jeudi, janvier 10, 2013

Demain, le monde ressemblera à Rio Grande City





Plantée sur la Highway 83, Rio Grande City est l'une des dernières villes du Texas avant d'arriver au Mexique. Il déplaira sûrement à l'office de tourisme de le lire, mais il n'y a aucune raison de s'arrêter ici. Rio Grande est le chef-lieu du comté de Starr, l'un des plus pauvres des États-Unis. La route principale ressemble à un long fil de béton rongé par la décrépitude depuis fort longtemps. La poussière est omniprésente. Elle semble même incrustée dans le paysage depuis et pour toujours.

Il existe deux styles de maisons à Rio Grande City. Celles à l'abandon et les autres où, réfugiés derrières les barreaux qui protègent toutes les fenêtres, les 11 923 habitants vivent dans la crainte. La peur du soleil qui écrase tout neuf mois par an. La peur des voisins, des inconnus, des autres et plus particulièrement des gangs de la mafia mexicaine qui ont transformé l'endroit en lieu de passage. Et puis, la peur des troupes du Homeland Security aussi, en charge de vérifier les visas et de déporter les immigrés clandestins. À Rio Grande City, 95,89 % de la population est d'origine mexicaine. Les sans-papiers en représentent la majorité. Certains ont même peur de leurs enfants. Nés sur le sol américain, ils sont pourvus de la nationalité qui est refusée à leurs parents. Et ainsi, d'après les services sociaux de la ville, dès l'adolescence, nombre d'entre eux terrorisent la partie « illégale » de la famille. Un chantage au coup de téléphone de dénonciation pour une seule chose : manger.

McDonald's, Dairy Queen, Burger King, Whataburger, Wendy's, Pizza Hut, Little Ceasars Pizza, Subways, Taco Bell, Taco Bueno, Taco Palenque, Mexican Buffet, Chinese Buffet... aucune enseigne ne manque à l'appel. Et toutes proposent, en lettres géantes, des promotions difficiles à ignorer quand on vit sous le seuil de la pauvreté. Ici, le Coke géant est offert pour l'achat d'un menu. Là, contre moins de 5 dollars, le client est invité à manger autant qu'il le souhaite. Ailleurs, tous les matins, le petit déjeuner est doublé gratuitement.

À Rio Grande City, paradis du HFCS et du trans fat, tout est commercialement envisageable, envisagé et mis en pratique pour ponctionner les quelques dollars versés par l'aide locale.

Cette orgie alimentaire s'accompagne d'une terrifiante réalité. À Rio Grande City, la moitié de la population adulte souffre de diabètes de type 2.

Mais le pire, c'est pour demain.

À l'école maternelle, 24 % des enfants sont déjà en surcharge pondérale ou obèses. S'ils ne sont pas dès maintenant pris en charge, rien ni personne ne parviendra à les sortir du cercle infernal. Celui qui, à l'âge adulte, devenus diabétiques et amputés, leur fera attendre la crise cardiaque... comme une libération.

Or, dans l'Amérique d'aujourd'hui, personne ou presque ne s'intéresse à Rio Grande City. Ou à La Casita, Roma, Laredo, El Cobares, ces villes du sud du Texas qui subissent le même cauchemar.

Or, à Rio Grande City, 50 % des garçons âgés de dix ans sont trop gros. Beaucoup trop gros.

Peggy Visio, une nutritionniste du Texas Health Science Center de San Antonio, tente depuis des années de faire bouger les choses. Adepte de la téléconférence, elle a réussi à trouver un don privé destiné à financer un service reliant son bureau de San Antonio à l'infirmerie de l'école de la ville. Et là, par écran interposé, elle donne des conseils de nutrition aux familles. Sachant pertinemment qu'elle ne pourra empêcher le pèlerinage quotidien au fast-food, elle tente d'orienter les ados vers les produits qui feront le moins de dégâts.

Lors d'un séjour récent à Rio Grande City, Visio et son équipe ont examiné les 2 931 enfants de la ville afin de quantifier ceux qui présentaient des risques élevés de diabète de type 2. Sur le papier, le pire de leurs scénarios prévoyait environ 600 cas. Mais à Rio Grande City, où deux cheeseburgers géants, une frite maxi et un Coca-Cola gargantuesque sont vendus à moins de 2 dollars, ils ont découvert 1 172 enfants en perdition. 1 172 futurs diabétiques.

Alors, Peggy a convaincu l'école de l'urgence. Après tout, chaque jour, les enfants y prennent leur petit déjeuner et leur déjeuner. Des collations largement arrosées des sodas en vente soit à la cafétéria, soit via les distributeurs, dans les couloirs de l'établissement.

Grâce à Visio et aux responsables de l'école, ces appareils de tentation ont été déplacés... dans la rue. Le personnel des cuisines a été formé pour offrir une nourriture moins grasse et moins sucrée. Les fruits frais ont commencé à apparaître sur les tables de la cantine et l'eau à repris une place qu'elle n'aurait jamais dû abandonner.

Mais voilà, nous étions à Rio Grande City. Et les étudiants ont expérimenté la démocratie directe. Ces citoyens en herbe, obèses ou en passe de le devenir, se sont mis en grève devant de telles décisions salutaires à leur santé. Soutenus par certains parents et professeurs, ils ont affiché leur colère à l'entrée de la cafétéria avec un mot d'ordre clair « Non au régime ! Nous voulons manger des trucs cool ! »

Rio Grande City est un laboratoire. Un douloureux voyage vers le futur aussi. Ce qui s'y passe n'est ni une exception ni une aberration, mais un amer avant-goût de l'avenir. L'obésité, le diabète, l'attitude de ces étudiants sont ni plus ni moins le résultat des trente dernières années de dérive et de matraquage alimentaire. Trois décennies où l'industrie agroalimentaire a pris le contrôle de nos assiettes, brouillant les repères, changeant la nature même de la nourriture.

Pendant des siècles, manger a été une nécessité et un moment privilégié. Une excuse pour l'échange et la communication. Et, bien souvent, un moment de plaisir. Désormais, un plat, pour s'imposer, doit être pratique, s'engloutir seul et rapidement. Et, surtout, être soutenu par une campagne publicitaire.

Demain, le monde ressemblera à Rio Grande City et à ces élèves prêts à se battre pour continuer à se goinfrer. Déjà, dans certaines écoles primaires, les enfants apprennent à compter en additionnant les M&M's. Dans d'autres, ils refusent de manger les fruits frais sous prétexte qu'il est beaucoup plus tendance d'avaler un dessert coloré.

L'industrie agroalimentaire n'est pas seulement coupable d'avoir travesti la nature de notre nourriture. D'y avoir introduit le sirop de fructose-glucose, les additifs, les conservateurs, les résidus chimiques et les acides gras trans. Non, dans cette course au profit, certaines sociétés ont tout simplement tenté de s'emparer de l'âme d'une génération.

Ces mots sont à la hauteur de ma colère. Pas uniquement celle de l'auteur, celle d'un père aussi. Qui, chaque jour, tente de contrebalancer un pouvoir qui nous dépasse. La responsabilité individuelle et celle des parents sont deux mensonges inventés par des spécialistes de la manipulation. Ou du marketing, c'est la même chose.

Les preuves ? Elles sont multiples. Petit voyage dans le temps. Dans les années 1930, Coca-Cola comparait ses atouts nutritionnels aux vertus vitaminées des fruits. Dans les années 1950, 7 Up expliquait comment, mélangé au lait du nourrisson, il favorisait la prise du biberon. À l'époque, à en croire les réclames, certains vins équivalaient même à un repas complet. Et puis, Camel était « la cigarette préférée des médecins ». Aujourd'hui les mêmes tentent de nous convaincre de l'importance de leurs contributions à notre bien-être, de leur sincérité dans la lutte contre le poids, de leur conscience humaniste ou de la non-dangerosité des OGM.

Demain, le monde ressemblera à Rio Grande City et à ses promotions permanentes sur la paire de hamburgers. Déjà, la crise d'obésité est devenue pandémie. Déjà les lagons des porcheries, le HFCS et le trans fat sont partis à la conquête de l'Europe.

L'Europe... Ou comment une idée juste, sensible, enthousiasmante et pacifiste, a perdu elle aussi son âme. L'Europe est devenue la nouvelle cour où manœuvrent les spécialistes du lobbying industriel. Où se pratique un sport dont les règles ont été inventées à Washington.

Et c'est ainsi que, le 9 novembre 2006, Markos Kyprianou, commissaire européen et membre de la Commission européenne chargé de la santé et de la protection des consommateurs, a publiquement félicité Coca-Cola et McDonald's pour leur engagement dans la lutte contre l'obésité.

Coke, McDo et les autres sont pourtant les fabricants de cigarettes d'aujourd'hui. Leur stratégie de communication est identique. La crainte majeure de ces géants de l'agroalimentaire, c'est que les gouvernements, sous la pression populaire, légifèrent. Car la contrainte leur fait peur. Aussi, pour éviter cela, ils jouent la diversion, la carte du volontarisme.

Dans le même esprit, Marlboro et Philip Morris financent aux États-Unis des campagnes publicitaires incitant les gens à ne plus fumer. Or, le budget de ces « ravalements de façade » n'atteint même pas 1 % des bénéfices engendrés par la vente de leurs produits.

McDo, Coke et les autres savent qu'ils sont les premiers responsables de la pandémie d'obésité. Alors, ils donnent le change, martèlent le message de la responsabilité individuelle et l'idée que toute nourriture a sa place dans un régime équilibré.

Lorsque je vois la campagne internationale de Coca-Cola annonçant sa décision de lutter contre l'obésité, je ne peux m'empêcher d'être cynique et de penser : c'est l'hôpital qui se moque de la charité.

L'engagement à ne pas faire de publicité à destination des moins de douze ans ? Du vent. Rien de neuf. Cela a toujours été le cas. Non pas parce que la Compagnie est « morale » mais parce qu'elle est très intelligente. Elle préfère sponsoriser l'équipe de France de football, lancer un site Internet avec NRJ, imaginer un casting inspiré de « Star Academy » dans tout le pays, pour capter l'attention de ces classes d'âges. Coca-Cola étant, en France, la marque préférée des jeunes, elle n'a pas besoin de s'adresser directement à eux puisqu'elle a réussi à devenir une figure incontournable de leur univers.

Les boissons sans sucre, les salades de McDo ? Tout cela est marginal. Le cœur d'affaire de McDonald's, ce sont les heavy users, les gros consommateurs de Big Mac et de frites. Le produit vedette de la Compagnie ? Coca-Cola Classic et son sucre.

Demain, le monde ressemblera à Rio Grande City et à son odeur permanente de friture. [...]

Avant d'être consommateur, nous sommes citoyens. Nos trois repas quotidiens sont autant d'occasions de voter. Voter pour ou contre un monde toxique. Voter en faveur d'un modèle viable pour l'environnement, notre santé, et moralement acceptable. Notre pouvoir est avant tout celui de l'achat. Plus qu'un bulletin dans une urne, la consommation d'un produit est devenue un geste politique. Le seul moment où le terme de «démocratie directe » a un sens concret.

Mais voilà, si mon pouvoir d'achat m'offre le privilège d'assurer aux miens une assiette sans danger, ce choix est réservé à une minorité. Car manger bien est désormais une source d'inégalité. Les pauvres sont aujourd'hui massivement représentés dans les rangs de plus en plus peuplés des obèses. Comme à Rio Grande City, leur pouvoir d'achat les cantonne quasi exclusivement à la nourriture industrielle. En confiant notre alimentation aux géants de l'agroalimentaire, nous leur avons laissé le droit d'installer des régimes d'apartheid nouveaux.

Et c'est pour cela que, même s'il est capital, un engagement individuel ne sera jamais suffisant. Pour éviter que demain, notre monde ressemble à Rio Grande City, il faut que la classe politique se souvienne que, parmi ses devoirs, se trouve l'obligation de protéger la société des risques pathogènes. La malbouffe tue. Il faut donc une intervention gouvernementale pour contraindre certaines compagnies à cesser de nous empoisonner.

William Reymond


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