mercredi, avril 20, 2022

Le mystère du peuple Russe


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Mysticisme et pragmatisme.

« Les Russes, dit l'écrivain Vladimir Fédorovski, sont aujourd'hui dans une mentalité post-versaillaise, comme les Allemands entre les deux guerres. Ils ont le syndrome de la citadelle assiégé, sont persuadés d'un complot occidental visant à leur nuire ».

La Russie entrera-t-elle en guerre contre l'Union européenne et l'Otan ? 

D'après un prophète sud-africain, Nicolaas van Rensburg (1864-1926), durant la troisième guerre mondiale les armées russes annihileront rapidement les troupes occidentales. « Ces dernières, dit van Rensburg, se replieront (...) laissant ainsi les Russes atteindre la frontière espagnole et écraser au passage les troupes françaises ».

Les Russes, qui vainquirent Napoléon et Hitler, mettront-t-ils fin à la tyrannie de Wall Street et de la City ? 

Quoi qu'il en soit, pour de nombreux spiritualistes, la Russie fait penser d'abord au livre « Récits d'un pèlerin russe ».


Récits d'un pèlerin russe



par JEAN GAUVAIN


Mis en éveil par une courte note de Nicolas Berdiaev, je découvris un jour ce petit livre à la Bibliothèque des Langues orientales à Paris. Malgré la hâte d’une période d’examens, je ne l’avais pas quitté à la fin de l’après-midi. Mieux que beaucoup de romans, d’études et d’essais, il révèle, en effet, le mystère du peuple russe dans ce qu’il a de plus secret, ses croyances et sa foi.

On ne s’étonnera pas de l’obscurité où sont restés les Récits d’un pèlerin, si l’on pense aux conditions de leur publication. Ils ont paru pour la première fois à Kazan vers 1865, sous une forme primitive, avec de nombreuses fautes. C’est en 1884 seulement que fut établie une édition correcte et accessible. En plein mouvement socialiste et naturaliste, celle-ci ne pouvait trouver grand écho. Le besoin d’une nouvelle édition ne se fera sentir qu’après 1920, lorsque certains cœurs émigrés connaîtront la nostalgie de la patrie. Le livre fut réimprimé en 1930 par les soins du professeur Vycheslavtsev.

Les Récits ont été publiés sans nom d’auteur. D’après la préface de l’édition de 1884, le père Païsius, abbé du monastère de Saint-Michel-Archange des Tchérémisses à Kazan, en aurait copié le texte chez un moine russe de l’Athos, dont nous ignorons le nom. De nombreux indices portent à croire que les récits ont été rédigés par un religieux après ses entretiens avec le pèlerin. Cette hypothèse n’enlève nullement au livre son caractère authentique. Le pèlerin, simple paysan de trente-trois ans, n’est familier qu’avec le style oral. La rédaction de ses aventures lui aurait coûté de grands efforts, des expressions conventionnelles auraient remplacé le langage archaïque et simple qui fait le charme de ces récits. Un confident intelligent, par contre, aura pu retrouver exactement le ton du pèlerin et transmettre ses paroles au lecteur. De nombreux mystiques n’ont communiqué leur expérience spirituelle qu’avec l’aide d’un chroniqueur dont tout l’art est de s’effacer devant les mystères qu’il révèle. Ce personnage, c’est peut-être l’ermite de l’Athos, peut-être aussi le père Ambroise, le grand solitaire d’Optina, – maître d’Ivan Kirêevski, ami de Dostoïevski, de Tolstoï et de Léontiev, – dans les manuscrits duquel trois autres récits, de ton plus didactique, ont été retrouvés et publiés en 1911.

Les Récits se rattacheraient ainsi au mouvement littéraire russe du XIXe siècle, dans ce qu’il a de plus serein et de plus pur. Dans le tumulte des écrits poétiques, romanesques, révolutionnaires, où se heurtent avec une telle violence les tendances extrêmes du caractère russe, il manquait cette note innocente et cristalline qui en est sans doute la tonique secrète.

Le pèlerin fait pénétrer le lecteur au cœur de la vie russe, peu après la guerre de Crimée et avant l’abolition du servage, soit entre 1856 et 1861. On voit passer tous les personnages du roman russe, le prince qui cherche à expier sa vie dissipée, le maître de poste ivrogne et querelleur, le greffier de province, incroyant et libéral. Les forçats s’en vont par étapes vers la Sibérie, les courriers impériaux épuisent leurs chevaux sur le trakt infini, les déserteurs rôdent dans les forêts lointaines ; nobles, paysans, fonctionnaires, membres des sectes, instituteurs et prêtres de campagne, toute cette ancienne Russie terrienne ressuscite avec ses défauts, dont le moindre n’est pas l’ivrognerie, et ses qualités, dont la plus belle est la charité, l’amour spirituel du prochain, illuminé par l’amour de Dieu. Alentour, c’est la terre russe, plaine immense où le regard se perd, forêts désertes, auberges au bord des routes, églises aux couleurs fraîches, aux cloches scintillantes. Jamais pourtant le paysan ne s’attarde à décrire le mode des apparences sensibles. Chrétien orthodoxe, il est à la recherche de la perfection, l’absolu est son souci.

Pour le guider dans cette quête, le pèlerin n’a que deux livres, la Bible et un recueil de textes patristiques, la Philocalie. Ce nom seul permet de définir l’école à laquelle il se rattache. Russe du XIXe siècle, le pèlerin est un hésychaste (de calme – silence – contemplation).

L’hésychasme remonte aux premiers siècles chrétiens. Il prend son origine au mont Sinaï et au désert d’Égypte. Dans l’Église orientale il apparaît comme le courant mystique par opposition à la tradition purement ascétique issue de saint Basile, qui domina longtemps par suite de la condamnation de l’origénisme aux Ve-VIe siècles. Inspirée d’Origène et de Grégoire de Nysse, la mystique orientale donne pour fin à l’âme humaine la déification. La nature humaine est bonne, mais déformée par le péché. La rendre à sa vertu première, rétablir dans l’homme, qui est à l’image de Dieu, la ressemblance divine, œuvre de la grâce, c’est la voie du salut. Sous l’action de la grâce, l’esprit, libéré des passions par l’ascèse, s’élève à contempler les raisons des choses créées, et parvient parfois jusqu’à la « nuée lumineuse », la contemplation obscure de la Trinité sainte. Tel est le but auquel se consacrent les solitaires et les grands mystiques des dix premiers siècles chrétiens. Pour fixer leur esprit sur les réalités invisibles, certains d’entre eux sont conduits à adopter des procédés techniques, comme la répétition fréquente d’une courte prière, le Kyrie Eleison. Les catholiques, familiers avec le chapelet, ne sauraient s’en étonner. Liée au dogme de la résurrection future, l’idée d’une participation du corps à la vie spirituelle est en soi profondément orthodoxe. Ainsi se développe peu à peu ce qui, un jour, dans des controverses acharnées, sera qualifié d’hésychasme.

A partir du XIe siècle, cette doctrine tend à se corrompre. Sous l’influence indirecte de saint Syméon le Nouveau Théologien, on attribuera aux visions et révélations sensibles une valeur exagérée. Nul ne pourra être considéré chrétien s’il n’a connu, expérimenté concrètement la grâce. Théologie inquiétante à laquelle s’opposent les paroles de Jeanne aux docteurs qui lui demandaient si elle était en état de grâce : Si je n’y suis, Dieu m’y mette et si j’y suis, Dieu m’y garde ! Au delà, le chrétien ne peut aller sans danger. L’action de Dieu dans l’âme est essentiellement mystérieuse, « transpsychologique », pour reprendre l’expression de Stolz.

La recherche des illuminations conduit en effet à mépriser la pratique ascétique et à chercher des moyens considérés comme plus efficaces pour parvenir aux visions. C’est le danger du « moyen court » et du quiétisme où l’âme risque d’être foudroyée. Par une évolution parallèle, une attention trop grande est donnée aux procédés corporels, à la position du corps, au rôle du cœur dans l’oraison. L’hésychaste du XIVe siècle qui espère arriver au salut « sans peine et sans douleur », oublie que, dans la vie spirituelle, tout est grâce, et que nul ne peut dire : Jésus est le Seigneur, si ce n’est par l’Esprit-Saint (1 Cor. 12, 3).

C’est cette doctrine qui, malgré les controverses du XIVe siècle, est transmise à la Russie par le starets Nil Sorski (1433-1508), une des plus pures figures du monachisme russe, celui qui voulait interdire aux couvents de posséder des biens matériels. Tombée dans l’oubli, elle est restaurée à la fin du XVIIIe siècle par un autre starets, Païsius Velitchkovski. Les textes hésychastes qu’il rassemble et publie en 1794 guideront les solitaires et les mystiques russes du XIXe siècle.



"Récits d'un pèlerin russe", PDF gratuit :



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