mardi, octobre 28, 2014

La vie de l'initié shivaïte


Les règles de conduite du « participant » (bacchant ou bhakta), du « compagnon » (kaula) qui veut se consacrer à la recherche de la sagesse, sont, d'après le Linga Purâna (I chap. 89, 24-29), au nombre de cinq : ne pas voler (astéya); errance et non-mariage (brahma-chârya) ; absence d'ambition (ahbha); renoncement aux biens matériels (tyâga) et non-violence(ahimsâ). A celles-ci, s'ajoutent pour les apprentis : absence de colère (akrodba) ; service du maître (gurusushruta) ; propreté (shaucha) ; modération dans la nourriture (ahâralâghava) et études (adhyaya).

Dans le monde chrétien, les membres des ordres religieux prononcent trois vœux, de chasteté, de pauvreté et d'obéissance, c'est-à-dire qu'ils renoncent, en faveur du supérieur de l'ordre considéré comme représentant de « Dieu», aux trois biens essentiels de l'homme, le plaisir, la richesse et la liberté. La différence entre la conception chrétienne et shivaïte est profonde. Le non-mariage n'implique pas nécessairement la chasteté, mais le fait de rester en dehors des responsabilités sociales que le mariage implique. Il ne s'agit pas d'absence d'actes sexuels, ce qui est d'ailleurs une impossibilité pratique. Nous retrouvons quelque chose de similaire dans l'agéla grecque. La pauvreté, absence de convoitise et de possession exclut chez les bhaktas la propriété collective, le monastère. Le bhakta errant est un solitaire et un vagabond. Il mendie sa nourriture et ne fait pas de provisions.

L'obéissance n'est une vertu que pour l'étudiant, et encore se limite-t-elle au service du maître. Jamais le disciple n'abdique son libre arbitre, son indépendance. Jamais le maître ne doit prendre la responsabilité d'imposer un mode de vie ou de penser. Il ne répond qu'aux questions qu'on lui pose et son avis n'est que consultatif. La propreté, le soin du corps, est un devoir essentiel. Le corps est une image du dieu et doit être considéré comme tel. Il est l'instrument de toutes les réalisations. Il faut le maintenir par l'exercice, les bains, les massages dans le meilleur état d'harmonie physique. [...]

La société shivaïte est originellement matriarcale. La propriété, la maison, les terres, les serviteurs appartiennent aux femmes. L'homme n'est qu'un fécondateur, un errant qui s'intéresse aux arts, à la guerre, au jeu, ou bien se consacre à la vie intellectuelle ou spirituelle. Dans les sociétés sédentaires qui s'adonnent à l'agriculture, la propriété normalement appartient à la femme, l'héritage se fait de mère à fille. Le système de la dot en est une survivance. Par contre, dans les sociétés nomades fondées sur l'élevage, c'est l'homme qui prédomine. La femme s'achète. Le principal problème des sociétés issues des invasions aryennes réside dans le fait qu'elles sont devenues des sociétés sédentaires tout en maintenant un système patriarcal de société nomade. La femme représente la propriété, le monde matériel, l'esclavage de l'homme. […]
 

La réalisation de soi-même sur le plan érotique est un aspect essentiel du développement de l'être humain. La prostitution qui permet à l'errant, au moine, au pauvre, mais aussi à l'homme marié, dont les rapports à but procréatif n'ont pas la même valeur, de pratiquer l'extase érotique devient une profession bénéfique et sacrée. Elle correspond, sur un autre plan, à l'aumône, abri et nourriture, due aux errants. Dans l'Inde, de nombreuses jeunes filles étaient dédiées au temple pour y accomplir ce devoir social et religieux qu'est le don de l'amour. Elles recevaient une éducation raffinée comprenant la musique, la danse et les techniques érotiques. Nous voyons de même dans le monde grec, en particulier à Corinthe, la prostitution considérée comme une sorte de service divin. Les Hébreux ont connu eux aussi la prostitution sacrée féminine et masculine.

En dehors de son rôle religieux qui est de permettre à tout homme d'expérimenter l'extase érotique, la prostitution joue également un rôle social essentiel pour la stabilité de la famille. Les traités de politique tels que l'Artha Shastra lui attribuent une grande importance et en définissent les règles. Lorsque le gouvernement Nehru voulut interdire la prostitution dans l'Inde, une délégation de sévères brahmanes se rendit à Delhi pour protester et rappeler que, selon la parole des textes sacrés : « Dans les pays sans prostituées, toutes les maisons deviennent des bordels. » Comme les membres des autres professions artisanales, les prostitués des deux sexes forment des associations très organisées. La corporation des prostitués masculins avait, au moment de l'indépendance de l'Inde, offert son support au gouvernement du Congrès national.

L'institution des danseuses-prostituées des temples, qui en comptaient parfois des milliers, fut interdite par le législateur anglais et provoqua, entre autres, un déclin des arts de la musique et de la danse très liés à cette institution.

La prostitution masculine, principalement sous la forme de travestis, existe toujours dans beaucoup de petites villes et villages indiens, comme elle existait à Athènes. Elle a joué également un rôle rituel lié au culte de l'Androgyne, comme c'est le cas aussi dans le Shamanisme, mais semble aujourd'hui décadente. Toutefois, les prostitués travestis ont une place dans la société. Ce sont eux qui jouent le rôle des bergères amantes de Krishna dans les représentations populaires du Krishna-lîlâ. Les prostitués travestis sont installés généralement à la périphérie des villes, comme autrefois les sanctuaires de Shiva-Dionysos. Par contre, les prostituées femmes sont établies dans l'enceinte même du temple.

Le Shivaïsme est une religion de la nature. Il préconise, pour les initiés, la vie dans la forêt, l'errance, l'éloignement de la cité. Cela implique une obligation d'assistance de la part de ceux qui restent dans la vie active. Les hommes qui se consacrent à l'acquisition des biens matériels ont pour fonction et pour devoir de financer les temples, les prêtres, les moines, les artisans et les artistes, et d'avoir toujours table ouverte pour les errants. L'hospitalité est un devoir absolu. L'errant, le voyageur égaré ne doit jamais trouver une porte fermée. Avant de prendre sa nourriture, chacun doit regarder s'il n'y a pas près de la porte un moine mendiant ou quelque voyageur qui a besoin de nourriture et qui doit être servi en premier.

Théoriquement, les devoirs envers les hôtes sont sans limites. « Vénérer un hôte est la meilleure façon d'acquérir des mérites. Le sage Sudarshana (Bel-àvoir), qui voulait par ses vertus vaincre le dieu de la Mort, dit un jour à sa chaste épouse : Jamais vous ne devez refuser d'honorer un hôte. Un voyageur est toujours l'image de Shiva et tout lui appartient. Dharma (la loi morale) prit alors l'apparence d'un moine errant et s'approcha de la maison du sage en son absence. L'épouse de Bel-à-voir lui offrit l'hospitalité d'usage. Une fois rassasié, il dit : J'ai assez de riz cuit et d'autres nourritures, vous devez maintenant vous donner à moi. Elle s'offrit donc à lui. C'est alors que Bel-à-voir revint et appela son épouse. Ce fut l'hôte qui répondit : Je suis en train de faire l'amour avec ta femme. Dis-moi simplement ce qu'il y a à faire maintenant, car j'ai terminé et suis satisfait. Bel-à-voir lui dit : Excellent homme ! Prenez en paix votre plaisir, je vais m'éloigner un moment. Dharma alors se révéla à lui et lui dit : Par cet acte de piété, tu as vaincu la mort. Tout hôte doit être honoré de la même manière. » (Linga Purâna)
 

Alain Daniélou, Shiva et Dionysos.





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