Découvrir,
au hasard d’une recherche sur internet, les travaux de Marc Bosche
vous ouvre les portes d’un univers insoupçonné. Né en 1959, cet
anthropologue spécialiste de l’interculturalité, ancien
responsable du département sciences humaines de l’Essec a
construit une œuvre considérable, dont la plus grande partie est
consacrée au bouddhisme tibétain. En quatre essais et un roman, il
a su dresser un portrait sans concessions de ce courant religieux,
qu’il connaît pour en avoir longtemps fait partie. Loin de la
légende dorée qui constitue, dans notre pays, la version officielle
du tantrisme himalayen, Marc Bosche nous initie à des réalités
complexes, troublantes et parfois scandaleuses. Témoin engagé de la
pénétration du bouddhisme en Occident, il livre ses souvenirs, ses
réflexions et le fruit de ses recherches sous la forme d’ouvrages
qu’il édite lui-même et dont la version numérique peut être
obtenue gratuitement sur son site.
À
lire ces travaux documentés, argumentés, nuancés, dépourvus de
tout ressentiment, l’on s’étonne de ne jamais les avoir
rencontrés dans les rayons d’un libraire, à côté des apologies
de Matthieu Ricard ou des livres à succès du Dalaï-lama. Il est
vrai que la spiritualité s’accommode mal d’une démarche
critique, et que la position intermédiaire entre la dévotion et le
scepticisme athée est difficile à tenir ! À
la crédulité et au scepticisme, Marc Bosche préfère la
description des faits et leur analyse sociologique. Bien qu’il se
soit totalement détourné du bouddhisme vécu et théorique – il
voit désormais la vie, non comme un synonyme de la souffrance, mais
comme une opportunité unique –, il respecte ceux qui y sont restés
fidèles, et reconnaît de la valeur à certaines des expériences
qu’il a eu la chance de vivre. Son désenchantement n’est jamais
ni violent, ni amer.
Que
reste-t-il quand on a perdu ses plus belles illusions ? Sur quoi
peut-on fonder son existence quand on a vu s’effondrer l’édifice
majestueux d’une religion ? Cette question n’est pas réservée
aux moines bouddhistes défroqués ; elle concerne chacun d’entre
nous, Occidentaux déchristianisés vivant dans le monde de la
technoscience. L’expérience de Marc Bosche nous intéresse, parce
qu’elle nous montre comment il est possible de se libérer d’un
système métaphysique sans succomber aux sirènes du nihilisme. En
outre, le point de vue d’un ex-bouddhiste occidental offre sur les
questions philosophiques du monde contemporain un point de vue
nouveau, permettant d’échapper aux oppositions trop manichéennes
qui nous sont souvent imposées.
Dans
son ouvrage le plus récent, « Intelligent design ? Au cœur
des champs de superconscience », il tente ainsi d’élaborer
des idées qui ne se réduisent ni à une traduction du dogme
chrétien dans des termes scientifiques, ni à une énième version
du matérialisme. Voici comment il présente son travail :
«
Aux États-Unis l’Intelligent Design a fait son entrée dans les
manuels scolaires, au grand dam des tenants de la laïcité. Car il
est aussi une des ripostes de Chrétiens aux théories
évolutionnistes. Selon cette vision la nature, l’homme et
l’évolution des espèces n’obéiraient pas (ou pas seulement) à
une logique de sélection naturelle, de hasard et de nécessité,
mais à un « dess[e]in » intelligent.
«
Marc Bosche explore les implications de cette vision du progrès et
de l’homme, en montre les limites et l’expose au risque de
l’anthropologie interculturelle. Dans le même élan, il se livre à
ce qu’il qualifie lui-même de folle théorie. Et si la réalité
était plus surprenante encore ? Si la réalité dépassait la
science et la fiction ? Et si les religions étaient des contes
simples dissimulant, cachée
derrière, une complexité plus familière de nos technosciences ? De
questions en hypothèses, on découvrira au fil des pages que
l’Intelligent Design recèle des significations plus profondes que
la simple vision religieuse. Avant de souhaiter concilier ainsi les
nouvelles technologies et la sagesse, la cybernétique des systèmes
et la méditation, l’auteur a lui-même vécu deux expériences de
mort imminente (NDE) qu’il décrit de manière vivante. Unifier
l’imagination et l’observation, tel est le pari que propose
l’auteur du Voyage de la 5ème Saison et de Nirvana avec cet essai
spéculatif. »
De
l’aveu même de ce « déçu du bouddhisme », son essai présente
une « folle théorie » : celle de champs de conscience, situés
hors du monde matériel, mais capables d’influencer l’évolution
humaine. Chacun jugera s’il adhère ou non à cette hypothèse,
dépourvue de justification scientifique, mais compatible avec un
grand nombre d’expériences spirituelles. De telles spéculations
n’exigent ni l’adhésion religieuse du lecteur, ni la validation
d’un protocole expérimental. Elles constituent la manifestation de
la liberté de penser, contre les monopoles respectifs des religieux
et des scientifiques. Écoutons encore Marc Bosche :
«
Les religions ont aujourd’hui encore le monopole du discours sur
l’au-delà, la métaphysique, le sacré et le lien avec le sacré.
«
Ce privilège n’a pas été ôté par les sciences, plus proches de
l’agnosticisme et de l’athéisme.
«
Car en niant les images simples du religieux, en en révélant
l’étroitesse et les contes, la science contemporaine et
rationnelle finit par préciser les limites mais, ce faisant, par
désigner le fait religieux comme seul habilité aux questions
métaphysiques.
«
En évacuant le frisson du sacré la science a également coupé la
branche sur laquelle elle était assise, et qui était aussi sans
doute sa question, sinon la question la plus intéressante : celle de
l’aventure de la conscience dans l’univers.
«
De l’autre côté, celui des Églises et de leurs traditions
révélées, rien de neuf à en attendre : des dogmes, commentés
encore et encore. Ni satisfaits de la science, ni des grandes
religions, les jeunes gens sont ainsi tentés par les groupes,
communautés et sectes qui leur proposent des explications à leurs
propres expériences spirituelles. Certaines de ces organisations
offrent même les conditions favorables à l’occurrence de tels
épisodes intérieurs.
«
La suite, on la connaît : les adeptes sont invités à payer le prix
fort de la dépendance, pour les miettes qu’on leur a données et à
sacrifier leur vie « corps, parole et esprit » pour reprendre la
formule inlassablement répétée par exemple dans une école du
bouddhisme d’origine himalayenne. »
L’intérêt
de telles méditations (au sens chrétien et rousseauiste) est de
rétablir un questionnement sur le sens hors de tout dogme et de tout
réductionnisme. Après avoir disséqué le néo-bouddhisme avec une
pertinence qu’aucun athée n’aura jamais, il a refusé de jeter
le bébé métaphysique avec l’eau du bain religieux. Sa lecture
peut être conseillée aux agnostiques comme aux croyants sans
étiquette. Inclassable, il parcourt désormais son propre chemin,
qui n’est plus celui d’un bouddhiste, mais celui d’un homme.
Ajoutons
que Marc Bosche est également l’auteur de plusieurs volumes de
poésie, d’anthropologie, de récits de voyages et de fiction.
Musicien, il offre ses œuvres en libre téléchargement sur la
plate-forme, Jamendo. Enfin, il anime edutechs, un blog consacré aux
nouvelles technologies de la lecture et de l’apprentissage.
Guy
Morant, le 19 septembre 2007.
(Marc
Bosche décédera quelques mois plus tard, en 2008)
Intelligent
design ?
Au
cœur des champs de superconscience
Sommaire
- Avant-propos : une clef en forme de point d’interrogation
- I La rumeur des distances traversées
- II Quand d’un passé ancien rien ne subsiste
- III Plus frêles mais plus vivaces
- IV Les pays blanc des NDE
- V « Dess[e]in Intelligent » ?
- VI Les êtres singuliers d’un monde pluriel
- VII Noir sur blanc
- VIII Syntoniser le scanner
- IX A l’ombre des cyborgs en fleurs
- X L’anthropologie au risque du paradigme des technosciences
- XI Ghost in the machine
- XII Réalité augmentée
- XIII Mémoire cénesthésique
- XIV Les passagers rêveurs
- Postface : « vous êtes arrivé »
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