mardi, janvier 15, 2013

Nourriture terrestre



Selon le journal suisse Le matin du 27 décembre 2012 :

Des Suisses continuent de manger chiens et chats

En Suisse, précise l'article, chacun est autorisé à manger de la viande de chien ou de chat. Les associations de protection des animaux voudraient mettre fin à cette pratique. Mais la Confédération estime que cela relève du choix personnel. 


    Nos plus lointains ancêtres, les premiers hommes, lorsqu'ils se dégagèrent de leur animalité simienne, étaient-ils des carnivores ? Certains préhistoriens actuels vont jusqu'à soutenir que c'est seulement à partir du moment où ces créatures, encore ambiguës et indéfinissables, commencèrent à faire d'autres animaux leurs proies, à devenir, a-t-on écrit, des « tueurs armés », que l'on peut réellement parler d'hommes. En d'autres termes, le début de la prédation marquerait la frontière qui sépare les pongidés ou anthropoïdes, si proches physiologiquement de l'homme, des hominiens proprement dits. La chasse serait le mode d'éducation de l'espèce humaine, le facteur essentiel de transformation qui affecta ses mains, ses pieds et ses dents, et développa son cerveau ; elle serait enfin à l'origine même de sa vie sociale.

Cette vue rétrospective s'appuie évidemment sur les traces de l'existence des hommes préhistoriques qui sont parvenues jusqu'à nous : des os de bêtes et des pierres utilisés comme outils ; les pierres ont donc servi à tuer. Pourtant l'évidence peut être trompeuse, car de la vie de nos ancêtres n'a subsisté que ce qui pouvait se conserver dans le sol : les os et les pierres, mais le reste ? Or ce reste, c'est précisément tout ce qui appartenait au monde végétal, tout ce qui dans la terre ne pouvait que se décomposer.

Toute tentative de reconstitution de la vie préhistorique demeure de ce fait obligatoirement incomplète et par conséquent largement hypothétique. Quant à l'interprétation que l'on peut donner de ces restes, elle est nécessairement subjective, qu'il s'agisse du « tueur armé » ou du « bon sauvage », du naïf paradis de l'âge d'or ou de l'enfer si « réaliste » que certains nous retracent aujourd'hui avec tant de complaisance. L'on ne voit d'ailleurs que trop bien ce qui sous-tend les conclusions pessimistes de tels auteurs. Le « bon sauvage » est apparu au moment où l'on voulait croire à l'innocence originelle de l'homme, à l'époque où l'on pensait qu'il suffirait d'une révolution pour la retrouver. Les révolutions se sont succédé, et l'homme n'en est pas devenu meilleur. On s'était donc trompé et il ne reste plus qu'à prendre le contre-pied de l'ancienne théorie. De plus, reconnaître à l'homme dès son origine des connaissances dont on postule qu'elles ne purent s'acquérir que progressivement serait compromettre les notions conjointes d'évolution et de pro-grès, c'est-à-dire des dogmes devenus sacro-saints. On soutiendra donc que l'homme est parti de très bas, afin de pouvoir démontrer qu'il est parvenu très haut.

Mais ne s'agit-il pas là d'une simple vue de l'esprit ? Et celle-ci ne proviendrait-elle pas du cloisonnement qui sépare aujourd'hui des disciplines qui traitent du même sujet, bien que les aspects qu'elles en examinent soient en effet différents ? Les préhistoriens ne tiennent guère compte des recherches récentes des historiens des civilisations, dont certains vont jusqu'à remettre en cause un schéma de l'évolution historique, qui passait il y a peu de temps pour définitivement acquis, ils ignorent systématiquement les travaux des ethnologues ; et ces derniers, comme les préhistoriens, méconnaissent les études des botanistes et, en particulier, les découvertes décisives des ethnobotanistes, et ainsi de suite...

Peut-être seul empêche d'y voir clair l'écran artificiel, mais étanche, qui sépare radicalement aujourd'hui encore l'homme des animaux, comme si l'homme n'était l'un d'entre eux, comme si avec lui l'évolution — événement sans précédent — fût repartie à zéro. Tout animal a, par définition, une connaissance exacte et précise du milieu où il vit, de sa « niche écologique » ; sans quoi il ne pourrait l'utiliser, donc y survivre. Il en va encore ainsi pour nos plus proches parents, les grands singes anthropoïdes, qui sont des végétariens stricts (les gorilles, par exemple), ou ajoutent occasionnellement à leur régime habituel un apport carné (cas des chimpanzés). De récentes observations ont montré qu'en ce qui concerne l'utilisation des plantes comestibles, les anthropoïdes procédaient généralement par imitation et souvent aussi par essais et erreurs, qu'ils étaient parfaitement capables de faire dans ce domaine des découvertes, d'ailleurs transmissibles et variables suivant les groupes.

Faut-il absolument faire intervenir ici une discontinuité, alors que celle-ci semble bien être surtout un présupposé théorique ? Pourquoi n'en aurait-il pas été de même pour nos lointains prédécesseurs ? On a prétendu que le milieu où vécurent, en Afrique orientale, les premiers hominiens ne contenait pas de ressources végétales suffisantes : mais c'est là, d'une part, tenir pour certain que ce milieu était identique à ce qu'il est aujourd'hui — ce qui n'est nullement certain, plutôt même hautement improbable — et, d'autre part, juger de ces ressources en fonction des connaissances infiniment plus réduites que nous en avons, en fonction aussi de nos propres besoins d'hommes suralimentés.

Bien plus vraisemblablement doit-on admettre que la nourriture des premiers hommes était, pour l'essentiel, végétale, ne serait-ce que pour la simple raison qu'une proie animale est mobile, que sa rencontre est hasardeuse et bien plus encore sa capture, tandis que la plante est toujours là, à la disposition de qui en connaît l'usage. La nourriture carnée ne peut donc être qu'exceptionnelle, et l'homme, poussé par la nécessité quotidienne, a certainement très vite sélectionné fruits et baies sauvages, pousses et bourgeons agréables au goût, racines et tubercules comestibles.

Il l'a fait d'ailleurs aidé par l'exemple que lui fournissaient les animaux, qui savaient découvrir d'eux-mêmes dans le milieu végétal qui les entourait tout ce qu'il fallait pour satisfaire leurs besoins, grâce à un instinct qui apparaissait à l'homme comme une sorte de divination. Mais de divination à divin il n'y a pas loin et la reconnaissance de ce pouvoir n'a pas manqué d'émerveiller l'homme au point de lui faire rendre un culte à certaines espèces animales qui furent réellement ses instructrices ; culte qui, sous des formes plus élaborées, plus « mentalisées », a subsisté jusqu'au sein des grandes civilisations traditionnelles.

Jacques Brosse







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