la flamme accompagnait les «
soupers gras » de la nuit de Noël.
Les pâtisseries de Noël ont toujours
existé, mais pas sous cette forme. Il s'agissait de brioches, au
centre desquelles brûlait une sorte de bougie, ou de « corna-bœufs
» — hommage au bœuf de la crèche —, ancêtres de nos
croissants par la forme, et destinées à l'origine aux mendiants. En
principe, les gâteaux traditionnels de Noël devaient être
nourrissants et volumineux, pour restaurer de nombreux convives.
Les bûches de Noël actuelles se sont
bien inspirées de ces gâteaux traditionnels, nutritifs et
substantiels. Il en existe plusieurs catégories. Peu sont
satisfaisantes, surtout sur le plan de la légèreté. Si l'on
souhaite malgré tout arroser sa nuit de Noël de bicarbonate de
soude, autant choisir la bûche d'un bon pâtissier, celui qui aura
utilisé des ingrédients de toute première qualité.
Pour faire une bûche, il faut d'abord
une génoise en feuille, ou mieux un biscuit plat, qu'on peut
agrémenter avec de la poudre de noisette ou d'amande. La génoise
est une pâte à cuire à base de sucre, de farine, de beurre et
d'œufs. En revanche, le biscuit se dispense de beurre.
Avant d'étaler une ganache ou une
crème au beurre sur la génoise, on l'imbibe, au choix avec un
sirop, ou avec de l'alcool. La ganache est une crème fraîche
bouillie, dans laquelle on fait fondre du chocolat. Mieux vaut donc
que le chocolat soit bon : la qualité du chocolat n'améliorera
certes pas la légèreté de la préparation, mais au moins le goût
en sera incomparable.
Une fois la ganache étendue, on roule
le biscuit, puis on décore le dessus avec le reste de la ganache,
agrémenté de sujets en meringue ou en chocolat. Si l'idée vous
venait de la faire vous-même, sachez que les ongles tachés de
chocolat se nettoient très bien avec du jus de citron.
Certains pâtissiers ou boulangers peu
scrupuleux congèlent leurs fabrications, et se gardent bien de
prévenir leur clientèle, bien qu'il y soient contraints par la
législation. Les « bons » n'usent pas de cette pratique.
On trouve généralement ce qu'on
appelle pudiquement la « bûche pâtissière » dans le rayon «
frais » des grandes surfaces, mais certains boulangers ne rechignent
pas à la proposer, parfois même sous le label « maison ». Elle
est industrielle et fraîche, c'est-à-dire non congelée.
Elle reprend à peu de chose près la
recette artisanale, mais elle est fabriquée en grande quantité, ce
qui réduit son coût d'environ 30%. Les matières grasses sont
remplacées par des graisses végétales, pour faire baisser les
prix. Elles sont fabriquées sous trois formats : 25, 35 et 50
centimètres de long. On les parfume au café, au chocolat, à la
noisette, etc. Le modèle dit « géant », plus long, plus grand,
plus gros, a ses adeptes.
Ces industriels, qui préféreraient
qu'on les appelle des « semi-artisans », ont inventé une variante
bien pratique de la bûche traditionnelle, la « bavaroise ». La
génoise est garnie d'une mousse à 33% de matières grasses. Elle
serait plus légère, et sa congélation plus aisée : sa fabrication
peut donc s'effectuer un mois et demi à l'avance.
Les bûches industrielles longue
conservation relèvent du domaine des biscottiers-biscuitiers. Ce
sont des produits bas de gamme, destinés essentiellement aux grandes
surfaces. Ils utilisent la panoplie habituelle des conservateurs, et
les crèmes sont pasteurisées. L'emballage fait tout : le «
packaging » attire plus que le gâteau.
L'imagination n'ayant pas de limites en
la matière, on diversifie le produit. Mais si les parfums varient,
la forme reste la même. Les centrales d'achat des grandes surfaces
préparent la « collection » de bûches dès juillet-août. Le
moins que l'on puisse dire, c'est que les fabrications commencent tôt
!
Ces centrales d'achat ont encore mis au
point une bûche « tranchée », comme ils disent, c'est-à-dire une
superposition de biscuit et de crème, à laquelle on donne la forme
d'une bûche. La « tranchée » représente 54% d'un marché évalué
à 5 millions d'unités, et qui augmente de 3% par an. Les amateurs
de ce type de produits les préfèrent parfumés au chocolat, pour
presque la moitié d'entre eux : ils s'en repaissent au point
d'avaler entre huit à dix parts de bûche par foyer ! (Une famille
type compte trois à quatre personnes par foyer.)
La population reproche régulièrement
à la bûche de Noël sa lourdeur, surtout à la fin d'un repas déjà
copieux. Mais malgré un déclin sensible depuis un an ou deux, la
majorité des Français ne renoncent pas à la bûche. La tradition
l'emporte toujours sur la gastronomie. La bûche de Noël est
typiquement française, et entend le rester !
A l'initiative de Gervais — le roi de
l'entracte —, apparaît sur le marché un outsider : la bûche
glacée. A l'inverse de ce qui se produit habituellement, l'industrie
a été rapidement imitée par tous les
glaciers-chocolatiers-pâtissiers, petits industriels ou artisans.
Dans les années 70, la glace
industrielle était une production de masse. Depuis, de gros efforts
dans la recherche ont été accomplis pour une plus grande qualité,
qui n'est souvent pas loin d'égaler l'artisanat. On a mis au point
le « battage régulier » de la crème glacée, un mélange de
lait, de sucres, de beurre ou de crème fraîche, et d'arômes. Ce
système permet d'y introduire de l'air, et d'obtenir de fins
cristaux. On appelle cette opération le « foisonnement ». Il existe aussi des normes et des contrôles assez stricts sur les
quantités minimales d'ingrédients et de foisonnement.
Le marché de la bûche glacée se
développe, au rythme de 10 à 20% par an, au point qu'il se consomme
maintenant plus de glace en hiver qu'en été. Il y a quelques
années, l'écart entre l'hiver et l'été était de l à 8. […]
On assiste à une guerre sans merci
entre les tenants de la tradition et ceux de la bûche glacée. Qui
gagnera ?
Peu importe. Il faut qu'il y ait une
bûche sur la table le soir de Noël. Une messe à minuit, même si
l'on n'est pas croyant. Des souliers au pied de l'arbre même si l'on
n'a pas d'enfant. Des cadeaux, même un seul bonbon si l'on n'a pas
d'argent.
Soyons vigilants avec les traditions,
ce sont les racines de notre culture, de notre identité. Les laisser
disparaître, même une seule, c'est un peu perdre son âme.
Jean-Pierre Coffe, Le vrai vivre.
Recevoir vos amis à
petit prix
Pourquoi
ce livre ? Parce que la crise qui perdure ne doit pas nous priver du
plaisir familial autant qu'amical de nous retrouver. Je veux
démontrer qu'il est toujours possible de se réunir autour d'une
table pour partager simplement un bon repas accompagné d'un vin de
joie et sans se ruiner. J'ai donc choisi une série de recettes à
partir de plats conviviaux dont certains peuvent se préparer à
l'avance afin que la maîtresse ou le maître de maison soit à table
avec ses invités. Ces propositions sont évidemment toutes liées
aux saisons et surtout faciles à réaliser. Chaque recette est
accompagnée d'un prix, le plus juste possible. Pour le calculer,
nous avons acheté le même ingrédient dans trois types de magasin :
un commerçant indépendant de centre-ville, une grande surface et un
"discounter". Nous avons ensuite établi un prix moyen par
produit. J'ai aussi demandé à Laure Gasparotto de m'aider à
sélectionner des vins français de vignerons sérieux, capables de
nous offrir du plaisir à prix modeste. En espérant une fois encore
vous aider dans votre quête du bon vivre au prix le plus juste, je
vous souhaite de retrouver le chemin de ces tables joyeuses, simples
et généreuses.
Jean-Pierre
Coffe