Le masque — très à la
mode au XVIe siècle — apparaît non seulement au Carnaval, au bal,
mais encore dans la rue. Tenant au mystère et à la discrétion,
Satan en recommandait infiniment l'usage.
De là provient aussi le
port d'habits retournés, de linges et de voiles, de chapeaux à
large bord ou à franges pendantes, qui déroutaient les espions
éventuels. Il est permis d'imaginer que le représentant du Diable
portait un masque horrible à contempler. Peut-être s'agit-il du
masque que l'on brûlait à la fin des cérémonies, afin que les
traces disparussent aux yeux des magistrats ?
On peut encore supposer que
les curés, les seigneurs, les grands bourgeois amateurs de
sensations fortes et d'orgies crapuleuses, aient parfois recouru à
l'usage d'un masque pour assister au sabbat en toute quiétude... «
Les moines, qui abusaient de la crédulité publique, pour faire
diversion à leur oisiveté, ont pu prendre des déguisements
ridicules, et faire toutes les extravagances qu'ils attribuaient aux
diables. Une chose du moins est certaine et incontestable, c'est que,
dans les procès criminels faits aux sorciers et sorcières, le lieu
de la scène du sabbat est toujours indiqué dans un endroit voisin
de quelque abbaye. » Voilà ce que, très mauvaise langue, Garinet
suggère dans son Histoire de la Magie en France. Le
bibliophile Jacob (alias Paul Lacroix) remplacera le mauvais moine
par un scélérat émérite, « qui abusait de ce rôle affreux en
vue de satisfaire ses horribles caprices, et qui prélevait un tribut
obscène sur les misérables soumis à sa domination » (Curiosités
de l'Histoire des croyances populaires au Moyen Age, p.223).
L'anonymat des riches et des
puissants : rien de plus hiérarchisé que le sabbat, se trouvait
autant que possible respecté. Il est curieux, en tout cas, de
constater que des personnages masqués assistent au déroulement du
rituel satanique sur certains tableaux et gravures des XVIe et XVIIe
siècles : nous songeons en particulier aux œuvres de Ziarnko et de
Michel Herz. Aucun cependant ne porte de masque taurin ou ovin
rappelant, même de loin, les rituels de fertilité. Ces personnages
n'appartiennent pas au vulgum pecus. Il semble qu'on leur
réserve les morceaux de choix. Ils sont plus que des spectateurs,
puisque Gaufridy déclare que l'on rencontre trois ordres au sabbat :
les masques, les sorciers et les magiciens.
A peine assis, le Diable (ou
son représentant) invitait à sa droite la Reine du Sabbat, la plus
jeune ou la plus belle fille de l'assemblée. A sa gauche venait se
placer une sorcière experte en maléfices et dans l'art de manier
les poisons. En chaque village du Labourd, prétend de Lancre, on
pouvait trouver, vers 1609, « une Reine du Sabbat que Sathan tenait
en délices comme une épouse privilégiée » (Incrédulité,
p. 36). Madeleine de Demandolx changea le nom en celui de Princesse
de la Synagogue. A l'une d'elles, Martha Carrier, le Diable aurait
même promis la place de Reine de l'Enfer. « Maid Marian » en
Angleterre, « Wanne Tecla » en Flandre maritime, la Reine du Sabbat
était tenue d'offrir sa virginité au maître de céans. Des femmes
mariées et des filles ordinaires il exigeait, disons, des plaisirs
réservés. En un temps où dans les hameaux subsistait le jus
primae noctis, il ne pouvait s'agir que d'une substitution. Le
Diable, en somme, passait juste avant le seigneur. Mais le sacrifice
du pucelage n'était pas regardé comme un affreux malheur. Les
nobles en réclamaient l'offrande et certains religieux (les évêques
d'Amiens et les moines de Saint-Etienne, de Nevers, notamment)
maintenaient très strictement l'exercice de leur « droit de cullage
». En l'espèce, ils perpétuaient la tradition des prêtres
d'Astarté, d'Anubis et de Dionysos.
Roland Villeneuve (1922 -2003), essayiste spécialiste de démonologie et d'ésotérisme, est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont "Gilles de Rays, une grande figure diabolique" ; "Le Diable dans l'art" ; "L'Univers diabolique" ; "Les procès de sorcellerie" ; "La Mystérieuse Affaire Grandier" ; "La Beauté du Diable" ; Le "Dictionnaire du Diable" :
"Il est celui dont "la plus grande ruse est de faire croire qu'il n'existe pas" (Baudelaire). Il apparaît ou se dissimule sous les aspects les plus divers. Ses noms eux-mêmes sont innombrables.
Il est le Diable – Celui qui divise, en grec – ou Satan – l'Adversaire, en hébreu – mais aussi Asmodée, Astaroth, Belzébuth, le Démon, Lucifer, le Malin, Méphistophélès, le Moloch... Il est l'Ange des Ténèbres, le Serpent de la Genèse, le Séducteur, il fait du genre humain l'enjeu de son éternel combat avec Dieu.
Se faisant l'héritier des grands démonologues, Roland Villeneuve a tenté de dresser l'inventaire de ses manifestations. Il les a traquées à travers l'histoire, la littérature, l'architecture, la musique, les livres savants comme le savoir populaire, scrutant lieux, personnages célèbres, procès en sorcellerie, possessions, pactes sataniques – sans ignorer le monde d'aujourd'hui."