Selon le journal suisse Le matin du 27
décembre 2012 :
Des
Suisses continuent de manger chiens et chats
En
Suisse, précise l'article, chacun est autorisé à manger de la
viande de chien ou de chat. Les associations de protection des
animaux voudraient mettre fin à cette pratique. Mais la
Confédération estime que cela relève du choix personnel.
Nos plus lointains ancêtres, les
premiers hommes, lorsqu'ils se dégagèrent de leur animalité
simienne, étaient-ils des carnivores ? Certains préhistoriens
actuels vont jusqu'à soutenir que c'est seulement à partir du
moment où ces créatures, encore ambiguës et indéfinissables,
commencèrent à faire d'autres animaux leurs proies, à devenir,
a-t-on écrit, des « tueurs armés », que l'on peut réellement
parler d'hommes. En d'autres termes, le début de la prédation
marquerait la frontière qui sépare les pongidés ou anthropoïdes,
si proches physiologiquement de l'homme, des hominiens proprement
dits. La chasse serait le mode d'éducation de l'espèce humaine, le
facteur essentiel de transformation qui affecta ses mains, ses pieds
et ses dents, et développa son cerveau ; elle serait enfin à
l'origine même de sa vie sociale.
Cette vue rétrospective s'appuie
évidemment sur les traces de l'existence des hommes préhistoriques
qui sont parvenues jusqu'à nous : des os de bêtes et des pierres
utilisés comme outils ; les pierres ont donc servi à tuer. Pourtant
l'évidence peut être trompeuse, car de la vie de nos ancêtres n'a
subsisté que ce qui pouvait se conserver dans le sol : les os et les
pierres, mais le reste ? Or ce reste, c'est précisément tout ce qui
appartenait au monde végétal, tout ce qui dans la terre ne pouvait
que se décomposer.
Toute tentative de reconstitution de la
vie préhistorique demeure de ce fait obligatoirement incomplète et
par conséquent largement hypothétique. Quant à l'interprétation
que l'on peut donner de ces restes, elle est nécessairement
subjective, qu'il s'agisse du « tueur armé » ou du « bon sauvage
», du naïf paradis de l'âge d'or ou de l'enfer si « réaliste »
que certains nous retracent aujourd'hui avec tant de complaisance.
L'on ne voit d'ailleurs que trop bien ce qui sous-tend les
conclusions pessimistes de tels auteurs. Le « bon sauvage » est
apparu au moment où l'on voulait croire à l'innocence originelle de
l'homme, à l'époque où l'on pensait qu'il suffirait d'une
révolution pour la retrouver. Les révolutions se sont succédé, et
l'homme n'en est pas devenu meilleur. On s'était donc trompé et il
ne reste plus qu'à prendre le contre-pied de l'ancienne théorie. De
plus, reconnaître à l'homme dès son origine des connaissances dont
on postule qu'elles ne purent s'acquérir que progressivement serait
compromettre les notions conjointes d'évolution et de pro-grès,
c'est-à-dire des dogmes devenus sacro-saints. On soutiendra donc que
l'homme est parti de très bas, afin de pouvoir démontrer qu'il est
parvenu très haut.
Mais ne s'agit-il pas là d'une simple
vue de l'esprit ? Et celle-ci ne proviendrait-elle pas du
cloisonnement qui sépare aujourd'hui des disciplines qui traitent du
même sujet, bien que les aspects qu'elles en examinent soient en
effet différents ? Les préhistoriens ne tiennent guère compte des
recherches récentes des historiens des civilisations, dont certains
vont jusqu'à remettre en cause un schéma de l'évolution
historique, qui passait il y a peu de temps pour définitivement
acquis, ils ignorent systématiquement les travaux des ethnologues ;
et ces derniers, comme les préhistoriens, méconnaissent les études
des botanistes et, en particulier, les découvertes décisives des
ethnobotanistes, et ainsi de suite...
Peut-être seul empêche d'y voir clair
l'écran artificiel, mais étanche, qui sépare radicalement
aujourd'hui encore l'homme des animaux, comme si l'homme n'était
l'un d'entre eux, comme si avec lui l'évolution — événement sans
précédent — fût repartie à zéro. Tout animal a, par
définition, une connaissance exacte et précise du milieu où il
vit, de sa « niche écologique » ; sans quoi il ne pourrait
l'utiliser, donc y survivre. Il en va encore ainsi pour nos plus
proches parents, les grands singes anthropoïdes, qui sont des
végétariens stricts (les gorilles, par exemple), ou ajoutent
occasionnellement à leur régime habituel un apport carné (cas des
chimpanzés). De récentes observations ont montré qu'en ce qui
concerne l'utilisation des plantes comestibles, les anthropoïdes
procédaient généralement par imitation et souvent aussi par essais
et erreurs, qu'ils étaient parfaitement capables de faire dans ce
domaine des découvertes, d'ailleurs transmissibles et variables
suivant les groupes.
Faut-il absolument faire intervenir ici
une discontinuité, alors que celle-ci semble bien être surtout un
présupposé théorique ? Pourquoi n'en aurait-il pas été de même
pour nos lointains prédécesseurs ? On a prétendu que le milieu où
vécurent, en Afrique orientale, les premiers hominiens ne contenait
pas de ressources végétales suffisantes : mais c'est là, d'une
part, tenir pour certain que ce milieu était identique à ce qu'il
est aujourd'hui — ce qui n'est nullement certain, plutôt même
hautement improbable — et, d'autre part, juger de ces ressources en
fonction des connaissances infiniment plus réduites que nous en
avons, en fonction aussi de nos propres besoins d'hommes
suralimentés.
Bien plus vraisemblablement doit-on
admettre que la nourriture des premiers hommes était, pour
l'essentiel, végétale, ne serait-ce que pour la simple raison
qu'une proie animale est mobile, que sa rencontre est hasardeuse et
bien plus encore sa capture, tandis que la plante est toujours là, à
la disposition de qui en connaît l'usage. La nourriture carnée ne
peut donc être qu'exceptionnelle, et l'homme, poussé par la
nécessité quotidienne, a certainement très vite sélectionné
fruits et baies sauvages, pousses et bourgeons agréables au goût,
racines et tubercules comestibles.
Il l'a fait d'ailleurs aidé par
l'exemple que lui fournissaient les animaux, qui savaient découvrir
d'eux-mêmes dans le milieu végétal qui les entourait tout ce qu'il
fallait pour satisfaire leurs besoins, grâce à un instinct qui
apparaissait à l'homme comme une sorte de divination. Mais de
divination à divin il n'y a pas loin et la reconnaissance de ce
pouvoir n'a pas manqué d'émerveiller l'homme au point de lui faire
rendre un culte à certaines espèces animales qui furent réellement
ses instructrices ; culte qui, sous des formes plus élaborées, plus
« mentalisées », a subsisté jusqu'au sein des grandes
civilisations traditionnelles.
Jacques Brosse