mardi, janvier 29, 2013

Marc Bosche et le « dess[e]in » intelligent





Découvrir, au hasard d’une recherche sur internet, les travaux de Marc Bosche vous ouvre les portes d’un univers insoupçonné. Né en 1959, cet anthropologue spécialiste de l’interculturalité, ancien responsable du département sciences humaines de l’Essec a construit une œuvre considérable, dont la plus grande partie est consacrée au bouddhisme tibétain. En quatre essais et un roman, il a su dresser un portrait sans concessions de ce courant religieux, qu’il connaît pour en avoir longtemps fait partie. Loin de la légende dorée qui constitue, dans notre pays, la version officielle du tantrisme himalayen, Marc Bosche nous initie à des réalités complexes, troublantes et parfois scandaleuses. Témoin engagé de la pénétration du bouddhisme en Occident, il livre ses souvenirs, ses réflexions et le fruit de ses recherches sous la forme d’ouvrages qu’il édite lui-même et dont la version numérique peut être obtenue gratuitement sur son site.

À lire ces travaux documentés, argumentés, nuancés, dépourvus de tout ressentiment, l’on s’étonne de ne jamais les avoir rencontrés dans les rayons d’un libraire, à côté des apologies de Matthieu Ricard ou des livres à succès du Dalaï-lama. Il est vrai que la spiritualité s’accommode mal d’une démarche critique, et que la position intermédiaire entre la dévotion et le scepticisme athée est difficile à tenir ! À la crédulité et au scepticisme, Marc Bosche préfère la description des faits et leur analyse sociologique. Bien qu’il se soit totalement détourné du bouddhisme vécu et théorique – il voit désormais la vie, non comme un synonyme de la souffrance, mais comme une opportunité unique –, il respecte ceux qui y sont restés fidèles, et reconnaît de la valeur à certaines des expériences qu’il a eu la chance de vivre. Son désenchantement n’est jamais ni violent, ni amer.

Que reste-t-il quand on a perdu ses plus belles illusions ? Sur quoi peut-on fonder son existence quand on a vu s’effondrer l’édifice majestueux d’une religion ? Cette question n’est pas réservée aux moines bouddhistes défroqués ; elle concerne chacun d’entre nous, Occidentaux déchristianisés vivant dans le monde de la technoscience. L’expérience de Marc Bosche nous intéresse, parce qu’elle nous montre comment il est possible de se libérer d’un système métaphysique sans succomber aux sirènes du nihilisme. En outre, le point de vue d’un ex-bouddhiste occidental offre sur les questions philosophiques du monde contemporain un point de vue nouveau, permettant d’échapper aux oppositions trop manichéennes qui nous sont souvent imposées.

Dans son ouvrage le plus récent, « Intelligent design ? Au cœur des champs de superconscience », il tente ainsi d’élaborer des idées qui ne se réduisent ni à une traduction du dogme chrétien dans des termes scientifiques, ni à une énième version du matérialisme. Voici comment il présente son travail :

« Aux États-Unis l’Intelligent Design a fait son entrée dans les manuels scolaires, au grand dam des tenants de la laïcité. Car il est aussi une des ripostes de Chrétiens aux théories évolutionnistes. Selon cette vision la nature, l’homme et l’évolution des espèces n’obéiraient pas (ou pas seulement) à une logique de sélection naturelle, de hasard et de nécessité, mais à un « dess[e]in » intelligent.

« Marc Bosche explore les implications de cette vision du progrès et de l’homme, en montre les limites et l’expose au risque de l’anthropologie interculturelle. Dans le même élan, il se livre à ce qu’il qualifie lui-même de folle théorie. Et si la réalité était plus surprenante encore ? Si la réalité dépassait la science et la fiction ? Et si les religions étaient des contes simples dissimulant, cachée derrière, une complexité plus familière de nos technosciences ? De questions en hypothèses, on découvrira au fil des pages que l’Intelligent Design recèle des significations plus profondes que la simple vision religieuse. Avant de souhaiter concilier ainsi les nouvelles technologies et la sagesse, la cybernétique des systèmes et la méditation, l’auteur a lui-même vécu deux expériences de mort imminente (NDE) qu’il décrit de manière vivante. Unifier l’imagination et l’observation, tel est le pari que propose l’auteur du Voyage de la 5ème Saison et de Nirvana avec cet essai spéculatif. »

De l’aveu même de ce « déçu du bouddhisme », son essai présente une « folle théorie » : celle de champs de conscience, situés hors du monde matériel, mais capables d’influencer l’évolution humaine. Chacun jugera s’il adhère ou non à cette hypothèse, dépourvue de justification scientifique, mais compatible avec un grand nombre d’expériences spirituelles. De telles spéculations n’exigent ni l’adhésion religieuse du lecteur, ni la validation d’un protocole expérimental. Elles constituent la manifestation de la liberté de penser, contre les monopoles respectifs des religieux et des scientifiques. Écoutons encore Marc Bosche :

« Les religions ont aujourd’hui encore le monopole du discours sur l’au-delà, la métaphysique, le sacré et le lien avec le sacré.

« Ce privilège n’a pas été ôté par les sciences, plus proches de l’agnosticisme et de l’athéisme.

« Car en niant les images simples du religieux, en en révélant l’étroitesse et les contes, la science contemporaine et rationnelle finit par préciser les limites mais, ce faisant, par désigner le fait religieux comme seul habilité aux questions métaphysiques.

« En évacuant le frisson du sacré la science a également coupé la branche sur laquelle elle était assise, et qui était aussi sans doute sa question, sinon la question la plus intéressante : celle de l’aventure de la conscience dans l’univers.

« De l’autre côté, celui des Églises et de leurs traditions révélées, rien de neuf à en attendre : des dogmes, commentés encore et encore. Ni satisfaits de la science, ni des grandes religions, les jeunes gens sont ainsi tentés par les groupes, communautés et sectes qui leur proposent des explications à leurs propres expériences spirituelles. Certaines de ces organisations offrent même les conditions favorables à l’occurrence de tels épisodes intérieurs.

« La suite, on la connaît : les adeptes sont invités à payer le prix fort de la dépendance, pour les miettes qu’on leur a données et à sacrifier leur vie « corps, parole et esprit » pour reprendre la formule inlassablement répétée par exemple dans une école du bouddhisme d’origine himalayenne. »

L’intérêt de telles méditations (au sens chrétien et rousseauiste) est de rétablir un questionnement sur le sens hors de tout dogme et de tout réductionnisme. Après avoir disséqué le néo-bouddhisme avec une pertinence qu’aucun athée n’aura jamais, il a refusé de jeter le bébé métaphysique avec l’eau du bain religieux. Sa lecture peut être conseillée aux agnostiques comme aux croyants sans étiquette. Inclassable, il parcourt désormais son propre chemin, qui n’est plus celui d’un bouddhiste, mais celui d’un homme.

Ajoutons que Marc Bosche est également l’auteur de plusieurs volumes de poésie, d’anthropologie, de récits de voyages et de fiction. Musicien, il offre ses œuvres en libre téléchargement sur la plate-forme, Jamendo. Enfin, il anime edutechs, un blog consacré aux nouvelles technologies de la lecture et de l’apprentissage.

Guy Morant, le 19 septembre 2007.
(Marc Bosche décédera quelques mois plus tard, en 2008)


Intelligent design ?
Au cœur des champs de superconscience

Sommaire

  • Avant-propos : une clef en forme de point d’interrogation
  • I La rumeur des distances traversées
  • II Quand d’un passé ancien rien ne subsiste
  • III Plus frêles mais plus vivaces
  • IV Les pays blanc des NDE
  • V « Dess[e]in Intelligent » ?
  • VI Les êtres singuliers d’un monde pluriel
  • VII Noir sur blanc
  • VIII Syntoniser le scanner
  • IX A l’ombre des cyborgs en fleurs
  • X L’anthropologie au risque du paradigme des technosciences
  • XI Ghost in the machine
  • XII Réalité augmentée
  • XIII Mémoire cénesthésique
  • XIV Les passagers rêveurs
  • Postface : « vous êtes arrivé »


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